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L'ironie écolo de Final Fantasy VII tient toujours en 2019

L'industrie du jeu vidéo contribue à détruire la planète et les joueurs devraient se sentir coupables de m'apprécier — voilà à peu près le message de Final Fantasy VII.
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Image : Sony/Square Enix

1997. Les joueurs occidentaux découvrent la saga des Final Fantasy avec son septième épisode. Ce jeu dont ils ne savent rien les jette dans la gare d’une ville futuriste, glauque et polluée. Ils découvrent rapidement que les personnages qu’ils contrôlent sont des éco-terroristes appartenant à un groupe nommé Avalanche. Leur but : détruire des réacteurs nucléaires pour sauver la planète. Le méchant est clairement désigné, lui aussi : la Shinra, une multinationale de l'énergie qui puise sans vergogne dans les ressources naturelles. À première vue, l’aspect écologiste du jeu reste donc plutôt manichéen.

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Mais si le développeur de Final Fantasy VII, Square, était en fait allé plus loin au nez et à la barbe de son distributeur Sony ? C’est en tout cas ce que pense Robbie Sykes. Contacté par Motherboard, le chercheur en droit à l’université de Griffith en Australie indique : « Le jeu démarre avec une histoire classique, binaire, mais ensuite le scénario se complexifie et le message devient beaucoup plus subtil et provocateur. »

Sortir un jeu grand public sur le sujet de l’écologie n’avait rien de révolutionnaire dans les années 90. La défense de l’environnement s’est imposée dans les consciences du monde entier pendant cette décennie : la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques a été adoptée en 1994, le protocole de Kyoto signé en 1995. Le cinéma et même le jeu vidéo s’étaient emparés du sujet eux aussi, mais de manière assez superficielle.

À première vue, Final Fantasy VII ne fait pas preuve d'une grande profondeur, lui non plus. Pour Robbie Sykes, les premières heures de l’aventure suivent un scénario déjà vu : « Avec un point de vue superficiel, on peut interpréter le jeu comme une vision sentimentale d’une nature harmonieuse dans laquelle chaque être vivant a sa place. » En somme, c’est l’idée générale issue de la jurisprudence de la Terre, un mouvement écologiste en vogue dans les années 1990 et souvent qualifié de naïf par ses détracteurs. Il repose sur l'idée qu'il existe une nature équilibrée, un ordre des choses que bouleversent les humains et leur technologie. Pour le philosophe Slavoj Žižek, la jurisprudence de la Terre peut être rapprochée des récits bibliques selon lesquels l'Homme sera puni s’il perturbe l’équilibre de la nature.

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Il y a plus de 20 ans, ce message a joliment calé Final Fantasy VII dans son époque. Avec son message gentiment culpabilisant sur la place des humains dans la nature, le jeu a permis à la multinationale Sony de s'offrir une image écolo. L'entreprise en a profité pour faire du jeu le porte-étendard de sa machine, la Playstation, à l'aide d'une campagne de publicité hors-norme. Un plan qui impliquait de faire toute confiance au développeur du jeu, Square, petit nouveau chez nous mais déjà valeur sûre au Japon chez les amateurs de RPG.

« Pour Final Fantasy VII, l’ironie est un moyen de mettre en exergue notre propre position en tant que joueurs. »

Le plan de Sony a largement porté ses fruits. Final Fantasy VII est devenu le hit incontournable de la Playstation. Au passage, il a largement devancé Nintendo, qui passait alors pour une entreprises de jeux vidéo pour enfant avec sa N64 et ses jeux colorés. Chez le distributeur japonais, on avait souhaité mettre la barre plus haut avec un jeu sérieux, sombre, qui s’engage dans les grandes causes de l’humanité.

Mais Final Fantasy VII ne se contente pas de ça. Colin Milburn est professeur à l'Université de Californie et auteur du livre Gamers, Hackers and Technogenic Life, une analyse des relations entre les médias de masse et l'activisme politique. Contacté par Motherboard, il affirme : « D’une manière assez subtile, Final Fantasy VII pointe son propre rôle et celui des joueurs dans les atteintes portées à l’environnement. Les appareils électroniques, les consoles de jeu, polluent. Et le joueur est complice de cette pollution en achetant les jeux. »

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Ce côté méta affleure dans des éléments pouvant sembler anodins. Un personnage croisé dans une rue explique que les ordinateurs fonctionnent à l’énergie Mako, la force vive de la planète qu’exploite la Shinra. De la même manière, le parc d'attractions Gold Saucer est à la fois un grand moment de fun pour le joueur et un symbole de la débauche capitaliste.

Ces détails laissent à penser que les développeurs avaient l'intention de créer plus qu'une fable gentillette sur la préservation de la nature. « Dans la jurisprudence de la Terre », explique Robbie Sykes, « l’Homme ne doit pas interférer et laisser la nature trouver son équilibre. C’est ce qui ressort au début de Final Fantasy VII, mais rapidement, les héros se retrouvent forcés d’agir pour sauver le monde. »

Cette lecture a échappé à bon nombres de joueurs et même aux testeurs de l’époque, souvent plus prolixes sur les aspects techniques du jeu que sur son scénario. (Pour ne rien arranger, ce dernier délaisse rapidement la Shinra pour s'intéresser au passé de Clad, le protagoniste.) Sony ne l’a certainement pas perçue non plus à l’époque puisque le jeu cultive une position ironique habilement dissimulée, analyse Colin Milburn : « Pour Final Fantasy VII, l’ironie est un moyen de mettre en exergue notre propre position en tant que joueurs. Nous voulons défendre la nature, bien-sûr, mais nous vivons dans des sociétés high-tech dont nous sommes dépendants. Et même nos loisirs comme le jeu vidéo sont très polluants. Alors nous faisons des compromis, nous avons des doutes, et ça se retrouve dans les personnages. »

Il faut dire que l’opposition manichéenne du début vole rapidement en éclat. Les activistes d’Avalanche se trouvent des points communs avec la Shinra, font des compromis sur la manière dont les humains peuvent agir sur la nature et au final, mais ne trouvent pas de réponses à toutes leurs questions.

Ne pas perturber la nature avec la technologie. C’est le message que la plupart des joueurs attribuent au jeu, comme à de nombreuses autres œuvres de l’époque. Mais pour Robbie Sykes, le discours est beaucoup plus complexe et ambigu : « Final Fantasy VII capture les sentiments de malaise et d'anxiété d'une humanité au bord d'une catastrophe. » Colin Milburn ajoute : « Le personnage de Clad, comme nous, est le produit d’un système insoutenable pour la planète. Mais il fait de son mieux pour créer quelque chose de meilleur. Il y a quand même de l’espoir. »

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