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Condamné pour meurtre, j’ai été innocenté après 21 années de prison

Paranoïa et couteau sous l'oreiller – de la difficulté de reconstruire sa vie après deux décennies de captivité.
Illustration de Matt Rota

Le texte qui suit est un extrait du livre de Alison Flowers, Exoneree Diaries: The Fight for Innocence, Independence, and Identity. Les faits évoqués se sont déroulés dans le comté de Cook – là où se situe Chicago, la capitale américaine des condamnations à tort. Ce livre explore la tournure que prend la vie de personnes innocentes une fois que l'État les jette en prison. Le chapitre ci-dessous revient sur le procès en appel de Jacques Rivera, condamné pour meurtre puis libéré deux décennies plus tard. Après sa libération, Jacques est devenu paranoïaque.

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Jacques Rivera glisse un couteau de boucher sous son oreiller.

Âgé de 46 ans, il se cache chez sa sœur, qui vit dans le nord-ouest de Chicago. Il n'arrive pas à s'endormir. Le temps passe lentement, surtout après minuit.

Jacques n'oubliera jamais ce qui s'est produit la veille, le 4 octobre 2011. Il a enfin recouvré sa liberté – 7 841 jours après avoir été jugé coupable d'homicide volontaire. Il approchait de son 25e anniversaire quand il a été transféré au centre correctionnel de Stateville, une prison de haute sécurité située à Joliet dans l'Illinois. Là-bas, il a passé plus de 20 ans dans une petite cellule de dix mètres carrés.

Ce jeudi matin de 2011, la famille et les amis de Jacques s'installent dans la salle d'audience. Au troisième rang se trouvent ses enfants. À côté d'eux, Jeanette, la sœur aînée de Jacques, respire fort et prie. Gwendolyn, la mère, se tient à quelques centimètres d'elle. Ces dernières années, les deux femmes ont rêvé de la libération imminente de Jacques. Dans leur rêve, il leur disait : Ça va venir. Attendez.

« Levez-vous », ordonne l'huissier.

Neera Walsh, la juge du comté de Cook, débute l'audience par une mise en garde sévère : « Je pense qu'il est inutile de préciser qu'il n'y aura aucun débordement aujourd'hui, peu importe ce qu'il se passe, d'accord ? »

Les proches de Jacques se regardent, essayant de déchiffrer ces paroles. Va-il être libéré ? Ou sera-t-il renvoyé à Stateville pour terminer sa peine de 80 ans ?

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« Vous êtes priés d'éteindre vos portables. Ne les mettez pas en silencieux, ni en mode vibreur, mais éteignez-les. Si vous ne respectez pas la consigne, il y aura des conséquences. C'est compris ? », prévient Walsh.

Le jury délibère et déclare : « Nolle prose. »

« Ce sera un nolle prose », répète la juge.

Jacques n'avait jamais entendu ce terme juridique de sa vie. Nolle prose est l'abréviation de nolle prosequi – locution latine signifiant « abandon de poursuite », plus communément appelé non-lieu.

« M. Rivera, vous êtes libre. Bonne chance à vous », finit par déclarer Walsh.

La foule réagit, essayant de ne pas faire trop de bruit. Jacques secoue la tête – il encaisse le choc. Il fait attention à ne pas trop bouger, de peur que l'huissier de justice ne pense qu'il tente de s'enfuir.

Jacques est libre, oui – mais pas tout à fait. Il y a bien sûr des formalités administratives à régler.

Ses enfants ne peuvent contenir leur enthousiasme plus longtemps – comme des gosses sur le point d'exploser de rire en plein milieu d'une messe. La famille et les défenseurs de Jacques se précipitent hors de la salle d'audience et se mettent à crier et à se congratuler dans le couloir. Ils s'emparent de leur téléphone et envoient des SMS pour répandre la bonne nouvelle.

Jeanette, elle, se rue jusqu'à sa voiture, ouvre la boîte à gants et attrape le portable de son beau-frère pour appeler sa fille et son mari.

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« Il est libre », leur annonce-t-elle.

Pendant la conférence de presse, Jacques fait rire la foule en faisant l'éloge de ses avocats. « L'Amérique a eu sa Dream Team en 1996. La mienne est devant vous ! »

De retour à la prison, des agents escortent Jacques. S'il trébuche, tombe ou se blesse, le Département de l'administration pénitentiaire serait tenu pour responsable.

Jacques ne possède pas d'affaires. Le personnel lui trouve un jean et un t-shirt qui lui conviennent. La procédure de sortie dure plusieurs heures.

Ses avocats, Jane Raley et Judy Royal, l'attendent dans une salle sise dans le bureau du shérif. Jacques se met à pleurer en voyant ces visages rayonnants. Jane défend Jacques depuis près de 10 ans. Elle lui remet une veste de sport des Bears de Chicago – un cadeau de son fils, qui l'attend à l'extérieur.

Un agent vient leur demander s'ils sont prêts. Alors qu'ils se dirigent vers la porte, Jacques commence à faire de l'hyperventilation. Il tente de reprendre son souffle. « Tout va bien », lui dit l'officier pour le calmer. « Si vous voulez revenir en arrière, nous pouvons attendre. »

« J'ai attendu ça 21 ans, répond Jacques. Hors de question que je fasse marche arrière. Je vais de l'avant. » Il baisse la tête et tente de contenir sa nausée. Il passe les portes en compagnie de ses deux piliers – Jane et Judy.

Une vidéo de 14 secondes capture ce moment. Au milieu d'une foule enthousiaste et de caméras, Jacques lève les yeux. Il salue d'abord ses enfants – Jacques Jr., 29 ans, Richard, 27 ans et Jennifer, 23 ans. Ils se précipitent vers lui, défiant les ordres des officiers qui font reculer la foule.

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Après ces longues étreintes, Jacques pose avec ses enfants pour une photo. Ils reproduisent le Polaroid qu'ils avaient pris peu de temps après sa condamnation en 1990. Sur ce cliché, Jacques porte sa petite fille dans ses bras. Son plus jeune fils, Richard, se tient à sa gauche, et Jacques Jr. à sa droite.

« C'est vraiment étrange, vous savez ? » précise Jacques à propos de ces deux photos qui, aujourd'hui, sont juxtaposées dans sa chambre.

Illustration de Matt Rota

Devant les caméras, Jacques enlace sa mère en larmes. « J'avais peur que quelqu'un me pince et me dise que c'est un rêve », précise Gwendolyn Rivera aux journalistes, tandis que son fils entoure ses épaules avec son bras. « Mais c'est un rêve devenu réalité. »

Six micros surgissent devant Jacques. Ses proches ne le lâchent pas d'une semelle. Ses amis portent des affiches mettant en avant un Jacques juvénile, dans la vingtaine. À présent, son visage est barbu, ses traits tirés.

« La ville de Chicago doit connaître la vérité. Je n'ai pas tué ce jeune homme », précise-t-il aux journalistes présents. Sa voix trahit une tristesse mêlée de colère.

Les caméras se tournent alors vers Jane. « Il n'aurait jamais dû être condamné en premier lieu, déclare-t-elle. Il nous a fallu dix ans pour retrouver le témoin oculaire. »

Les journalistes interrogent Jacques au sujet de ce jeune garçon, qui avait témoigné contre lui lors de son premier procès. Cet homme, qui a maintenant la trentaine, s'est rétracté, avouant que tout cela n'était qu'un énorme mensonge qui le hante encore.

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« Je n'en veux pas à Orlando Lopez, précise Jacques. Ce n'était pas de sa faute. Il n'avait que 12 ans. Il a été manipulé. »

Pendant la conférence de presse, Jacques fait rire la foule en faisant l'éloge de ses avocats. « L'Amérique a eu sa Dream Team en 1996. La mienne est devant vous ! »

Les photographes suivent Jacques alors qu'il se réfugie dans sa voiture avec ses enfants et son ex-femme, Sophia – qu'il n'avait pas revu depuis très longtemps.

Jeanette, la sœur de Jacques restée à la maison, l'attend pieds nus dans la rue.

« On aurait dit que c'était le président, se souvient Jeanette. »

Les coups de klaxon vont crescendo. Jeanette va chercher ses chaussures et attend son frère sur le trottoir. En sortant de la voiture, Jacques embrasse sa sœur.

« Oh mon Dieu, je n'arrive pas à le croire, dit-elle. Tu es libre. Tu es là. »

Submergé par l'émotion, Jacques se contente de répondre : « Oui frangine, oui. »

Les voisins commencent à sortir de leur maison, pensant qu'il s'agit du tournage d'un film. Des trépieds envahissent le quartier.

À la maison, une pizza a été livrée. Jacques n'en prend qu'une ou deux bouchées, par politesse. Il transpire, son estomac se tord de nervosité. La maison est bondée de gens munis de leurs smartphones.

Tu es sûr que tu ne veux pas un steak, ou autre chose ?

« On pouvait voir à son visage qu'il se demandait ce qu'il faisait là », se souvient son fils Jacques Jr.

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Une équipe de journalistes frappe alors à la porte. « Non, dis-leur de me laisser tranquille », dit fermement Jacques.

De retour dans la cuisine familiale, Jeannette donne quelques conseils à son frère. Pour commencer, il lui faut une carte d'identité.

« Ne traîne pas vers l'ancien quartier, ajoute-t-elle. Surveille tes arrières. » Elle l'avait déjà perdu une fois. Elle ne voulait pas que cela se reproduise.

« Je sais, je sais, dit Jacques pour la rassurer. Je suis un adulte à présent. Je peux prendre soin de moi. »

Jeanette lui jette un regard inquiet. « Ouais mais là, c'est le monde réel. C'est comme si tu avais dormi sous un rocher et que, tout à coup, tu revenais à la vie. »

Ses proches ne veulent pas le quitter, mais ils ont déjà prévu de se réunir le lendemain matin pour le petit-déjeuner. Pour l'instant, Jacques va vivre avec sa mère dans l'appartement de sa sœur Rose.

Il est l'heure d'aller au lit.

« Tu comptes mettre des barreaux à la fenêtre ? lui demande Jacques. Tu sais, n'importe qui peut entrer par la fenêtre. Tu vas mettre un système d'alarme ? »

« Jacques, personne ne va entrer ici. Tu es en sécurité », lui répond Rose.

Jacques ferme la porte intérieure en verre. Il se dit qu'il pourra au moins entendre le bruit de verre brisé si quelqu'un entre par effraction. Pendant ce temps, les deux Chihuahuas, Tigger et Roo, montent la garde.

Incapable de s'endormir, Jacques se met en tête de trouver quelque chose afin de se protéger. Il va chercher un couteau de boucher et, la lame dans la main, retourne dans son lit.

Alison Flowers est une journaliste d'investigation reconnue qui s'intéresse à la justice sociale et pénale. Son livre Exoneree Diaries : The Fight for Innocence, Independence, and Identity, est disponible chez Haymarket Books.

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