Suisse secrète, Suisse interlope, Suisse interdite : trois jours au festival Antigel, à Genève
Photo - Julio Ificada

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Suisse secrète, Suisse interlope, Suisse interdite : trois jours au festival Antigel, à Genève

Acid glitché ! Metal transgénérationnel ! Punks à chiens-détectives ! Sextapes de cosplayers ! Sous-sols chelous ! Skateparks pour trottinettes !

Quand on nous a proposé de couvrir le festival Antigel à Genève, forcément, j'ai pensé d'office à des tas de trucs plutôt agréables et dépaysants, comme faire l'ange dans la neige, Rousseau en train de se la coller à la frontière, le vrai gruyère sans les trous dedans, la lenteur d'élocution helvétique, des auteurs plus ou moins anecdotiques et des anecdotes personnelles plus ou moins savoureuses, comme cette fois où j'ai chopé des puces de canard en me baignant dans le lac Léman - pour ceux que ça intéresse, c'est plutôt bénin mais ça gratte.

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Mais bon, arrivé sur place, on voit tout de suite que les choses ne diffèrent pas tant que ça par rapport à Paris : à la douane, le seul qui se fait fouiller, c'est Kiddy Smile. Et puis, on nous apprend que les restaurants ferment tous à 14h et qu'on peut toujours se brosser pour trouver un bar ouvert ou un kebab en rentrant bourré le soir (fort heureusement, on trouvera notre bonheur le premier soir avec une enseigne qui diffusera une sorte « Faites entrer l'accusé » local, histoire de pas être trop perdu). Mood de départ, donc : on se serre bien tous la ceinture et on attend que ça passe.

Pas vraiment raccord avec l'idée de citadelle économique imprenable ni même de sanctuaire de paix et de tranquillité que je me faisais de Genève, le festival Antigel offre tout de même pas mal d'options qu'on trouverait difficilement à Paris. Les concerts se déroulent sur à peu près toute la superficie de la ville (et au-delà), sur une durée de près d'un mois, en alternant clubbing et concerts feutrés, et en investissant des piscines, écoles, églises, fort, entrepôts, voiries, hôpitaux. Prends ça, la ville-musée et ton compartimentage de la fête. Sont programmés également des artistes comme Charlotte Gainsbourg, Lomepal, une soirée voguing et un mec comme Fred Frith - qu'on loupera de peu puisqu'on arrivera le lendemain. Niveau éclectisme décomplexé, on est pas mal, et tout va bien tant qu'on échappe de toute façon à Eddy de Pretto, son tremolo-Nougaro et ses sweat pants post-genrés.

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Après un tour par notre rustique et cosy hôtel, on se rend à Vernier, dans la salle du Lignon, qui ressemble un peu à l'idée qu’on se fait du Plan à Ris-Orangis si on n’y a jamais mis les pieds – ce qui est mon cas. Le cadre est particulier, la salle est située au milieu d’une cité tentaculaire et le sous-sol fait penser à une salle des fêtes où il n'y aurait jamais eu de fêtes. Une sorte de Shining sans fantômes, juste avec des mecs de groupes qui errent et des canettes de bière bon marché.

Le festival a cette bonne idée de faire cohabiter plusieurs générations, construire des ponts et des ramifications entre les genres et les différentes sensibilités - on nous le rappellera bien assez, le vivre-ensemble. Ainsi, ce soir, Young Gods, la légende industrielle du pays, Nostromo, les hardcore metalleux influencés par les premiers et les jeunes loups de Promethee montent sur scène pour promouvoir les valeurs de fraternité, unus pro omnibus omnes pro uno, de leur beau pays.

Quand Promethee commence, le chanteur loue donc tout de suite « la rencontre entre trois générations ce soir », mais également « les infrastructures » (?), et enchaine sur un timide « jeudi, tout peut arriver ». Rien de bien neuf ni de vraiment excitant sous le soleil, un groupe appliqué qui tente de tout jeter dans la marmite (hardcore, metal, avec même des solos hard rock par ci par là), et qui nous fait dire que le respect des générations, c’est encore mieux quand on le violente un peu.

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Lorsque Nostromo prend la place, le son est moins policé, plus violent, plus compact également. Reformé depuis l’année dernière, le groupe s’était séparé pendant près de quinze ans, juste le temps qu’il faut pour influencer toute une nouvelle génération (dont Promethee, la boucle est bouclée), avant de revenir quasiment sur un malentendu, à cause d’une photo de mariage à ce que j'ai compris, ce qui est plutôt marrant comme histoire quand on y pense. Ce qui est drôle aussi, c’est de voir qu’un groupe de quarantenaires en goguette peut mettre la pâtée à n’importe quel groupe de jeunes avec l’air de ne pas y toucher.

Les Young Gods, contrairement à Nostromo, n’ont jamais arrêté, et ça se ressent, pour le pire comme pour le meilleur. On voit que depuis 1985, le groupe a eu le temps de passer par tous les styles, tous les genres, toutes les époques et toutes les coupes de cheveux. Mon rédac’ chef me dit tout de même qu’en 1992, leur album T.V Sky, « c'était quand même un truc ». Le groupe est connu pour être un des premiers à avoir marié samples et guitares, ce qui donne l’air de rien des moments de très bonne tenue, comme ce morceau avec une longue intro à la Autechre, période Amber, avant de tomber dans une sorte de prog rock industriel pas bégueule. La voix est compliquée par moments par contre, pour un béotien comme moi, par moments on dirait Tuxedomoon qui reprendrait Trisomie 21.

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Le lendemain, on s’aventure un peu dans Genève, où l’architecture rustico-industrielle colle plutôt bien avec Antigel. La taille de la ville fait que tout est ramassé, et on peut très bien tomber sur un chalet mignonnet, puis sur un fleuve bien glauque quelques minutes plus tard. L'atmosphère est étrange, il est quatre heures de l’après-midi et pourtant j’ai l’impression qu'il est quatre heures du matin. Un skatepark où on en trouve que des gosses en trottinettes fait dire à mon rédac' chef (encore lui) que « c'est bien le signe que le monde part en couilles ».

Le soir, on loupe (un peu volontairement, avouons-le) le concert des affreux Algiers à l'Alhambra pour passer directement à Blonde Redhead. Je ne me souviens plus exactement de combien est la limite de décibels en France, mais à l’entrée du concert, un panneau nous indique gentiment que le niveau sonore est bien élevé et qu'on ferait bien de se protéger nos petites oreilles (d'accord, c'était pas dit exactement comme ça, mais c'est comme ça que je m'en souviens). Tout le monde est gentil, d'ailleurs, un peu trop même : quand on les bouscule, les gens ont l'air choqués. C’est sans doute pour ça que le vestiaire est en libre service. Par contre on ne peut pas rentrer avec sa bière, ce qui m'agace et me fait rater le début du concert.

À l'intérieur, le plafond très haut et les voûtes et dorures donnent au lieu un côté institutionnel, aidé en cela par une qualité sonore assez dingue. L’Alhambra de Genève ressemble-t-elle à l’Alhambra de Paris ? En tout cas, le concert de Blonde Redhead ressemble à un concert de Blonde Redhead (en tout cas j’imagine, vu que c’est la première fois que je les vois). C’est tout de même intéressant, de voir qu’en plus de vingt ans, le groupe ait si peu touché à sa formule. Une sorte d’Interpol qui n’aurait jamais viré rock de stade, un enchainement de morceaux pop rock ciselés et à la langueur mitoyenne pour gens d'âge moyen : je suis le premier surpris d’apprécier autant ça. Ou peut-être que je vieillis. Je me dis quand même que c'est rigolo que le groupe tire son nom d’un morceau de DNA vu leur musique. Moment le plus no wave du concert : quand la chanteuse Kazu Makino va pisser et revient en se reboutonnant le pantalon sur scène. Je jette un coup d’œil dans le public : cette fois-ci il n’y a pas plusieurs générations, il n'y en a qu'une et elle a les cheveux gris.

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Un petit choc thermique lorsqu’on enchaine le reste de la soirée (puis de la nuit) au Grand Central, où on ne croise que des jeunes aux mâchoires serrées et aux pupilles déjà dilatées. Le lieu ressemble un peu à l'idée qu'on se fait de la Station-Gare des Mines à Paris, dans le sens où il est financé par l'équivalent de la SNCF suisse. Rapidement, on rentre dans une tout autre dimension pour notre dernière soirée en terre helvétique. Déjà, je tombe sur une bande de punks à chien taquins qui me vannent lorsque je leur dis que je travaille pour Vice, et me demandent si je cherche de la drogue. Pas pour m'en refourguer, juste pour vérifier « si les journalistes cherchent bien tous de la drogue.» Je ne relève pas, préfère m'éloigner et oublier le nom de leur groupe qu'ils essayent de me mettre dans les mains et me rends à l'intérieur, où une fumée acre rend le côté MJC de l'endroit assez crado-sympathique.

Un mec qui ressemble à Bernard Diomède fait du break dance et les baffles crachent un remix glitché de « I Feel Love » de Donna Summer, ce qui augure du meilleur pour le reste de la nuit, qui s'avérera receler de nombreuses surprises. Soit, attrapées au vol et dans un état forcément second : le set acid, bête et méchant de Skull, les transitions anti DJ set de DJ Bone, un sol qui colle de plus en plus aux pieds, et surtout La Gravière, minuscule cave en sous-sol où on se dit, vu les visages, qu'effectivement, certains ont dû s'y finir aux graviers.

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On finira dans l'appartement de sympathiques locaux qui nous montreront une sextape de la fille de Luis Figo avec un de leurs potes (et s'offusqueraient presque quand on leur signale poliment qu'on ne va pas la publier sur Vice), et nous disent qu'ils vont enchainer une journée Cosplay dans une quelconque convention dont j'ai oublié le nom. Parfois, il y a des signes qui ne trompent pas, et lorsque celui-ci nous est servi comme ça sur un plateau d'argent, on n'hésite pas : on s'en saisit, et on rentre à Paris.

Marc-Aurèle Baly est sur Noisey. Julio Ificada aussi.