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La ville tchèque qui se racontait en pâte d’amande

On est allé au musée de « Třeboň en massepain » qui s'adresse aux amateurs d'Histoire et de mausolées néo-gothiques comestibles.
Toutes les photos avec l'aimable autorisation du musée Třeboň in Marzipan.

Au cours de ses neuf siècles d'existence, la petite ville de Třeboň en République tchèque a traversé pas mal d’épreuves. Elle est tombée aux mains de la noblesse, a été dévastée par la guerre et, plus d'une fois, rasée (ou presque). Třeboň est aussi le lieu de récits apocryphes qui n’ont pas été inscrits dans les archives nationales – comme celui d’un bâtisseur d’étang mécontent qui hante la ville juché sur un char tiré par des chats ou celui des deux alchimistes britanniques qui jurent avoir réussi à transformer du plomb en or.

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La ville a clairement un truc en plus et elle l'affiche ostensiblement. Ses fameux bains de boue sont proposés dans tous les spas de la ville (même Rick Steves s’est un jour plongé dans ce qu'il appelle « l'une des séquences les plus stupides jamais tournées »). Sur une des artères principales de la ville, trône une statue représentant plusieurs carpes géantes, bouche bée. Un hommage à l’industrie locale de la pêche et au menu de Noël de la plupart des familles de Třeboň.

Toutes ces histoires, (réelles ou totalement folkloriques), ont été immortalisées dans le musée Třeboň in Marzipan (Třeboň en massepain), qui a récemment ouvert sur la place principale de la ville. Douze dioramas de massepains (massepanoramas ?) détaillés et complexes, y retracent un millénaire d’événements. « On voulait montrer Třeboň sous un angle différent, en s’intéressant davantage aux légendes et aux rumeurs », peut-on lire sur le site de l'exposition. En effet, on en apprend beaucoup moins sur la ville que sur la totale décontraction des créateurs du musée en matière de méthodologie.

Si les Allemands et les Autrichiens se gavent de massepain, la qualité médiocre de celui de la Tchécoslovaquie communiste a dissuadé les Tchèques d’en faire autant.

Pour la petite histoire, le massepain n'est même pas une spécialité de Třeboň ou du pays. Alors que les Allemands et les Autrichiens se gavent de pâte d’amande à un rythme assez soutenu, le massepain de qualité médiocre de la Tchécoslovaquie communiste a dissuadé les Tchèques d’en faire autant. C’est en tout cas la théorie de la directrice du musée, Lenka Želivská. « Il y avait tellement de faux massepains », précise-t-elle.

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Želivská s’est formée au musée du chocolat et du massepain, qui a ouvert ses portes en 2012 à Tábor (environ 30 km au nord de Třeboň). Sa propriétaire, Petra Kovandová, l’avait engagée pour y occuper le poste de directeur. « J’ai dû étudier l'histoire du chocolat parce que je me lançais dans l’inconnu », se rappelle Želivská. « J'étais comme ça » – elle écarquille les yeux pour simuler un état de choc – « On peut faire ça avec du chocolat ? »

Lorsque les deux femmes cherchaient un espace pour une nouvelle attraction, elles ont décidé de tourner la page du chocolat. Pour illustrer ce choix et les difficultés inhérentes à la conservation du chocolat, Želivská montre une statue gigantesque de la légende tchèque du hockey sur glace, Jaromír Jágr, installée au café du musée à Tábor. « Il faut avoir l'air conditionné partout et contrôler la température malgré le soleil et la respiration des visiteurs », souligne Želivská. Le massepain, quant à lui, ramollit avec la chaleur d'une paire de mains, avant de se durcir naturellement lorsque l’eau qu’il contient s'évapore.

Un vendredi après-midi à Tábor, Želivská me présente Marian Valášek, un homme d'âge moyen vêtu d'un pull vert clair, et Iveta Hortová, dont les yeux espiègles et la toque blanche évoquent Lucy Ricardo à la chocolaterie. Tous les deux avaient des métiers assez éloignés du massepain – Valášek était policier, Hortová fleuriste – avant que les blessures ou la maladie ne mettent un terme à leur carrière.

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En plus d'employer des décorateurs de gâteaux qualifiés, le musée Třeboň in Marzipan fonctionne comme un chráněná dílna (littéralement, « lieu de travail protégé ») et accueille des personnes souffrant d'un handicap physique ou mental. Les figurines dodues et comestibles de Valášek sont disponibles à l'achat, scellées avec une photo de l'ancien policier dans ses habits blancs de chef.

En prévision de l'événement annuel de pêche dans l'étang de Rožmberk, qui attire des visiteurs de toute la République tchèque, Hortová a récemment fabriqué à la main 5 000 carpes de massepain qui seront vendues au nom du musée Třeboň in Marzipan.

Les deux bricoleurs ont ensuite décidé de fixer une façade en massepain aux fondations en polystyrène – une tâche de Sisyphe, ont-ils expliqué, puisqu’un jour sur deux, la façade se décollait.

Les deux artistes parlent avec enthousiasme de leur nouveau job, malgré les obstacles et les erreurs. À l’origine, Želivská avait réuni le duo pour construire un modèle miniature du mausolée de Schwartzenberg, un monument néo-gothique bien connu de la région. Elle les a laissés faire.

- « Attendez, je demande tout haut et en présence des artistes. Vous leur avez donné une sorte de mode d’emploi ? Vous leur avez montré par où commencer ? »

- « Non, non, répond Želivská. En fait, je ne m’y connais pas du tout du coup j'imaginais que c'était super facile. »

- « En fait, vous les embauchez pour construire un truc en massepain et ils doivent se débrouiller tout seul ? »

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- « Ouais, voilà », acquiesce-t-elle, nonchalamment. « Je leur ai dit : ‘Allons dans un cimetière et faites-le.' Dans ma tête, c’était très simple. »

Hortová et Valášek ont finalement construit une maquette en papier du mausolée en s’aidant d’une carte postale et en tentant de respecter les dimensions. (« Je me suis dit que ça n’avait pas l’air aussi simple que ce que je pensais à ce moment-là », se souvient Želivská). Les deux bricoleurs ont ensuite décidé de fixer une façade en massepain aux fondations en polystyrène – une tâche de Sisyphe, ont-ils expliqué, puisqu’un jour sur deux, la façade se décollait.

« Quand on rentrait à la maison, on avait comme un film du mausolée qui se jouait dans la tête. Est-ce qu’on l’avait bien fait ? », raconte Valášek. « On fermait les yeux et la tombe était encore là. On ne faisait jamais vraiment de pause. »

Hortová et Valášek sont parvenus à leurs fins et le monument en massepain est devenu le joyau de l'exposition. « On est parti de zéro pour accomplir quelque chose de grand », souligne Valášek.

Hortová le coupe tout en approuvant. « On était debout l’un à côté de l’autre, on a regardé le massepain et tout d’un coup, on a dit ; ‘Ce n’est pas possible qu’on ait réussi à faire ça.’ »

Le mausolée côtoie aujourd’hui d'autres sites historiques de Třeboň comme la brasserie de la ville ou le théâtre Tyl. Les visiteurs de musée ont parfois droit à deux versions d’un même événement y compris la fondation de la ville, présentée sous la forme d’un « conte » puis de la « réalité » – avec un petit faible pour les anecdotes marrantes.

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Certains seront donc surpris d'apprendre que Petr Vok, noble local, et son frère Vílem s’appelaient entre eux « M. Vok » et ceux dès l’âge de neuf ans. Ou que Petr est mort le 5 novembre 1611, mais que le greffier a noté le 6.11.1611 parce que ça « avait plus de gueule ».

« Si vous avez envie de lire la vraie histoire, l’officielle, la sérieuse, vous pouvez toujours aller au château ou au monastère », raconte Želivská. « Je voulais que l’exposition soit différente. Je ne veux pas que les gens pensent qu’ils sont dans le plus intelligent des musées », ajoute-t-elle. « C'est plus l’expérience qui compte. »


Cet article a été préalablement publié sur MUNCHIES US

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