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Sexe

J'ai essayé de vendre mes culottes sales – et ce n’est pas le filon du siècle

Requêtes clients, SAV, conversations indiscrètes : la vente de sous-vêtements souillés n'est pas aussi simple que je ne l'espérais.
vendre ses culottes

Une nuit, alors que j'errais sur Facebook, je suis tombée sur un article intitulé « Les filles, vos culottes sales sont une mine d'or ! ». La pratique n'a absolument rien de nouveau – le marché de sous-vêtements souillés a connu une grande expansion à l'aube des années 2000, et leur vente a même fait l'objet d'une restriction d'âge au Japon. Encore aujourd'hui, nombre de sites dédiés à ce business fourmillent sur Internet – ce que je peux comprendre, pour avoir déjà été en dèche au point de recenser tous les objets que je possédais afin de les revendre. C'est donc dans cet état d'esprit que j'ai cliqué sur le lien, et ainsi appris que l'on pouvait gagner jusqu'à 300 euros par petite culotte. Il ne m'en fallait pas plus pour me convaincre de tenter l'expérience.

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Quand j'ai annoncé fièrement à ma pote Lisa* que j'allais vendre mes dessous sales, elle m'a sobrement rétorqué « Tu t'es crue dans Orange is the new black ? ». C'était plus ou moins le cas. Je m'imaginais en train de m'inscrire sur une version glauque du site Le Bon Coin, mettre une annonce avec une photo de mes petites culottes, une courte description de ma personne, et le tour serait joué. Certes, je me doutais bien que les acheteurs ne seraient pas des maniaques de la propreté désireux de payer pour le simple plaisir de laver du linge. Mais ça ne me dérangeait pas spécialement de visualiser des inconnus utiliser ma lingerie pour assouvir leur fantasmes. J'ai quand même pris la peine de demander son approbation à mon copain, lequel s'en fichait aussi. Ma décision était prise – j'avais enfin l'opportunité de donner un second souffle à mes culottes tachées à vie par mes règles et tragiquement laissées à l'abandon.

Après une petite recherche « Vendre culottes sales » sur Google, j'ai constaté que beaucoup de sites semblaient surtout proposer des showcam. J'ai finalement opté pour vends-ta-culotte.com (ou VTC pour les intimes), attirée par sa charte graphique aux tons pastels et son allure innocente. Au début de l'inscription, le site rappelle que « Les rencontres réelles rémunérées sont strictement interdites ». Cela m'a confortée dans l'idée que je n'allais que vendre des culottes et rien de plus – naïve que j'étais.

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Quelques exemples d'annonces qui circulent sur VTC

VTC m'a ensuite invitée à remplir mon profil : description, encarts tels que « Est-ce que je fume », « Mes origines », « Qu'est-ce qui me rend toute humide » ou encore « Le style de ma petite foufoune », et bien entendu la possibilité de mettre des photos. Ça m'a fait penser à Adopte un mec, en bien plus indiscret. Et puis il y a la partie privée, où on m'a demandé de prouver mon identité pour être reconnue comme une « Fille certifiée ». Pour obtenir ce statut, il faut envoyer une copie du recto et du verso de sa carte d'identité, ainsi qu'une photo de soi en train de tenir ladite carte – cependant, être une « Fille certifiée » n'est pas obligatoire pour être membre et vendeuse. Paranoïaque et peu sereine à l'idée que quelqu'un puisse découvrir ma véritable identité sur un site où j'allais vendre mes vieilles culottes, j'ai sauté cette étape, et je suis devenue « Lola Massou », allant même jusqu'à créer un compte Gmail à ce nom pour m'enregistrer sur le site.

J'ai dû immédiatement me faire une raison : au départ, je m'imaginais pouvoir en rester au strict minimum et ne publier que des photos de mes culottes sales. Mais j'ai réalisé que pour décrocher une chance de vendre mon odeur, il me fallait vendre mon image. Sur le site, beaucoup de filles n'hésitent pas à mettre des photos d'elles complètement nues, ou même avec un sextoy au bout des lèvres – les quatre, qui plus est. Même s'il était hors de question d'en arriver là, je me suis laissée prendre au jeu et j'ai posé quelques limites : jamais de photo de mon visage, jamais de photo sans sous-vêtement, jamais de showcam – uniquement de la vente de culottes/strings.

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Très vite, un problème s'est imposé à moi : je suis une maniaque de la propreté corporelle, en particulier vis-à-vis de mes parties intimes. J'ai dû me forcer à porter les mêmes sous-vêtements plusieurs jours ou, à l'apogée de mes ventes, ne pas mettre de protection durant la fin de mes règles. Sans surprise, ce milieu n'a rien de très virginal – la règle d'or pourrait plus ou moins se résumer à « plus ça sent, plus ça vend ». Selon le co-créateur du site Vends ton slip, 72 % des acheteurs de petites culottes sales se déclarent excités par l'odeur.

En plus de cette contrainte hygiénique, j'ai dû faire face à un autre désenchantement : l'échange de messages était obligatoire. Pour vendre, il fallait parler de soi, expliquer ce que l'on aime dans le fait de vendre ses culottes – ou de quelles odeurs se rapprochent le plus celles ci –, faire semblant d'être intéressée, et créer du fantasme. Certains acheteurs ont même demandé à ce que l'on devienne amis, soit à peu près tout ce que je voulais éviter à tout prix. Mais Lola, mon alter ego virtuel, m'a aidé à broder des mensonges et à prendre de la distance.

Peu à peu, j'ai commencé à proposer des collants, des bas, et des soutiens-gorges en plus des sempiternels strings et petites culottes. J'ai aussi commencé à augmenter mes prix, les faisant varier de 15 à 30 euros. Je définissais mes prix en fonction du temps que j'avais passé à salir un article, ou de la qualité originelle de celui ci (sa matière, sa marque, son âge). J'ai ajouté plus de photos à la demande des clients, jusqu'à en poster une de ma bouche. Mes limites s'estompaient progressivement. Puis il y a eu les demandes spéciales, c'est à dire salir une culotte d'une certaine manière pour un client en particulier. Par exemple, un type m'a demandé de porter la même culotte une semaine, jour et nuit, en me demandant de prendre des photos de moi dans cette culotte, puis juste l'intérieur pour voir son évolution, avant de lui envoyer le dessous et l'ensemble des images. Il proposait 90 euros pour le tout. J'ai refusé. Je commençais à me lasser,fatiguée de parler avec des mecs dont je me fichais éperdument et du temps que ça me prenait.

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Un certain malaise a fini par s'installer dans ma relation amoureuse. Mon copain avait beau tenter de me faire croire qu'il ne désapprouvait pas mon activité, je sentais un mélange de peine, de stress et de jalousie dans son regard. Il partait néanmoins du principe qu'il n'avait pas à m'influencer dans mes choix, et que je devais être libre d'agir comme s'il n'existait pas dans ma vie.

Un soir, Jean* m'a demandé un ShowCam. Je n'avais encore jamais accepté, et je ne comptais pas changer d'avis sur la question. Il m'a assuré qu'il n'achèterait pas de sous-vêtements, qu'il n'était pas là pour ça. Il m'a alors proposé un Skype, sans caméra, juste avec le son. Il m'a assuré qu'il voulait entendre ma respiration, rien de plus, et proposait 30 euros pour trois minutes. J'ai accepté. J'entendais sa respiration, il entendait la mienne – rien à signaler tout au long de la première minute, jusqu'à ce qu'il se mette à émettre de légers gémissements. Du sexe virtuel, en somme. Comme prévu, il a raccroché au bout des trois minutes. Par message, je lui ai demandé s'il avait joui, ce à quoi il a répondu oui avant de me remercier.

Cette nuit-là, j'ai décidé de supprimer mon profil. Après m'être délestée d'une vingtaine de sous-vêtements en deux mois, je me sentais aussi sale que mes culottes.

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Quelques extraits de discussions entre l'auteure et des clients/vendeuses du site

Histoire de ne pas rester sur cette note plutôt négative, j'ai décidé de rédiger cet article pour évoquer mon expérience. En conséquence, j'ai ouvert un nouveau compte sur VTC, dans le seul but de récolter d'autres témoignages. J'ai contacté une trentaine de profils, et obtenu très peu de réponses. Les membres ne sont pas très causants quand il s'agit d'expliquer pourquoi ils aiment vendre ou acheter des sous-vêtements sales. Une personne m'a soupçonnée d'être flic ; une autre d'être un pervers cherchant à obtenir plus d'informations sous un faux compte. J'ai fini par récolter les réponses ci-dessus, et j'ai pu m'entretenir avec Paul – qui se fait appeler le « Concierge » –, l'un des trois membres fondateurs du site, afin d'en savoir plus sur sa genèse.Il y a cinq ans, Paul a entendu parler d'une tendance japonaise qui consiste à vendre ses sous-vêtements sales, le « Burusera ».

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L'idée lui est restée en tête, et il a rejoint deux de ses amis informaticiens pour leur en parler : « On buvait des coups, et on a décidé de créer le site Vends ta culotte. C'était en février 2011, et ça n'existait pas encore en France », m'explique-t-il. Aucun d'eux ne s'attendait à ce qu'il y ait autant d'intéressés – si bien qu'ils ont aussi créé vends-ton-slip.com en mars 2012, pour qu'il n'y ait pas de jaloux.

Je lui ai demandé si à l'origine VTC était destiné à être si salace : « Non, on pensait que les filles voudraient s'en tenir à la vente de sous-vêtements. Mais peu à peu, on s'est rendu compte qu'elles vendaient aussi des sextapes ou des photos, donc on a décidé de modifier le site pour leur faciliter la vente de nouvelles spécialités. » Au fil du temps, les trois amis sont eux aussi devenus amateurs de petites culottes – il leur arrive d'ailleurs d'acheter des produits sur leur propre site. Il me raconte que quelques membres du site se rencontrent, certains se sont mariés, d'autres sont devenus amis. « Récemment, j'ai appris que six membres devenus potes, femmes et hommes, sont partis en vacance ensemble, avec leurs conjoints. Le site permet de se confier à d'autres, car certains ne peuvent pas parler de leur fétichisme autour d'eux et entretiennent un jardin secret. Vends ta culotte, c'est le jardin secret des spécialités maison. ». Il m'explique aussi que le site aide certaines filles à prendre confiance en elles, qui se sentent valorisées et s'acceptent mieux.

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J'ai aussi pu m'entretenir avec Sophie*, une étudiante de 26 ans qui comme moi est venue par curiosité et pour l'argent facile. «Je pensais vendre une culotte dans le pire des cas, mais le premier mois je me suis fait un beau paquet d'argent (plus de 2 000€) », m'a-t-elle confié. « Il faut être prévenu : la plupart sont juste à la recherche d'une âme charitable pour parler, une grande partie cherche aussi à avoir des Shows et se moquent du but premier de ce site, les dessous. »

Tout de suite, j'ai pensé aux personnes qui, à l'instar de Jean, n'achèteront jamais de culotte mais viennent pour les à-côtés plus cochons. « Je m'intéresse plus aux personnes et au pourquoi de ce qui les amène à me faire ces demandes », a poursuivi Sophie. « En conséquence, je me suis vite faite " bouffer". Tout en gardant un recul et une froideur sur chaque demande, aussi farfelue soit-elle (porter une combi de bébé, les habituels amateurs de caca et de pipi [ poétiquement dénommés caviar et champagne sur le site]). Je me contente d'envoyer des culottes, photos et vidé os. »

Elle dit n'en tirer aucun plaisir, pour elle il ne s'agit que d'un job d'appoint. Elle avoue culpabiliser un peu de profiter de la solitude et détresse morale des hommes sur ce site. « J'apporte du bonheur, et ils m'en apportent en retour à la fin du mois. » C'est plus ou moins la clé du succès dans le business des culottes sales : il faut savoir rester de marbre et jouer un rôle (à moins qu'il ne s'agisse d'un fantasme personnel). Nos culottes sont peut-être des mines d'or, mais il faut creuser profond et se salir les mains avant d'entrevoir la couleur de l'argent.

*Tous les noms ont été modifiés.

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