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Fotografie

Bieke Depoorter a photographié des Egyptiens dans leurs chambres lors du Printemps arabe

Les portraits pittoresques des habitants du Caire nous montrent à quoi ressemble la vie lorsqu’on la passe confiné à l'intérieur et nous racontent en même temps l'histoire d'un pays en pleine révolution.

Cet article a été initialement publié sur i-D Nederland.

Depuis plusieurs années, la photographe belge Bieke Depoorter (Courtrai) parcourt le monde dans le but de prendre des portraits intimistes de ses sujets, au cœur de leurs chambres à coucher. Diplômée de KASK à Gand en 2009, Depoorter a été sélectionnée parmi les nominés du célèbre collectif Magnum en 2012. Pour son projet, elle s’est rendue en trois mois Russie avec comme idée initiale de photographier des pans de la vie quotidienne autour du transsibérien. Sans un rond et vu le peu d’hôtels disponibles dans ces régions, elle s’est trouvée dans l’obligation de demander aux locaux un endroit pour se loger. C’est lors de ces premières nuits chez l’habitant qu’elle a réalisé que c’était précisément cette atmosphère intime et privée qui produisait les images les plus fortes. Cette prise de conscience a alors donné une toute autre orientation à son projet.

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Après avoir sillonné la Russie, Bieke s’est ensuite envolée pour l’Amérique et l’Egypte. Ce dernier pays a fait évoluer son travail personnel vers une série documentaire qu’elle a regroupée dans son livre As it may be. La mise en œuvre du projet n’a pas toujours été évidente : « J’ai découvert assez vite que la photographie reste une question sensible en Egypte. Les gens étaient assez ouverts, mais protégeaient très fort leur vie privée. Pas seulement pour des raisons culturelles ou religieuses, mais également à cause de la révolution qui a eu lieu là-bas », dit Bieke. Avec l’aide de son interprète Ruth Vanderwalle, elle a réussi à convaincre un certain nombre de personnes de se laisser prendre en photo. «Les photographier dans leur maison et faire irruption dans leur intimité a sans doute été la chose la plus difficile. J’ai commencé en 2011 et j’ai seulement mis un terme à ce projet l’année dernière. Pendant les deux dernières années, c’était même devenu quasiment impossible de prendre une photo, poursuit-elle. La télévision nationale racontait que des espions étrangers étaient infiltrés en Egypte et que personne ne pouvait leur faire confiance. Les gens étaient régulièrement arrêtés et contrôlés. »

La tension en Egypte a atteint son paroxysme pendant le Printemps arabe, mais Bieke ne s’est jamais sentie en danger les nuits où elle était sur place. « Les gens qui m’ont hébergé n’ont jamais posé aucun problème. C’était souvent des voisins, qui, voyant qu’il y avait un étranger dans la maison, pensaient directement que j’étais un espion. La plupart des gens dans la rue ne me faisaient vraiment pas confiance non plus », explique-t-elle. « Dans la situation actuelle, il serait peut-être maintenant trop dangereux de mener à bien un projet comme celui-ci. »

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De cette escapade en Egypte, Bieke a décidé de faire un livre. Mais lors de sa réalisation, elle a senti qu’il manquait un truc. « L’Egypte est si complexe, en termes de religion et de culture, mais surtout en raison de la situation politique. Il s’est passé pas mal de choses dans ce pays, seulement ça ne s’est pas reflété dans mes images. Je trouve qu’on sent l’engagement que j’y ai mis, mais aussi que je reste une étrangère, une outsider. Et j’ai trouvé que c’était un peu bizarre de publier un livre dans lequel tout semblait aller «bien», comme si tout avait été super facile, alors que la tension sur place a mis pas mal de barrières au projet. Par exemple, la plupart des personnes sollicitées ne voulaient pas être photographiées. En plus de ça, je ne voulais pas publier un livre avec un point de vue uniquement occidental et donc imposer ma vision personnelle de leur propre culture à ces gens », explique Bieke. Elle est donc repartie pour l’Egypte – cette fois, pas pour prendre des photos mais bien pour enquêter sur ce qui se passe réellement au coeur de la population égyptienne.

Elle s’est rendue à nouveau dans les villes où elle avait été logée pour demander aux passants de commenter ses photos. Grâce à ça, le livre a gagné en authenticité et a acquis différents points de vue sur ce qui y est dépeint, dont celui de la population locale. Certains ont trouvé les photos fantastiques, d’autres ont pensé que ce livre ne devrait jamais voir le jour. Par exemple, l’une des photos représente une affiche du président égyptien collée sur un mur, où quelqu’un y a écrit « I love Sisi » [l’actuel président égyptien, ndlr]. Une autre inscription sous l’affiche dénonce quant à elle le président et sa politique. Lorsqu’elle a montré cette image à un passant, ce dernier lui a fait comprendre qu’elle allait avoir des problèmes si elle osait publier ces genre d’images et qu’elle n’avait pas le droit de le faire. Mais d’un autre côté elle a également reçu des questions pertinentes sur le projet lui-même, par exemple, qu’est ce que ça avait apporté à ces personnes de s’être laissé photographier ? – une question que Bieke elle-même se posait régulièrement. Une question difficile qu’on retrouve beaucoup dans les commentaire sur les images, et qui donnent un aperçu personnel de la situation politique et sociale dans le pays.

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Lorsqu’on lui demande quels sont ses projets pour l’avenir, Bieke répond mystérieusement qu’elle ne peut pas encore en dire beaucoup. Cependant, elle partira en Afrique du Sud la semaine prochaine pour donner des ateliers à des jeunes filles de Johannesburg, et une nouvelle exposition aura lieu en octobre au FOMU à Anvers.

Des exemplaires signés de As it may be sont disponibles sur son siteweb.
‘As it may be’, publié par Hannibal (BE), Aperture (USA) (à partir du 1er février) et les Editions Xavier Barral.

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