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Sexe

J’ai fait une partie de volley avec les naturistes gays de Moscou

Lénine lui-même considérait le nudisme comme un « puissant principe prolétaire » - j'ai rencontré les types qui continuaient de l'honorer.

Un vent de pudibonderie souffle sur la Russie. Début septembre, « Les Dunes » la plus ancienne plage nudiste de Saint Pétersbourg a été fermée pour « outrage aux bonne mœurs », à la demande du député Vitaly Milonov, déjà auteur en 2013 du projet de loi interdisant la « propagande homosexuelle ». « L'existence de cette plage était scandaleuse, s'est étranglé Milonov. J'avais reçu plusieurs plaintes de la part d'habitants et de visiteurs qui y étaient venus avec des enfants et avaient été choqués par ces pervers. » Après 50 années d'existence, « Les Dunes » s'apprêtent à redevenir « une plage municipale ordinaire ».

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Fort heureusement, on peut compter sur Moscou pour rester au niveau. Il y a encore deux mois, j'ignorais jusqu'à l'existence de la moindre plage naturiste en Russie. Naturellement, quand un ami américain m'a parlé d'une plage nudiste gay dans la capitale russe, j'étais dubitatif. Joel, 30 ans, originaire de Louisiane, s'est installé en Russie il y a six mois. Au cours de cette période il a eu le temps d'assister à de nombreuses descentes de police dans des bars gay, de recevoir des menaces de mort et de se faire interdire par les services secrets toute communication avec son petit ami russe, qui effectue actuellement son service militaire. J'ai toutefois accepté sa proposition.

La palissade qui borde la plage. Un tag y fait la promition d'un site de vente de lubrifiants et de poppers

Au nord-ouest de Moscou, le parc Serebryany Bor (« la pinède argentée ») est un lieu bucolique logé dans une boucle de la rivière Moskova. Chaque été, les habitants de la capitale russe viennent y pique-niquer, boire quelques bières après une balade en vélo, admirer depuis les berges sablonneuses le charme monotone de la skyline moscovite, ou se baigner nus dans un des fleuves les plus pollués d'Europe continentale.

Première surprise : la plage nudiste n'est qu'à dix minutes de marche de l'entrée du parc et n'a rien d'un lieu secret. Sur le sentier longeant les berges, les grands-mères de passage hâtent le pas en cachant les yeux de leurs petits-enfants. Pour remédier à l'embarras, les autorités municipales ont fait construire une palissade, aujourd'hui taguée d'une annonce pour des lubrifiants pas chers. « Ces abrutis l'ont mise au mauvais endroit » soupire Maxime, 27 ans, qui vient presque chaque semaine. Effectivement, loin de séparer les passants des nudistes, la palissade se dresse étrangement entre la rivière et la plage, et nous rappelle, s'il en est encore besoin, combien l'âme russe est pleine de mystères.

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Arrivé sur la plage, j'ai étendu ma serviette avant de me déshabiller et de visiter les lieux. Plusieurs petits groupes étaient en train de jouer au ballon, tandis que d'autres bronzaient tranquillement. Tous voulaient profiter à fond des dernières belles journées d'août pour prendre quelques couleurs avant que Moscou ne redevienne pour longtemps un vaste Mordor hivernal.

Babouchka en pleine partie de beach-volley

Non loin, une bande d'amis jouent au beach volley. Lunettes de soleil sur le nez, Sergueï, colosse de 38 ans, enchaîne les smashs à grands coups de paluche. À chaque frappe il vise « Ossétie », un comptable au visage doux originaire de la République caucasienne, qui se récrie pour de rire des taquineries de son camarade. À côté de lui, un petit bonhomme maniéré gémit à chaque fois qu'il touche une balle. Ses amis l'appellent Babouchka, « mamie » en russe, « la plus vieille folle de la compagnie » s'amuse Sergueï. Musclé et glabre, « Mamie » a un visage de taulard et un corps de karatéka.

Au total, une cinquantaine de nudistes dont quelques femmes flânent au bord de l'eau. L'âge moyen semble tourner autour de 30 ans. « Il faut venir en juillet, quand la plage est remplie de jeunes de 20 ans », me conseille Aliocha, un quarantenaire bedonnant. La chaleur est accablante, les amis se dirigent vers la Moskova pour un plongeon rapide.

Sergueï et Babouchka

En 2013, un rapport de Greenpeace dénonçait la quantité affolante de métaux lourds et d'hydrocarbures présents dans le fleuve, mais il en faut plus pour empêcher la baignade des ours slaves. Ces ablutions faites, le groupe s'en retourne vers ses serviettes, rafraîchi et ravi, pour un pique-nique composé de saucisses, de bières et de beignets frits.

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Près d'une paillotte, des tables sont installées et les baigneurs sirotent une bière à l'ombre. « Cela fait plus de vingt and que les nudistes viennent ici, c'est un endroit unique à Moscou, m'explique le barman. Légalement c'est une plage naturiste comme les autres, mais la communauté gay a adopté l'endroit dans les années 1990 » poursuit-il, « tout le monde le sait d'ailleurs, mais personne ne vient leur chercher l'embrouille, c'est calme ici. »

Sergueï

À quelques dizaines de mètres, plusieurs policiers à cheval font leur apparition. Immobiles, ils scrutent la plage. L'espace d'un instant, on pourrait imaginer une terrifiante charge de cavalerie sur les estivants paniqués, les forces de l'ordre fonçant dans un maelström de sable et de saucisses froides, distribuant du haut de leurs montures des coups de matraque sur le crâne des volleyeurs pendant que les plus chanceux s'enfuient, nus et hurlant, vers la sécurité de la forêt. Il n'en est rien. Après s'être rincés l'œil, les policiers tournent bride et s'en retournent d'où ils sont venus. « Jamais ils ne nous embêtent, on est tranquille ici » sourit Ossétie.

Ossétie

Le naturisme est une institution dans le pays, mais pour combien de temps encore ? La Russie compte plusieurs dizaines de plages nudistes et naturistes légales, certaines vieilles de plus d'un siècle, et Lénine lui-même considérait le nudisme comme un « puissant principe prolétaire ». Des processions nudistes se tinrent d'ailleurs régulièrement dans les rues de Moscou jusqu'au début des années 1930. Staline s'empressa de remettre de l'ordre dans le pays en réaffirmant les vertus prolétariennes des vêtements chauds et de la déportation de masse, mais la relative libération des mœurs qui suivit sa mort en 1953 permit au naturisme de retrouver en Russie un succès qui ne s'est jamais démenti par la suite. Reste aujourd'hui à espérer que le sursaut conservateur à l'œuvre depuis le retour de Vladimir Poutine au Kremlin ne signe pas l'arrêt de mort de ce petit coin fantasque au cœur de Moscou.

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Toutes les photos sont de l'auteur et publiées avec l'aimable autorisation des modèles.