Sofiane Tergou, le modeste joueur de CFA devenu MVP en NCAA

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Football

Sofiane Tergou, le modeste joueur de CFA devenu MVP en NCAA

Après sa licence, l’Alsacien a intégré une université américaine avec qui il a été sacré champion. Il vient aujourd’hui de signer un premier contrat pro outre-Atlantique. Rencontre.

Aux Etats-Unis, le soccer est loin d'être le sport phare. Il reste mineur face aux mastodontes que sont le basket, le football, le baseball ou encore le hockey sur glace. Néanmoins, il se développe. La barre des 4 millions de licenciés a été dépassée. L'arrivée de stars vieillissantes (Drogba, Pirlo, Henry, Gerrard, Beckham) en Major League Soccer (MLS) a permis au football sauce américaine de profiter d'une exposition plus large dans les médias européens.

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Que ce soit chez les filles ou chez les hommes, l'afflux de jeunes footballeurs du monde entier grossit également. Les athlètes viennent outre-Atlantique pour étudier grâce à leur bourse universitaire. Et le nombre de Français osant faire le grand saut s'accroît. En mars 2015, la Fédération française de football a signé un partenariat avec l'University Elite Athlètes [représentante officielle de la MLS en Europe, ndlr] pour permettre aux ''oubliés'' des centres de formation de s'offrir une solution de repli.

Sofiane Tergou n'a pas attendu ce partenariat pour tenter sa chance. À 24 ans, l'Alsacien est bien installé aux Etats-Unis. En 2014, grâce à FFFUsa, il s'installe à la Southern New Hampshire University (SNHU) et dispute la NCAA. Cette année, il a signé un contrat professionnel avec les Rochester Rhinos (3e division). Entre-temps, il a été champion en Indoor Soccer. Toujours accroché à son rêve de MLS, l'Alsacien se donne les moyens de son ambition.

« Le football et moi, c'est une longue histoire » Sofiane est né avec un ballon rond. Seulement 24 bougies au compteur et déjà des milliers de kilomètres parcourus à dribbler, tirer, passer, tacler. Comme souvent, le football est une histoire d'héritage. Elle débute à Bitche, bourgade lorraine d'environ 5 300 habitants. Djelloul, le père, joue dans l'équipe locale. Par mimétisme, le fils va chausser les crampons à son tour. « Je le suivais partout. Avec mon petit frère, on jouait au football partout. Sur les bords du terrain, à la maison ou encore au parc en face de la maison. » Le paternel devient le premier coach de Sofiane et Houria, la mère, dirigeante. Chez les Tergou, le ballon rond est une religion.

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La technique et la vision du jeu du Bitchois ne laissent pas insensibles. Sa réputation enfle. Il rejoint Sarreguemines à 30 kilomètres, afin d'y intégrer la section sportive du collège Jean-Jaurès, partenaire du FC Metz, en août 2002. Éducateur sportif, Eric Becker va suivre Sofiane tout au long de son adolescence. Leur rencontre s'avère décisive, une relation privilégiée naît. « Dès son plus jeune âge, Sofiane avait du ballon, une intelligence de jeu et une envie de réussir quelle que soit la spécialité dans laquelle il se lançait, se rappelle Eric Becker, toujours en contact avec Sofiane et sa famille. Il a toujours voulu exceller. » L'ainé de la fratrie Tergou (un frère et une sœur) joue au plus haut niveau régional, mais n'intègre jamais un centre de formation. « Je n'ai jamais vraiment eu l'opportunité d'y aller. Je n'y ai jamais pensé. Aucun regret. Les scouts ont sûrement jugé que je n'avais pas le potentiel. De surcroît, finir en centre de formation ne garantit guère de finir en Ligue 1. » Pas grave, il s'éclate en DH. À 17 ans, son coach le lance dans le grand bain. Eric Becker l'a toujours encouragé à se dépasser, conscient de son potentiel. « Lorsque Sofiane se sent en confiance dans le groupe dans lequel il vit, se sent en confiance avec l'autorité au-dessus de lui, à savoir le coach, on peut alors voir le meilleur de ce qu'il peut vous proposer, souligne Eric. Ce confort mental le libère et lui permet de s'éclater et de pouvoir changer la physionomie d'un match à lui tout seul ».

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Serein sur le pré, il l'est tout aussi dans son quotidien. Bac S en poche, il intègre l'université en STAPS. La notion de travail est primordiale. Tous les étés, Sofiane se lève à 4 heures pour aider son père, ouvrier chez De Dietrich. Le respect avant tout. C'est sûrement l'une des qualités qui lui a permis de rejoindre Sarre-Union en CFA après deux ans en DH à Reipertswiller sous les ordres d'Eric Becker. Dans la commune du Bas-Rhin, ce dernier fait avancer Sofiane sur le terrain. L'ancien numéro 6 évolue maintenant en 10, voire en 9. « Pourquoi ce choix ? Technique hors norme, intelligence de jeu, capacité de dribbler, de distribuer ou de finir, joueur altruiste » , se justifie le coach.

Sofiane inscrivant un but en Indoor. Photo DR

Dans un coin de sa tête, Sofiane rêve d'un pays bien loin de sa Lorraine natale : les Etats-Unis. « J'ai toujours eu cette volonté de partir aux Etats-Unis que ce soit pour la culture ou le respect envers les sportifs. À la fin de ma licence, j'ai eu l'opportunité de continuer mes études [Master en marketing, ndlr] et d'évoluer à un bon niveau. En France, je n'aurais pas pu continuer mes études et jouer en CFA au vu des nombreuses contraintes engendrées. » En contact avec Jerome Mary et Edouard Lacroix (FFFUsa), il est conseillé dans ses démarches pour rejoindre une université. « Un vrai parcours du combattant », souffle-t-il. Tests d'anglais, visa, bulletins, tout y passe. À la fin du processus de recrutement, et après avoir envoyé des vidéos de ses exploits, plusieurs équipes lui font la cour. Finalement, son choix se porte sur la Southern New Hampshire University qui propose l'un des meilleurs programmes de soccer. « C'était un nouveau challenge, j'étais vraiment impatient. Il y a toujours une certaine appréhension quand vous faites le grand saut, mais j'étais persuadé que tout allait bien se passer , explique-t-il avec du recul. J'étais préparé et sûr de moi. De plus, j'avais le soutien de ma famille. »

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Motivé comme jamais, le milieu de terrain débarque chez l'Oncle Sam, éligible pour 2 ans seulement [un joueur l'est pour 5, mais il avait déjà fait 3 pour sa licence en France, ndlr]. Il passe son master et joue avec les Penmen (surnom des joueurs de SNHU). Travailleur, il s'impose rapidement dans un championnat dont le niveau fluctue. « Il est, en moyenne, équivalent à la CFA 2. Or, certaines équipes ne sont pas au niveau du fait du manque de budget, décrit-il. Il y a des facs qui privilégient le football américain, le basket ou le baseball. » Ce n'est pas un problème à SNHU. L'université investit énormément dans le soccer afin de recruter les meilleurs joueurs. L'effectif est cosmopolite : un Brésilien, un Haïtien, un Congolais, un Islandais, un Japonais et plusieurs Français dont Rayane Boukemia, ami de Sofiane. Les deux amis ont fréquenté la Licence STAPS management du sport à Strasbourg et jouent ensemble dans l'équipe de l'université. « Sofiane, c'est bien plus qu'un pote, c'est un frère pour moi. » Les frangins de cœur partageaient le même objectif : partir de l'autre côté de l'Atlantique. Le joueur de Sarre-Union est le premier à franchir le pas. Celui de Schiltigheim suivra l'année suivante. Comme une évidence, leur rencontre se déroule sur le rectangle vert, Rayane sourit encore. « J'aperçois Sofiane et je me dis que ce joueur c'est l'archétype du français d'origine maghrébine : technique, bouffeur de ballons, mais qui n'aime pas défendre et qui n'aime pas aller au duel. Au bout de 10 minutes, j'ai vite compris que j'avais raison sur la technique. En revanche, le mec gagnait tous ses duels au milieu ! »

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Les deux amis ne vivent pas au sein du campus mais dans un appartement prêté par la fac. « Je le partageais avec d'autres Frenchies de l'équipe et un Américain, décrit Sofiane. Nous vivions au 2e étage et au 1er, il y avait d'autres joueurs de l'équipe. C'était vraiment bien et cela nous permettait de nous détacher un peu de la vie sur le campus. » Sur le campus, les sportifs – français ou pas - ont d'ailleurs un certain succès avec la gent féminine.

Tous les jours, les Penmen [surnom de l'équipe, ndlr] vont au charbon. Entraînement de 13 heures à 15 heures, deux matches par semaine, le mercredi et le samedi. En deux saisons, le palmarès de Sofiane s'étoffe : deux titres de conférence, un titre de MVP (!!) ainsi qu'une sélection dans la All-Star team USA, l'équipe des meilleurs joueurs NCAA de l'année. « J'étais très heureux et encore plus fier, car c'est le vote des coachs qui est pris en compte. J'étais encore plus motivé et déterminé d'aller au bout de mes objectifs. » Malheureusement, SNHU s'inclinera aux tirs au but lors des matches nationaux. Une déception. Entre-temps, le Français découvre les joies de l'Indoor Soccer League avec le Baltimore Blast en Major League Soccer Arena. Il profite de la fin de la saison (décembre) pour pratiquer cette nouvelle discipline.

Venu pour humer les terrains – très souvent - synthétiques de la NCAA et se battre pour intégrer la MLS, Sofiane se retrouve donc à jouer devant 10 à 12 000 spectateurs dans des arènes fermées ressemblant à un terrain de hockey. « C'était la folie » , confie le jeune homme. Une invention américaine. Bien qu'habitué au futsal, la pratique est différente. Sur le terrain, 12 joueurs s'affrontent (10 joueurs + 2 gardiens) en quatre quart-temps de 15 minutes. Le terrain est délimité en trois zones : défensive, milieu de terrain, offensive. Il est impossible de balancer des ballons de la zone défensive à offensive. Mieux, en cas de grosses fautes ou mauvais coups, les joueurs peuvent recevoir un carton bleu et finir dans une sorte de box comme au hockey ! L'équipe est alors en infériorité numérique pendant 2 minutes. « Je n'ai pas encore eu cette chance , s'esclaffe Sofiane. C'est une sacrée expérience, c'est un vrai spectacle. L'ambiance est incroyable, on ne s'entend pas sur le terrain. »

L'Indoor Soccer existe depuis les années 90. Avant la création de la MLS, c'était le championnat numéro 1 aux Etats-Unis. « Les dirigeants nous ont montré des vidéos des années 90, c'était du grand délire ! Inimaginable ! Je me demande pourquoi on nous cache cette pratique. » Pour signer au Baltimore Blast, Sofiane a envoyé une vidéo de ses exploits à Danny Kelly, coach de l'équipe historique. Ce dernier a tout de suite été emballé. « Il avait vraiment beaucoup de qualités : bon dribbleur, bon passeur, bonne vision de jeu, bonne finition. Nous savions qu'au début cela allait être difficile pour lui de s'habituer aux règles. Il devait être efficace rapidement. Nous avons travaillé pour. » Une saison haletante. Le Français et ses coéquipiers parviennent à se hisser en finale contre les Soles de Sonora, une équipe mexicaine. En tout, ils étaient dix-sept au début du championnat et il n'en restera qu'une. Chez eux, le Blast gagne le premier match, le retour fait partie de la légende. « Nous avons gagné le match 2 chez eux grâce à un but en or qui nous offre le titre, résume le Français très enthousiaste. Le stade était plein à craquer dans une ambiance exceptionnelle. Il y avait 9 000 personnes contre nous. C'était magique ! C'est mon meilleur souvenir en tant que footballeur et je ne sais pas si je vais avoir la chance de revivre un tel moment. » La chenille est devenue papillon. Comme toujours, Sofiane s'est imposé en Indoor grâce à ses qualités naturelles, mais aussi beaucoup de travail. « Dès que nous avions fini une session d'entraînement, il venait demander du rab , explique Danny Kelly . Il voulait comprendre et être plus efficace. Ça représente bien son caractère. Il veut se dépasser. »

Sofiane a été sacré champion en Indoor Soccer. Photo DR.

Cette saison, Sofiane s'est engagé avec Rochester en 3e division. Il a eu quelques contacts avec la MLS, mais sans succès. La draft ? Mission quasi-impossible. « Mon assistant coach m'a dit que si j'avais été Américain… Il y a un nombre limité de joueurs étrangers en MLS. Ils préfèrent garder les places pour des stars comme Gerrard, Drogba, etc. » L'objectif est de décrocher un second titre d'affilée. Les infrastructures sont excellentes et le coach fait confiance au Lorrain. L'effectif est jeune et talentueux. Tout est possible.

Professionnel, il se voit jouer encore 2 ou 3 saisons aux USA. L'avenir, il y pense. Ouvert à l'Europe, l'Amérique du Sud ou encore l'Asie, Sofiane envisage toutes les possibilités. Il sait très bien qu'il ne jouera jamais au Real Madrid ou à l'OM, or le football lui permet de gagner de l'argent et il compte en profiter. Évidemment, sa famille lui manque. Son frère et sa sœur sont déjà venus lui rendre visite plusieurs fois. « Mes parents n'ont pas encore eu l'opportunité de se rendre aux Etats-Unis, mais ça ne devrait tarder, explique-t-il. Je suis rentré qu'une seule fois en 2 ans. Parfois, c'est difficile. » Que ce soit Eric, Rayane ou encore Danny, ils croient tous en un avenir radieux concernant la carrière de Sofiane. La MLS leur semble être un objectif viable. Seul l'avenir en décidera.