Euthanasie amoureuse : une brève histoire des couples en fin de vie qui décident de se tuer
Toutes les images sont tirées du film « Amour » de Michael Haneke, 2012.

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Crime

Euthanasie amoureuse : une brève histoire des couples en fin de vie qui décident de se tuer

Au cours de ces dernières années, plusieurs Français ont délibérément tué leur conjoint pour éviter de les voir sombrer dans la démence.

Cour d'appel de Nancy, avril 2017. Une dizaine de personnes âgées se précipitent vers l'accusé pour le serrer dans leurs bras, heureux du verdict qui vient de tomber. Le petit homme qui siège aux côtés de son avocat depuis le début de son procès ne sait manifestement pas où il est. Il semble hagard. La présidente est obligée de s'adresser à lui et de lui expliquer ce qu'il vient de se passer. Rémo Cipriani, 87 ans, vient d'être condamné à cinq ans d'emprisonnement assortis d'un sursis de trois ans pour avoir tué sa femme malade en 2015 à Gélacourt, en Meurthe-et-Moselle, conformément aux réquisitions de l'avocat général l'après-midi même. « Vous êtes reconnu coupable mais vous n'irez pas en prison Monsieur, vous avez déjà effectué votre peine », lui explique, en articulant, la présidente de la cour d'assises. Ils s'aimaient depuis 59 ans, mais l'octogénaire, livré à lui-même, ne supportait plus de voir son épouse perdre la mémoire et la raison. Un matin, il l'a étouffée avec un sac en plastique dans la salle de bains. Que devient l'amour que l'on s'est promis, à la vie à la mort, lorsque la maladie s'invite dans le couple ? Aime-t-on toujours la même personne lorsque celui que l'on a choisi comme conjoint est altéré par la souffrance et par la déchéance ? Est-on d'ailleurs soi-même toujours la même personne au fil cette épreuve ? Il arrive que par désespoir, par lassitude, voire par amour, ceux qui ont endossé le costume de l'infirmière finissent par enfiler celui du bourreau – à l'instar de Cipriani.

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En 2014, 900 000 Français souffraient de la maladie d'Alzheimer, selon un rapport de l'Inserm. La pathologie qui touche 2 à 4 % de la population de plus de 65 ans et 15 % de la population de plus de 80 ans est devenue la quatrième cause de mortalité. Dans une tribune parue dans l'édition de Libération du 2 juillet 2012, Cécile Huguenin, auteure d'Alzheimer mon amour, raconte l'enfer du quotidien d'une femme dont l'époux est atteint par la maladie. « Nos malades s'obstinent à ne pas guérir. Pour finir par devenir exigeants, agressifs, insupportables », rapporte-t-elle dénonçant l'extrême solitude et l'absolu désarroi dans lequel sont livrés ceux que l'on appelle « les aidants ». Elle explique comment, à bout de souffle, certains conjoints peuvent en arriver à nourrir des desseins criminels à l'encontre de leur moitié. « C'est à nous que ces malades sont chers. Là où on veut aimer, continuer d'aimer, on ne nous laisse comme choix que la guerre et, parfois, le crime. Et on voudrait condamner ceux qui n'en peuvent plus quand personne ne les a aidés ! ». Ce désespoir est le même pour toutes les maladies qui atteignent les personnes âgées, ces pathologies dégénératives qui les emportent à petit feu. Il n'est pas rare que le conjoint meurtrier tente de mettre fin à ses jours sitôt l'homicide accompli, et qu'il y parvienne. Lorsque le conjoint criminel se suicide dans les 24 heures qui suivent le meurtre, les psychiatres parlent de « suicide assisté » ou de « suicide concerté ». Une réalité remarquablement portée à l'écran dans le film Amour de Michael Haneke. Quand il n'y a pas de survivant, l'affaire est classée. Le cas contraire, le survivant doit répondre de ses actes devant la justice. Voici une brève sélection d'homicides ayant impliqué des couples en fin de vie en France.

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Le malade qui craignait d'abandonner sa femme

Il est 10 h 30, ce mardi 17 janvier, lorsque les gendarmes reçoivent l'appel d'un homme de 70 ans indiquant qu'il vient de tuer son épouse. Le drame s'est déroulé au domicile du couple situé à Tressignaux, dans les Côtes d'Armor, entre Saint-Brieuc et Guingamp. Il ne supportait plus de voir son état se dégrader aussi, et ce matin-là, l'homme qui collectionnait des armes lui a tiré une balle dans la nuque à l'aide d'une arme de poing. Morte sur le coup, la victime – une femme de 66 ans – était selon lui atteinte d'une maladie dégénérative. En attestent les nombreux médicaments trouvés par les enquêteurs au domicile du couple. Atteint d'un cancer, son état n'a d'ailleurs pas permis de la placer en garde à vue et l'a conduit à se faire hospitaliser dans un service d'oncologie. Peut-être ne supportait-il pas l'idée de laisser sa femme souffrante s'il succombait à sa maladie ? L'affaire a rapidement suscité l'émoi au cœur de ce bourg de 670 habitants. La victime faisait partie du cercle celtique de Tressignaux, et son assassin présumé avait été le directeur de l'école pendant une dizaine d'années.

L'homicide plutôt que la maison de retraite

Il ne supportait plus de la voir souffrir, mais ne pouvait se résoudre à placer son épouse de 88 ans, atteinte de la maladie d'Alzheimer, en établissement spécialisé. Marié depuis 70 ans, le couple louait une petite maison, 8 rue de la Grange aux Dîmes, dans le centre-ville de la commune de Boissy-le-Châtel, près de Coulommiers, en Seine-et-Marne. Toute leur vie, ils avaient veillé tour à tour l'un sur l'autre mais à 90 ans, l'époux se disait épuisé. Aussi, dans la nuit du 7 au 8 décembre 2016, c'est d'un coup de fusil qu'il a mis fin aux souffrances de sa bien aimée. Il aurait agi selon la volonté de cette dernière, a-t-il expliqué aux pompiers lorsqu'il les a prévenus, vers 0 h 45, qu'il venait de commettre l'irréparable. Avant de raccrocher, il leur a aussi annoncé sa volonté de retourner l'arme contre lui, avant de s'exécuter. À leur arrivée sur place, la police et les pompiers ont découvert le nonagénaire, encore vivant, la mâchoire et le nez arrachés par le coup de fusil qu'il venait de s'infliger. Hors de danger cependant, il est transporté à l'hôpital. La victime, elle, gît dans la chambre à coucher.

« J'ai mis fin à tes souffrances » : deux ans avec sursis

Sur des morceaux de papiers, ces quelques mots : « Arminda, j'ai mis fin à ta souffrance, pardonne-moi. José. » José de Albuquerque, 71 ans, vient de tenter, en vain, de s'ouvrir les veines après avoir administré une dose létale de somnifères à son épouse. À 70 ans, voilà plus de 10 ans qu'Arminda est atteinte de la maladie d'Alzheimer – cinq ans qu'elle n'a pas prononcé la moindre parole, deux qu'elle n'a pas quitté son lit. Plus de dix ans que José, maçon à la retraite, s'occupe de la femme qu'il a épousée il y a de cela 50 ans et avec qui il a cinq enfants. Arminda recevait la visite quotidienne d'une infirmière et d'une aide à domicile pour les repas – mais, comme tous les patients souffrant de cette pathologie, ses nuits étaient agitées, et José manquait cruellement de sommeil. En janvier 2014, celui qui a commencé à travailler à l'âge de 8 ans, est à bout. En octobre 2016, il est jugé par la cour d'assises du Haut-Rhin, à Colmar, accusé de l'assassinat de sa femme. Le jury se montrera clément, reconnaissant que le septuagénaire ne parvenait plus à assumer son rôle d'aidant, et le condamnera à la peine de deux ans d'emprisonnement avec sursis, retenant l'altération du discernement au moment des faits.

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Celui qui a pris la vie au « seul être qu'il aimait »

Ces deux-là avaient passé un « pacte » il y a 48 ans. Jamais ils ne s'abandonneraient. Mais depuis 2000, Paulette souffre de la maladie d'Alzheimer. À partir de juin 2002, son état s'est considérablement dégradé. La femme, âgée de 75 ans, est devenue incontinente, elle multiplie les chutes, vomit sur ses propres vêtements et refuse l'aide de son époux qui ne souhaite pas la placer dans un établissement spécialisé pour autant. Gabriel Armandou, son époux, est seul face à la maladie de sa bien-aimée. Aussi, le 13 septembre 2002, il craque. Le soir même, le fils unique du couple découvre sa mère quasi nue, sur le sol de la salle à manger du pavillon que les retraités occupent à Fresnes, dans le Val-de-Marne. Le visage de la septuagénaire est tuméfié, son corps couvert d'ecchymoses. L'autopsie pratiquée révèle que Paulette a succombé à des coups portés à la tête, au thorax et à l'abdomen. Lors de son procès qui s'est ouvert en juin 2012 devant la cour d'assises du Val-de-Marne, l'accusé ne se souvient plus de rien. Aux gendarmes qui l'ont entendu pendant l'instruction, il avait dit avoir donné quatre ou cinq gifles à Paulette ainsi que des coups de balais dans les jambes. L'homme de 79 ans est ressorti libre de son procès l'ayant condamné à cinq ans d'emprisonnement avec sursis. Si son avocat a qualifié la peine de « clémente », Gabriel, lui, bien que libre, a définitivement perdu « le seul être qu['il] aimai[t] ».

Suicide concerté dans les Yvelines

Ils habitent un pavillon blanc de la rue de Bourgogne, à Villepreux, dans les Yvelines, depuis plus de 40 ans. Le lundi 6 juin, peu avant 8 heures, ils sont allongés côte à côte dans le lit conjugal, morts par balle. Le fils du couple qui a reçu un coup de fil de son père tôt le matin s'est rendu immédiatement sur place. L'octogénaire avait prévenu son fils qu'il venait de tirer mortellement sur son épouse d'un coup de fusil à canon scié. Le temps que le fils gagne le domicile de ses parents, l'époux avait retourné l'arme contre lui. Stupeur dans le quartier à l'arrivée des secours et des forces de police même si, depuis quelque temps, le voisinage assistait impuissant à l'agonie du couple. La femme, âgée de 85 ans, était atteinte de la maladie d'Alzheimer. Elle ne sortait plus du domicile. Son époux, quant à lui, devait partir très prochainement en maison de retraite, une idée à laquelle ni l'un ni l'autre ne parvenait à se résoudre. L'enquête établira que l'octogénaire avait prévu de se suicider après avoir tué son épouse. Un « suicide concerté », selon la police.

Tentative de meurtre sur un lit d'hôpital

Qu'est-ce qui a poussé Jean-François, ce retraité de 71 ans, à commettre l'irréparable en octobre 2011 ? En début d'après-midi, il se rend, comme tous les jours, au chevet de son épouse. Âgée de 65 ans, elle est hospitalisée depuis trois semaines à l'Hôpital d'Évreux (Eure) dans le service de neurologie. À son arrivée, il a longuement discuté avec le médecin. Le contenu de cette discussion l'a-t-il déterminé à passer à l'acte ? Son épouse devait pourtant sortir de l'hôpital une semaine plus tard, et son pronostic vital n'était pas engagé. Est-ce pour autant qu'elle ne souffrait pas d'une maladie incurable et dégénérative ? Le fait est que son geste, Jean-François l'avait prémédité. Ce jour-là, il s'est rendu dans le centre hospitalier en possession de trois armes de poing. Aucun témoin de la scène n'a entendu quoi que ce soit. En fin d'après-midi, une infirmière découvrira Jean-François, gisant au sol, et son épouse, grièvement blessée dans son lit. L'homme a tiré un coup de pistolet sur sa femme, avant de retourner l'arme contre lui. Encore vivante au moment de sa découverte, la femme est transférée au CHU de Rouen, où elle décède à son arrivée. Ce qui a pu pousser Jean-François à cet extrême, on ne le saura jamais. Certains proches évoquent cependant le fait qu'il semblait inquiet du retour prochain de son épouse à la maison.

Sandrine est sur Twitter.