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Drogue

La vie secrète des héroïnomanes pleinement intégrés à la société

On a discuté avec des personnes qui vivent comme tout un chacun – à ceci près qu'elles nourrissent une addiction qui pourrait leur être fatale.
Photo : Boris Roessler/DPA/PA Images

À en croire le dernier rapport annuel de l'Observatoire européen des drogues et des toxicomanies, le nombre de décès par overdose « principalement liés à l'héroïne et à d'autres opiacés » est en hausse. En France, on dénombre un plus grand nombre de consommateurs de cannabis (22,1 % de jeunes âgés de 15 à 34 ans sur l'année 2015), de cocaïne, de MDMA et d'amphétamines que d'héroïne. Ainsi, la France est loin d'être le cas le plus alarmant en termes de décès par overdose – avec 349 morts recensées sur l'année 2013. Mais plus récemment, le bureau de l'intérieur du Royaume-Uni comptait 3 744 morts liées à la drogue en Angleterre et au Royaume-Uni en 2016 – soit 70 personnes de plus qu'en 2015, et dont 1 209 sont liées à l'héroïne et/ou à la morphine. Si on évoque souvent le sort des héroïnomanes marginaux, on parle bien plus rarement de ceux qui sont pleinement intégrés à la société : des gens qui cachent souvent leur addiction à leur entourage, et donnent l'impression d'avoir un contrôle total sur leur vie. Étant moi-même grandement influencé par le traitement médiatique des problématiques liés à l'héroïne, j'avais beaucoup de mal à imaginer des héroïnomanes éloignés d'un environnement sinistre à la Trainspotting. Pour en savoir plus, j'ai discuté avec des personnes qui avaient consommé – ou consommaient encore – de l'héroïne afin d'en savoir plus sur leur manière de gérer leur addiction au quotidien.

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Jane, 29 ans

« Je travaille à la direction d'un groupe bancaire. Je suis assez douée dans ce que je fais, j'ai une augmentation chaque année et j'obtiens souvent de très bons retours de la part de mes collaborateurs. Je fume de l'héroïne régulièrement. En revanche, je n'ai jamais voulu m'en injecter, et je sais que je ne le ferai jamais. Chaque jour, je commande trois petits sachets à 10 euros, même si ça tend à légèrement fluctuer – parfois c'est moins, parfois c'est plus. Je me réveille et j'en consomme juste avant mon café du matin. Je profite de ma pause déjeuner au boulot pour fumer deux lignes dans les toilettes pour handicapés. Ensuite, j'en refume après avoir couché mes enfants. Je sais que je n'arriverais pas à être moi-même si je ne consommais pas d'héroïne – mais je fais très attention à ne pas trop en prendre, sous peine d'être incapable de faire quoi que ce soit. Je n'ai confié « mon secret » qu'à trois personnes : mon meilleur ami, mon partenaire et le père de mes enfants. J'ai la chance de bien m'entendre avec ce dernier : il ne boit pas, ne se drogue pas – et le fait d'avoir son soutien compte énormément pour moi. Mes amis, collègues, voisins et connaissances ne savent rien de ma double vie. L'astuce, c'est de prendre toujours soin de son physique. C'est assez fascinant de voir à quel point les gens jugent sur les apparences. Personne ne vous qualifiera de ramasse si vous avez l'air d'avoir votre vie en main. Si j'avais plus de contrôle sur mon addiction, je ne consommerai que le week-end. Mais c'est assez flippant de voir à quelle vitesse on peut passer d'une consommation occasionnelle à une consommation quotidienne. On devient très facilement accro. Les gens commencent à prendre des drogues pour de nombreuses raisons différentes. En ce qui me concerne, j'étais dépressive. Je ne savais pas quoi faire pour me sentir mieux, et je sais qu'il me faut désormais du soutien, sans peur d'être jugée. Je préfèrerais mettre fin à mes jours que mon entourage l'apprenne – je ne m'en remettrais pas.

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Christopher, 34 ans

Quand j'ai commencé à consommer de l'héroïne, je fumais environ un gramme par jour. Puis je me suis mis à me piquer, et je dépensais 80 à 110 euros par jour. Le matin, j'ai toujours besoin de prendre 0,4 grammes pour tenir la journée. Avant, j'étais propriétaire d'un restaurant de vente à emporter. J'avais une équipe très compétente et une maison collée à mon lieu de travail, ce qui me permettait de consommer tranquillement. Je me suis aussi mis à importer et distribuer du diazépam, j'ai fait ça pendant environ huit ans. J'ai finalement été arrêté et j'ai écopé de 20 mois de prison ferme. Je me considère désormais comme un consommateur récréatif. Je pourrais prendre de l'héroïne une fois par semaine, comme une fois par mois ou une fois par an. Par le passé, j'étais beaucoup plus accro - sur le plan physique comme psychologique –, mais j'ai été capable de freiner sans aide extérieure. Ma famille sait que j'étais accro à l'héroïne, mais je ne leur ai rien dit sur ma consommation occasionnelle d'opiacés. Par contre, ma copine - avec qui je vis - est au courant de tout. Je ne ressens pas le besoin de lui cacher quoi que ce soit. L'approche d'aide active aux toxicomanes dépend de deux choses : est-ce que le consommateur veut arrêter de consommer de l'héroïne, ou veut-il vivre correctement tout en continuant à en prendre ? Dans tous les cas, je trouve que les héroïnomanes sont souvent perçus comme le sont les sans-abri. Les gens finissent par se dire : « C'est leur vie, leurs choix – leur problème. »

Charles, 43 ans

J'ai désormais une routine. Je me lève, je prends 1 mg de Subutex, je vais au boulot et je recommence. Quand j'étais toxicomane, j'achetais un gramme tous les soirs et j'en fumais seulement la moitié. Le matin, je me levais une heure plus tôt pour fumer le reste.

J'étais un toxicomane, et j'imagine que je le suis toujours – mais avec une ordonnance. Il m'arrive aussi de succomber à mes vieux démons, à raison d'une fois par mois.

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Je suis un ingénieur qualifié, mais en ce moment je travaille en tant qu'opérateur de machine. Mes collègues savent pertinemment que je suis un ancien toxicomane, et tant que je travaille correctement, il n'ont aucun problème avec ça.

Mon épouse en prend avec moi. Mes enfants ne sont pas au courant, à l'exception de l'aîné qui a 19 ans. Sa mère a fait une overdose il y a quelques années et c'est comme ça qu'il l'a découvert. Mon travail, mes enfants et mes factures passent quand même systématiquement avant n'importe quelle drogue, quel que soit son degré d'addiction.

J'aurais vraiment aimé n'avoir jamais essayé la drogue, mais c'est difficile de se sortir ça de l'esprit. J'ai fait au moins dix sevrages brutaux. J'ai essayé toutes les méthodes et les substituts qui existent, mais c'est encore pire à mes yeux.

*Ces noms ont été changés.

Merci à Dan Owns de Sesh Safety pour son aide.

@Gobshout

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