Le business lucratif des photos de pieds
Photos: Lucie Etchebers pour VICE FR

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Au fait, il y a un business lucratif des photos de pieds sur Internet

Sur Twitter et Instagram, il est possible de se faire environs 750$ en envoyant quelques photos de ses pieds à un inconnu.

Comme tous les journalistes, j'errais sur Twitter lorsque je suis tombé sur le post d’une internaute écrivant « les photos de pieds, ce n’est pas un mythe », accompagné d’une capture d’écran d’un compte PayPal recevant un virement de 300 euros. Le sujet peut paraître déroutant, mais le phénomène est bien réel. Pour ça, pas besoin d’aller sur le Darknet. Les réseaux sociaux et quelques sites spécialisés suffisent amplement.

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Pratique plus répandue à l’étranger, elle commence à émerger doucement en France. Dérivée du money slavering [être dominé financièrement par des moneymiss, personne qui cherche à être insultée, « salit » et à raquer pour son « maitre » ou « maitresse », N.D.L.R] ce business est une sorte de mélange entre FinDom, pour Financial Domination, et fétichisme où les clients achètent – via PayPal ou des plateformes de cagnotte en ligne – des photos de pieds.

Si les adeptes de ce genre de clichés sont versatiles, les vendeurs et vendeuses sont plus restreints dans le modèle type. Je n’ai recensé que deux profils de vendeurs, bien souvent féminins. D’une part, des jeunes filles ou étudiantes souhaitant « gagner de l’argent facilement », avec pour leitmotiv « Business is business » comme me confirme une vendeuse anonyme interrogée sur Twitter. D’autre part, il y a aussi des moneymiss, dont les noms sont codés de manière très spécifiques. Nommées « maitresses », « déesses » ou autres superlatifs du genre, ces personnes usent de la domination sur leurs « soumis » afin de pouvoir se payer toute sorte de loisir.

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Pour que ce commerce existe, il faut une plateforme et des clients. Le moins que l’on puisse dire, c’est que le fétichisme rassemble. Certains sites, spécialisés ou non, tels que FetLife ou VendsTaCulotte sont devenus lieux d’échanges de photos payantes entre fétichistes et vendeurs. Sur les réseaux sociaux, une large communauté de fétichistes, dont les comptes sont majoritairement créés pour cette passion, s’est répandue : Instagram recense près de 19 000 publications avec le hashtag #fetichiste ; sur Facebook des groupes de fétichistes français comptent des milliers d’abonnés tandis que Twitter est pris d’assaut par une forte augmentation du nombre de comptes débutant par « maîtresse » ou « soumis ».

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Instagram est d’ailleurs le moins touché par ce phénomène en France, contrairement à l’étranger. Comme le révèle Cosmopolitan, le nombre de femmes qui construisent une entreprise lucrative dans ce secteur connaît une réelle augmentation. Selon le magazine anglais, certaines « maîtresses » arrivent même à gagner plus de 4 600 livres sterling par mois, soit environ 5 200 euros.

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Justement, ces différents réseaux sociaux représentent différents moyens de vendre ou acheter ces photos. Sur Facebook, les groupes privés ont la cote, tandis que les hashtags bien spécifiques servent de prises de contact aux acheteurs et vendeurs sur Twitter et Instagram. #paypigs, #fetichiste #paypal #findom, ces hashtags vous ouvrent véritablement les portes de l’enfer caché des réseaux sociaux.

Groupes fermés sur Facebook, comptes privés sur Instagram, des « soumis » ou acheteurs et des « maîtresses » très peu enclins à s’exprimer, il est assez difficile d’intégrer le milieu, encore plus d’en interroger les différents acteurs. Une sorte de porte d’entrée s’offre alors : les jeunes, étudiante, n’ayant aucun rapport avec le fétichisme, mais ayant remarqué ce filon « super lucratif ».

« La sensation d’exclusivité et de contact […] est unique » – Antoine, fétichiste

Une bonne partie des « dominateurs » et « soumis » ne veulent pas que leur réseau ait plus de visibilité à l’extérieur. En effet, parmi les vendeurs, certains sont accusés d’être des « voleurs de soumis » et de « dépouiller les soumis naïfs » peut-on lire sur le post Facebook « Petite sociologie des dominatrices sur Facebook, à l’usage des soumis naïfs et des curieux ». Car ce milieu cache aussi des arnaques. Sorte d’AFP pour le FinDom, le compte twitter Fakes Catcher traque les tricheurs. Son propriétaire déclare par messages privés : « Je sers juste à faire du ménage dans cette communauté entre les bonnes dominatrices et les mauvaises… idem pour les soumis. Pour éviter les mauvaises rencontres ou les abus ».

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Antoine achète depuis maintenant deux ans ce genre de clichés. Fétichiste depuis l’adolescence, il témoigne par messages de ce problème qui sévit « surtout sur Twitter ». Selon lui, si les sites spécialisés « permet[tent] d’avoir de vrais contacts avec des personnes réelles », Twitter est devenu « un endroit pour pigeons ». Au total, le jeune homme a dépensé « un peu plus de 500 euros », pour des photos de pieds. Mais pourquoi acheter des photos de pieds alors que l’on pourrait en trouver partout sur Internet ? À cette question, il répond : « c’est la sensation d’exclusivité et de contact [avec la vendeuse] qui est unique ». Interrogé sur ce qu’il faisait de ses photos après les avoir payées, l’intéresse n’a pas donné suite.

Pour les vendeuses qui sont éloignées du money slave, on remarque de fortes similitudes dans les profils et motivations. Bien souvent étudiantes, elles souhaitent « gagner facilement de l’argent », affirme l’une d’entre elles. Pour les vendeurs de photos, le fait que ce soit des pieds comporte plusieurs avantages. Cela permet à la fois de garder l’anonymat et de ne montrer qu’une partie du corps qu’on pourrait considérer comme illusoire et sans intérêt, à part bien sûr pour les fétichistes. « C’est juste des pieds », rétorque une vendeuse. Preuve de l’essor de la pratique, c’est « en entendant parler de money slave sur les réseaux sociaux » que Lola* à commencer à vendre des photos de ses pieds. Sur la question de ne plus vendre des photos de pieds, mais de leurs corps, presque toutes mettent en avant la différence entre les deux. « J’ai déjà vendu [une photo] de ma main mais c’est tout, je n’irai jamais aussi loin [vendre un nude] », avoue Marie via Instagram, révélant par ailleurs qu’un acheteur le lui a « déjà demandé ». Toutefois, Lola affirme, elle, que « les gens sont ancrés dans l’idée que le corps d’une femme est un objet et qu’il doit être sexualisé. Mais non, c’est pareil qu’un homme, il n'y a donc aucune différence ! ». Afin de vendre leurs photos, toutes ont la même stratégie : des tweets, certains avec les fameux hashtags, réclamant des Sugardaddy pouvant les rémunérer, ainsi que le partage de leur compte PayPal. « J’mets mon compte PayPal en ligne et je rajoute [en description] ‘’10 euros pour mon pied’’ », témoigne Marie.

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« Je suis tombé dedans y a 7-8 ans » – Yves, money miss masculin

Money miss masculin, Yves* raconte être « tombé dedans il y a 7-8 ans ». C’est par sa « copine de l'époque », qui « dominait des mecs en virtuel et en réel », qu’il a découvert la pratique. Il confie avoir « de suite adhéré » à celle-ci « J'ai participé à certaines séances avec elle et c'était assez fou de voir ces mecs obéir à la moindre de ses paroles. J'ai un peu continué sans elle après, mais pas très longtemps. Après un très long break j'ai repris y a quelques mois », révèle-t-il.

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L’homme, âgé d’environ 30 ans, révèle ses techniques pour « fidéliser les money slave ». Selon lui « il n’y a pas de secret ». « Il faut analyser leurs envies, ce qui les excite, et leur en donner suffisamment, mais pas trop, pour qu'ils soient satisfaits et qu’ils en redemandent encore la fois suivante. Il y a aussi une certaine part de chance, tomber sur la bonne personne, être là au bon moment ».

Grâce au money slave, il aurait accumulé une somme mirobolante : « Cela se compte en milliers d'euros », révèle-t-il. Mais, il ne figurerait pas parmi les mieux rémunérés. Il déclare avoir « déjà vu certains pots communs monter à plus de 10 000 euros ».

Au sujet de son rapport à l’esclavage financier qu’il subit, Tom explique qu’il s’estime « inférieur à des mecs alphas » et se « soumet à eux en raquant [payer, faire une offrande, N.D.L.R], en faisant des offrandes pour les servir ». Il assure ne pas « verser de dons » et ne pas les « acheter ». Il confie agir « par principe, par soumission ».

Pour les offrandes, il révèle que deux issues s’offrent à lui : soit il fait une offrande volontairement, soit il en « reçoit l’ordre parce que [son] maître veut se payer quelque chose ». Ainsi il « raque pour rembourser une de ses factures, taxes ou amendes pour mauvais comportement ».

Selon lui, « le vrai FinDom c’est ça ». Il offre de l’argent sans demander aucun service en retour. Pour les hommes « d’un peu plus de 40 ans », en France « beaucoup pensent que c’est de l’argent facile ». Toutefois, il avoue ne pas être contre un cadeau : « Si mon maitre veut me faire plaisir, me récompenser en m’envoyant une photo de lui excitante, je suis ravi évidemment et fier de sa confiance ».

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* Les prénoms ont été modifiés.