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mort

À la Nouvelle-Orléans, d’étranges mises en scène funèbres

« Ce n’est pas parce qu’on assiste à des obsèques qu’on n’a pas le droit de faire la fête et de passer un bon moment. »
Drew Schwartz
Brooklyn, US
Sandra  Proutry-Skrzypek
Paris, FR
Photos via WGNO (à gauche) et la Marin Funeral Home (à droite)

Cet article a été initialement publié sur VICE US.

Le 25 juin dernier, Renard Matthews, un jeune américain de 18 ans, est tragiquement abattu lors d’une fusillade dans son quartier de la Nouvelle-Orléans. Deux semaines plus tard, le jour de ses obsèques, il gît devant sa télé, affalé sur un fauteuil de bureau, en train de « jouer » à NBA 2K. Il a sa manette de PS4 dans les mains, ses lunettes de soleil sur le nez, un maillot de son équipe de basket préférée sur les épaules et des claquettes aux pieds. Ses snacks préférés sont à portée de main. Sauf que tout ceci n’est qu’une mise en scène.

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Cet hommage à Matthews est le dernier en date de ce qu’on appelle des « embaumements extrêmes ». C’est-à-dire qu’au lieu d'exposer le corps du défunt dans un cercueil, certaines familles choisissent de créer une mise en scène autour de ce qu’il aimait le plus dans la vie. Cette pratique a été lancée en 2008 à Porto Rico, quand une entreprise de pompes funèbres, la Marin Funeral Home, a exposé des corps sur une moto et sur un ring de boxe de fortune.

Photo : Ricardo Arduengo/AP

Ces embaumements extrêmes ont débarqué à la Nouvelle-Orléans en 2012. La famille du regretté Lionel Batiste – batteur du groupe Treme Brass Band – demande à la société Charbonnet-Labat-Glapion de le positionner de manière à ce qu’il soit appuyé contre sa grosse caisse, sa main reposant sur la baguette qu'il gardait toujours avec lui. Deux ans plus tard décède Mickey Easterling, une starlette de la Nouvelle-Orléans connue pour ses soirées extravagantes. Sa famille la laisse partir en beauté : avec son boa à plumes, une cigarette dans une main et une flûte à champagne dans l'autre. Puis vient le tour de Miriam Burbank, une fan des Saints de la Nouvelle-Orléans. Ses filles la représentent comme elles l’ont toujours vue : assise à une table, vêtue toute en noir, avec une cigarette mentholée et une canette de bière Busch.

À une époque où il est possible d’envoyer des cendres dans l'espace, ces embaumements ne sont qu’une manière comme une autre de rendre hommage à la vie de quelqu’un et de changer le récit autour de la mort. Patrick Schoen, directeur d’une entreprise de pompes funèbres, nous explique pourquoi cette pratique gagne en popularité.

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VICE : Bonjour, Patrick. Vous avez organisé les obsèques de Mickey Easterling. Pouvez-vous nous en dire un plus à son sujet ?
Patrick Schoen : Mickey était une personnalité mondaine de la Nouvelle-Orléans. Elle était toujours au centre de l’attention et aimait beaucoup la vie. On la voyait souvent dans les magazines aux côtés de stars hollywoodiennes. Elle avait une très belle maison au bord d’un lac où elle organisait des soirées très extravagantes.

Comment se sont déroulées ses obsèques ?
Comme elle le souhaitait. Quand elle est décédée, sa fille m'a appelé et m’a expliqué quels étaient les centres d’intérêt de sa mère. Nous avons imaginé le scénario ensemble : après avoir fait la fête, Mickey s’est assise sur un banc, dans son jardin, et s’est endormie. C'était l'idée. Sa coupe de champagne en cristal Waterford dans une main, une cigarette dans l’autre. Elle avait aussi un pin’s en diamants sur lequel on pouvait lire « bitch ».

Le jour J, nous avons mangé dans son restaurant préféré, le Galatoire. Il y avait un groupe de jazz. C’était vraiment une belle cérémonie. Mickey était un peu en retrait, comme si elle faisait partie du décor. Elle était entourée d’orchidées et avait son boa rose sur les épaules. Son coiffeur est venu lui faire son brushing. Elle portait ses vêtements de créateurs.

Aviez-vous déjà reçu des demandes de ce genre ? Quelle a été votre réaction quand la famille vous a contacté ?
Non, jamais. Mais notre rôle est de satisfaire les exigences des familles. Et dans ce cas précis, de satisfaire les exigences de Mme Easterling. C’était son souhait et nous l’avons exaucé. C’est tout ce qui compte. À vrai dire, je ne pensais pas en être capable. Je me disais, « On doit le faire, par n’importe quel moyen. On doit y arriver. » C’était un énorme défi pour mon entreprise.

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Et quelle a été la réaction des gens ?
Ça a été très bien accueilli bizarrement. Personne n’a trouvé ça choquant ou inapproprié. Bien sûr, on ne voit pas ça tous les jours et les gens étaient un peu surpris. Mais on voulait que ça reste dans les mémoires et on a réussi ; ça a fait le tour du monde. J’avais quand même garé un corbillard devant le restaurant pour rassurer les gens, pour que ça ait quand même l’air d’un enterrement. En réalité, Mickey a été transportée dans une simple camionnette car tout a été fait ici, au funérarium – elle était donc déjà en position.

Y a-t-il eu quelques réactions négatives ?
Pas vraiment. On a entendu des commentaires du type, « oh, wow, c’est vraiment très différent », mais personne n’a fait de remarque désobligeante. Tout le monde a trouvé ça un peu… excentrique. Mais encore une fois, c’était Mickey Easterling, elle était connue pour son excentricité.

En quoi était-ce un plus gros défi qu'une cérémonie traditionnelle ?
À l’école des sciences mortuaires, on ne nous apprend pas à asseoir quelqu’un sur un banc. C’est déjà un défi en soi. Un de mes employés m’a appelé en panique : « Est-ce que tu as perdu la tête ? Comment je suis censé faire ça ? » Je lui ai répondu : « Écoute, c’est le deal. On doit satisfaire cette famille quoiqu’il arrive. On va trouver un moyen. » Je ne vais pas trop entrer dans les détails par respect pour la famille, mais oui, c'était un énorme défi.

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Avez-vous eu recours à une technique d'embaumement particulière ?
Le problème n’était pas tant l’embaumement que de trouver un moyen de stabiliser le corps. La technique d'embaumement est toujours la même.

Photo : Marín Funeral Home

Qu’avez-vous pensé des obsèques de Renard Matthews, l’adolescent tué dans une fusillade ?
La famille a dû être très contente, j’en suis sûr. Il a été représenté exactement tel qu’il était. Et peu importe ce que les autres pensent, il faut toujours respecter les dernières volontés de l’être aimé.

Pour en revenir à Mme Easterling, avez-vous trouvé que l’ambiance était différente des obsèques traditionnelles ?
C’était beaucoup moins sombre. D’habitude, vous entrez dans la chambre funéraire, vous regardez dans le cercueil… Mais là ce n’était pas du tout la même sensation. C’était plus joyeux, du genre, « Oh, regardez comme elle est belle ! » On se serait vraiment cru à une fête. Et c’est exactement ce qu’elle voulait : une célébration de la vie.

Pourquoi y a-t-il un tel engouement autour de cette pratique d’après vous ?
Ma famille travaille dans les pompes funèbres depuis 144 ans. Les 120 premières années, les obsèques étaient toutes les mêmes. Toutes. Seul le prêtre était différent. Mais depuis 15 ans, les choses changent. On expérimente plutôt que de refaire ce qui a été fait dans le passé.

La pratique va-t-elle gagner en popularité ?
Avec le temps sûrement. Les mentalités changent. Certaines personnes veulent célébrer leur décès différemment. Je ne dis pas que ça va devenir la mode et que tout le monde va le faire, mais ça va être le cas de certaines personnes, celles qui ont mené une vie originale.

Mais pourquoi la Nouvelle-Orléans plus qu’ailleurs ?
La Nouvelle-Orléans a une énergie différente, plus festive. Ce n’est pas parce qu’on assiste à des obsèques qu’on n’a pas le droit de faire la fête et de passer un bon moment.

Drew Schwartz est sur Twitter.