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Dans les labos Ebola de l'armée américaine

Le Liberia est toujours confronté à la pire épidémie de son histoire.

Seul le personnel spécialement entraîné par l'armée américaine est autorisé à pénétrer dans la « zone chaude » – vue ici depuis une fenêtre – du Jackson F. Doe Memorial Regional Referral Hospital de Tapeta au Liberia – Photo : Cheryl Hatch

Le complexe ressemble à un manoir de grand propriétaire terrien. Mais au sein de cet avant-poste perdu dans la jungle à plus de 300 kilomètres de Monrovia, la capitale du Liberia, se trouve un laboratoire CDC de biosécurité niveau 3, le niveau de sécurité nécessaire à la recherche sur les maladies infectieuses, selon les normes américaines.

À partir d'un certain point, la lutte contre Ebola n'est rien d'autre qu'un immense processus décisionnel. Prenez l'unité de traitement Ebola de Tapeta. Située près de la frontière ivoirienne, ce centre se définit par la logique de son fonctionnement. Les cas potentiels commencent leur voyage au début d'un organigramme rationalisé et remontent le processus décisionnel jusqu'à être placés dans la grande « tente des suspects ». Une fois là-bas, ils n'ont que trois moyens d'en sortir : le transfert dans la salle des contaminés (le plus courant), une porte dérobée pour s'échapper, ou un aller simple pour la morgue. De l'eau de javel est sans cesse pulvérisée dans tous les coins de l'unité et le système d'évacuation des eaux suit un circuit bien défini. Les eaux potentiellement contaminées par des cas suspects passent ensuite par la salle des malades avérés pour finir à l'échelon le plus bas : le sas de décontamination et les incinérateurs.

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Plein d'humour noir, le personnel médical plaisante sur le fait que chaque patient placé dans la tente des suspects espère avoir attrapé la malaria. Mais comment prouver qu'ils n'ont pas Ebola ? Le test sanguin de référence est réalisé par six équipes du département américain de la Défense qui utilisent un laboratoire initialement prévu pour faire face à une guerre bactériologique avec l'Union soviétique.

L'épidémie d'Ebola actuelle est de loin la plus importante de l'histoire. D'après le CDC et l'Organisation mondiale de la santé, au 2 février 2015, la maladie avait déjà tué 8 829 personnes en Afrique de l'Ouest dont 3 700 uniquement au Liberia. Cet été, au plus fort de l'épidémie, le gouvernement du Liberia et l'USAID ont demandé à l'armée américaine de fournir un peu de sa « compétence spéciale » en matière d'équipement et de savoir-faire, chose que les autres organisations ne pouvaient pas fournir à temps. Le capitaine Jerod Brammer et son équipe du centre d'expérimentation d'Aberdeen dans le Maryland étaient ainsi certainement les personnes les plus qualifiées pour aider.

Le Jackson F. Doe Memorial Regional Referral Hospital de Tapeta a ouvert ses portes en février 2011. Construit par le gouvernement chinois, l'armée américaine y a établi son laboratoire mobile d'analyse afin de récupérer des échantillons sanguins contaminés – Photo : Cheryl Hatch

Brammer dirige le laboratoire Ebola de Tapeta. Simple soldat volontaire au début de sa carrière, il a sauté avec la 173ème brigade aéroportée sur l'aéroport de Bashur dans le nord de l'Irak en 2003. Après avoir servi en Afghanistan, il est retourné à l'école pour devenir microbiologiste. Dans son laboratoire, il a sous ses ordres deux autres militaires, le sergent-chef Joshua Boggess de Hometown en Virginie-Occidentale et Kayode Ilesanmi, un spécialiste originaire de Lagos au Nigeria. Âgé de 28 ans, ce dernier dispose d'une maîtrise en santé et bien-être.

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Le laboratoire d'analyse de Tapeta se compose de trois petites salles au sein d'un gigantesque hôpital qui éclipse par sa taille toutes les autres constructions du village. Selon la plaque fixée à l'entrée, le gouvernement chinois a construit l'hôpital il y a moins de quatre ans en cadeau au peuple libérien. À deux pas de cet établissement monumental se trouve l'Unité de traitement Ebola (UTE). Gérée par l'ONG américaine Hearth to Hearth International, ses locaux sont faits de bâches blanches, de graviers et de contreplaqués.

« Lorsque nous sommes arrivés, nous avons ramené assez de matériel pour analyser des centaines d'échantillons sanguins, explique Brammer. Mais il s'est vite avéré que ne nous n'avions pas assez d'espace. »

Que ce soit à l'hôpital ou à l'UTE, où nous n'étions pas autorisés à rentrer, nous n'avons pas vu le moindre patient. Du personnel oui, mais pas de patient. Si un échantillon devait arriver pendant que nous étions là, Brammer nous avait prévenus qu'il nous ficherait directement à la porte.

Le protocole et le règlement interne de la zone de test sont encore plus stricts que ceux de l'UTE. À leur création, ces laboratoires militaires ont été équipés de manière à identifier tout soldat exposé à un agent chimique tel que l'anthrax, la variole ou la toxine botulique. Ici, au Liberia, le but est plutôt de déterminer si un patient est infecté par Ebola – et ce en un laps de temps minimum. Le risque est maximum : plus une personne saine passe de temps dans l'UTE, plus elle a de chances d'être effectivement contaminée.

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Le spécialiste Kayode Ilesanmi, 28 ans, originaire de Lagos, au Nigeria, enfile sa combinaison de protection durant une démonstration dans la zone médicale 1 de l'hôpital de Tapeta. Ilesanmi est un des techniciens du laboratoire médical de l'armée qui analysent les échantillons de sang pour détecter la présence du virus – Photo : Cheryl Hatch

Des bacs en plastique ont été disposés à l'entrée du labo. C'est ici, dans ces glacières, que sont entreposés les échantillons de sang, emballés et sous scellés. Des coursiers à mobylette les rapportent de toute la région, alors que d'autres viennent de l'UTE juste à côté. De temps en temps, le chef urgentiste de l'hôpital chinois demande un test Ebola pour chaque toux ou jambe cassée. Lorsque Brammer apprend qu'un échantillon vient d'arriver, son équipe se met en combinaison et passe toute l'entrée à l'eau de javel.

Le processus se déroule d'une manière bien déterminée. Le labo est divisé en trois zones : froide, tiède et chaude (pour notre sécurité, il nous était interdit de pénétrer dans les zones tiède et chaude). Pour travailler dans la zone chaude, le personnel doit revêtir plusieurs couches de Tyvek et trois paires de gants, s'équiper d'un masque de protection, d'un système de ventilation artificiel acheminant l'air à travers trois filtres à charbon, et enfiler une paire de bottes spéciales qui n'ont pas évolué depuis les années 1980. L'échantillon est ensuite placé dans la « boîte à gants », une sorte d'aquarium avec des gants de manipulation intégrés à la vitre avant. Quand Brammer ou un membre de son équipe ont les mains dans la boîte, leur peau est à cinq couches de latex du sang contaminé.

D'abord, Brammer utilise de l'éthanol pour désactiver le virus, avant d'y soustraire l'acide ribonucléique (ARN) qu'il contient. Ce morceau d'ARN peut être mélangé à une solution saline afin d'effectuer un test de contamination ou être envoyé au RAPID pour une vérification via une réaction en chaîne par polymérase.

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De gauche à droite : le spécialiste Ilesanmi, le sergent Boggess et le capitaine Brammer à l'hôpital de Tapeta où ils effectuent des analyses sur des échantillons de sang potentiellement contaminés par Ebola – Photo : Cheryl Hatch

Dans le jargon militaire, « RAPID » désigne un dispositif tout terrain d'identification pathogène. La machine n'est pas très attirante – elle ressemble à un pommeau de douche collé au fond d'une valise. Mais en cultivant des échantillons inertes de virus spécifiques, il peut fournir la preuve définitive de la présence d'un pathogène. Les ventes de RAPID ont atteint les sommets lors de la psychose autour de l'anthrax en 2001 et vous pouvez vous en procurer un d'occasion sur Ebay à partir de 2 200 €.

Le dépôt part dans le RAPID et l'opérateur vérifie le cycle seuil qu'indique la machine. Si ce dernier est positif, cela indique que le virus se développe. Un morceau d'ARN Ebola se divise en deux, qui se divisent en quatre, qui se divisent en huit. Si la croissance finit par s'arrêter, il n'y a pas de présence d'Ebola. Mais si son développement est rapide et important et si le cycle seuil est dépassé de manière exponentielle, alors le résultat positif est confirmé.

« C'est alors que vous savez que vous êtes atteint d'Ebola », explique Brammer avec une distance toute professionnelle et une satisfaction de scientifique, sans le ventre noué par le fait de travailler aussi intimement avec un virus qui cause autant de peur.

D'une certaine manière, le virus Ebola se comporte plus comme une arme chimique qu'une maladie. À maints égards, il est très similaire à l'agent XV : incroyablement mortel, dangereux en tant que liquide, très peu volatil, pouvant s'anéantir quand il entre en contact avec le chlore, la lumière du jour et à une légère exposition à l'air libre. « Les gens se demandaient si nous étions assez entrainés pour faire ce travail, affirme Brammer. On s'est entrainés durant toute notre carrière dans l'armée. »

Les frais de voyage nécessaires à la réalisation de cet article ont été couverts par le Pulitzer Center on Crisis Reporting.