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Les métaphores qu’emploient les politiciens pour nous vendre l’austérité

Et celles qu’on peut utiliser pour répondre.
Lifestyle pictures / Alamy Stock Photo

Il y a quelques jours, David Davis, un politicien britannique nommé secrétaire d’État à la sortie de l’Union européenne, a déclaré devant des journalistes qu’il n’y avait pas lieu de craindre que le Brexit entraîne l’Angleterre dans une dystopie à l’image de Mad Max. C’était après une lamentable et déroutante performance dans ses négociations avec l’Union européenne.

« Ne pensez pas à un éléphant », est l’exemple classique qu’a donné le linguiste George Lakoff quand il a traité de la façon de formuler un message politique : quand on nous dit de ne pas penser à quelque chose, il devient difficile de penser à quoi que ce soit d’autre. Ainsi, si je vous dis de ne pas penser à un éléphant rose, il est probable qu’un Dumbo rose plane déjà dans votre esprit. De la même façon, si je vous assure que le Royaume-Uni post-Brexit ne sera pas un enfer aride peuplé de maraudeurs portant des tenues invraisemblables, bien, votre imagination a déjà commencé à concevoir le contraire.

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D’où le célèbre échange entre Lyndon B. Johnson et son directeur de campagne au cours d’une bataille électorale remplie de coups bas. « Bon Dieu, Lyndon, on ne peut dire que le gars baise des truies. C’est faux! » a dit le directeur. « Évidemment que c’est faux », a répondu Johnson. « Mais je veux forcer ce fils de pute à le nier. »

Lakoff, qui s’est intéressé aux formulations qu’emploient les politiciens pour créer des images dans l’esprit des gens, a passé sa vie à explorer le pouvoir des métaphores. Il a coécrit un livre qui a connu un grand succès, Metaphors We Live By, dans lequel il soutient qu’elles sont un fondement de notre façon de réfléchir.

Quels effets ont-elles en politique? On sait qu’elles sont utiles pour évoquer des tabous : on réfère par exemple à la mort en parlant d’un voyage ou d’un repos éternel. Une récente étude intitulée Framing the Economy porte justement sur ce sujet. Des chercheurs d’un ensemble de groupes de réflexion et d’organismes progressistes ont analysé les réactions des gens aux métaphores économiques.

Ils ont observé qu’à la suite de la dernière crise économique, les politiciens ont misé sur une analogie qui a porté ses fruits : nous avions atteint la limite de notre carte de crédit nationale et il était temps de se serrer la ceinture : couper dans les futiles programmes de justice sociale. Cette métaphore a servi de base à la politique d’austérité.

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Même si c’est une façon trompeuse de voir la politique économique nationale, elle a marqué les esprits. Et elle a résisté autant aux analyses rationnelles d’éminents économistes qu’à la mobilisation des militants contre les réductions budgétaires.

Pour comprendre comment cette métaphore a pu fonctionner, il faut d’abord connaître la perception qu’a la population de l’économie. L’étude suggère que les gens la voient comme un coffre, dans lequel des gens ajoutent et d’autres prennent, et qu’ils estiment qu’elle est gouvernée par des forces mystérieuses et impénétrables qui la rendent instable. Par conséquent, il n’est pas difficile de comprendre que cette perception répandue ait permis aux politiciens de gagner des élections en affirmant qu’une certaine classe de gens (notamment les personnes qui bénéficient de l’aide sociale ou les immigrants) ne veut que puiser dans « le coffre ». Sans compter qu’à répéter infiniment que l’économie est complexe, les citoyens ordinaires en viennent à se sentir impuissants.

Cette vision basique a aussi engendré le sentiment très fort que l’économie est trafiquée ou que la presse et les politiciens mentent constamment et que rien ne peut être fait contre cette implacable réalité. On conclut que l’avidité fait partie de la nature humaine. Malgré le sentiment que le gouvernement devrait s’attaquer aux problèmes, le fatalisme finit par gagner largement la population.

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Les chercheurs donnent en exemple deux métaphores que les militants contre l’austérité — ou quiconque souhaitant faire taire un proche très à droite au cours d’un brunch familial — pourraient utiliser pour se défaire de ce tenace sentiment d’impuissance.

Le premier porte sur la résistance au pouvoir des entreprises. L’économie est brisée et injuste, et c’est la faute des manipulations d’une poignée de gigantesques sociétés et d’une richissime élite, dit-on, et on ne peut rien y changer. La métaphore suggérée pour combattre cette idée fait appel à la programmation informatique : l’économie a été délibérément programmée d’une façon, mais nous avons le pouvoir de la reprogrammer autrement.

La deuxième porte sur les aspirations des citoyens et d’une société, en comparant les choix politiques à des voies ferrées. Pendant des décennies, nous avons construit des voies qui mènent vers la recherche de profits, qu’accapare une minorité d’entre nous, plutôt que vers nos réels besoins. Mais nous avons le pouvoir de construire de nouvelles voies vers une autre direction, vers ce que nous voulons.

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On a parfois l’impression que de se servir des mots pour faire réagir la population n’est qu’une autre forme de mensonge politique. Il est vrai que les formules efficaces sans réelles solutions empoisonnent le discours. Mais, entre les mains de personnes qui souhaitent sincèrement changer le monde, il ne fait aucun doute que les métaphores, présentées avec conviction, sont des armes puissantes.