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En Belgique, on s’en prend à la liberté de se lamenter

Décidément on ne peut plus rien faire. Après l’alcool et la viande, on nous enlève maintenant le plaisir de nous plaindre. Mais sérieusement, qui est d’accord ?
Marine Coutereel
Brussels, BE

30 jours sans se plaindre, c’est le défi que nous lancent les Belges Greet Van Hecke et Isabelle Gonnissen. On peut lire sur la page Facebook du projet « qu’un esprit négatif ne donnera jamais lieu à une vie positive ».

Cette initiative dégoulinante de bons sentiments démarre ce lundi 15 janvier, en plein Blue Monday, a priori le jour le plus déprimant de l’année. On pourra recommencer à chouiner le 15 février, juste après la Saint-Valentin (certainement le jour le plus déprimant de l’année).

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Le postulat de base est simple : passer son temps à se plaindre nuirait à notre santé. Encore une affirmation d’optimistes hystériques. Je ne me suis jamais sentie aussi détendue qu’après avoir lâché un bon gros juron, m’être apitoyée sur mon sort, ou avoir marmonné que j’emmerde l’ensemble de la population. Mes journées préférées, ce sont celles où je peux râler et me plaindre de tout et de tout le monde.

Des gens qui veulent passer devant moi à la caisse du Delhaize parce qu’ils n’ont « que ça ». De cette maman débordée qui m’emprisonne dans le coin du bus avec sa poussette. De son gosse qui triture le bout de mon écharpe en essayant d’attirer mon attention, et manque de m’étrangler au passage. De mon crush qui a vu mon dernier message mais qui n’a toujours pas répondu. De cet homme dans le rue qui tousse comme un tuberculeux quand je fume et me jette des regards noirs qui crient « cancer, cancer ! » De ce groupe de touristes à selfie sticks qui n’avance pas sur la Grand-Place mais parvient quand même à m’empêcher de les dépasser. De ce type devant moi dans l’avion qui a descendu son siège au maximum. De cette nouvelle étude sur les millenials. De mon téléphone qui, friand de liberté, est allé s’écraser sur le sol. De ce coiffeur trop bavard qui me demande si je veux un soin « parce mes cheveux sont quand même bien abîmés ». De ma voix de soumise que j’entends répondre « d’accord ». De celui qui se colle derrière moi dans la file du distributeur pour me pousser à avancer plus vite. Du mec qui joue de la flûte à bec dans ma rue en laissant la fenêtre ouverte. De ce néo-bobo à lunettes rondes qui s’improvise critique d’art et se doit de donner son avis à voix haute sur chaque trait de peinture de l’expo. De mon collègue qui prend un malin plaisir à me faire rougir dans l’open space et se délecte de mon malaise. De cet autre collègue qui crie « Oh mais elle rougit, c’est mignon ! » De mes joues qui s’enflamment sans mon accord à la moindre marque d’attention collective. Des mineurs dans les concerts de rap. Des meufs au premier rang dans les concerts de rap. Des meufs au premier rang en pulls Trasher dans les concerts de rap. De ce vieux monsieur qui m’a fait toute une scène pour prendre ma place dans le métro mais qui est descendu un arrêt après. Des mecs qui disent préférer les « filles naturelles » mais qui ne sont incapables de remarquer quand une meuf porte des faux-cils. Des gens qui postent des stories Instagram de concerts où, par définition, on ne voit et n’entend absolument rien. Du chauffeur du bus qui tout d’un coup se croit dans Mario Kart. De la cagnotte collective pour l’anniversaire d’un type dont je n’ai absolument rien à foutre. De mon grand cœur qui ne sait pas dire non et de cette phobie d’être perçue comme radine si je décline. De l’application STIB qui fonctionne une fois sur trois. De ces gens qui pensent à réserver trois semaines à l’avance pour bruncher le dimanche et m’empêchent d’assouvir mon envie pressante de pancakes quand je me pointe comme une fleur à 13h. Des quadragénaires au cinéma qui rigolent trop fort. Du reste de la salle qui rigole parce que les autres rigolent. De mes prétendants potentiels qui n’ont jamais pris la peine de m’écrire un Kiss and Ride dans le journal Métro alors que je les épluche méthodiquement tous les matins. Des adolescentes excitées qui gloussent dans les cabines d’essayage après les cours. De mon auto-correct qui ne connaît toujours pas mon nom de famille. De ce collègue qui passe son bras pour coincer la porte de l’ascenseur alors que j’étais prête à m’envoler vers d’autres cieux dans l’ivresse de la solitude. De ce caissier trop rapide qui me fait frôler la crise de panique et ranger mes courses n’importe comment dans mon sac. Des sites web dont les formulaires ne sont pas encore adaptés sur mobile. De ces gens sans aucun goût vestimentaire qui me traitent d’hipster parce que je suis bien sapée. De ces escalators qui tombent toujours en panne quand mes cuisses ont été torturées par une séance de squats. Des meufs qui n’ont pas besoin de faire des séances de squats. Des mes séances de squats qui ne font visiblement aucun effet. De gens qui reniflent constamment mais ne se mouchent jamais. De cette bière qui vient de m’éjaculer dessus quand je l’ai ouverte un peu trop vite. De ces dates Tinder qui te demandent sérieusement: « et toi, t’écoutes quoi comme musique ? » De mon paki qui ne prend pas Bancontact. De son copain d’en face qui accepte Bancontact mais facture un demi-salaire en supplément. De mes seins qui n’ont jamais poussé. De ce serveur néo-nazi qui m’interdit de mettre du parmesan dans mes pâtes aux fruits de mer. De cet article que j’ai proposé d’écrire alors que je n’avais pas le temps. De mon inaptitude à profiter des belles choses que la vie met quotidiennement sur mon chemin.

Vous l’aurez compris, être de mauvaise humeur, c’est un mode de vie et ce sera surtout une lutte à mener contre les adeptes du positive thinking qu’on verra s’extasier sur les effets bénéfiques d’une telle initiative pendant le mois à venir. Trente jours, c’est long. Très long. Mais tant qu’il y aura des gens pour nous faire chier, se plaindre restera la plus délassante des activités.

Pour plus de Vice, c’est par ici.