Au début du mois, les travailleurs du sexe néerlandais ont pu reprendre le travail après quatre mois d’inactivité. Ils attendaient ce jour avec impatience, car la plupart d’entre eux avaient du mal à payer leur loyer et leurs factures pendant la fermeture du célèbre quartier rouge d’Amsterdam, appelé « De Wallen » par les locaux.
Pendant les premiers mois de la pandémie de coronavirus, les travailleurs du sexe qui louent des vitrines ont pu bénéficier d’une aide gouvernementale. Mais les escorts et les employés de sex-club ont été laissés pour compte et n’ont pas vu l’ombre d’un salaire depuis des mois. La raison étant qu’ils travaillent dans le cadre de la réglementation dite « opt-in » des Pays-Bas : ils ne sont pas considérés comme indépendants et ne perçoivent pas de prestations, mais doivent payer des impôts. Pour eux, la réouverture de De Wallen représente la lumière au bout d’un très long tunnel. « J’ai crié de joie quand j’ai appris que nous pouvions retourner travailler », dit Foxxy, travailleuse du sexe et porte-parole de PROUD, une organisation de défense des travailleurs du sexe à Amsterdam.
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Malgré l’excitation, De Wallen, qui est habituellement bondé de touristes à cette époque de l’année, semble un peu vide. « Nous avons été autorisés à reprendre le travail une semaine plus tôt que prévu, ce qui était inattendu, dit Foxxy. Mais de nombreuses travailleuses du sexe avaient besoin de temps pour se préparer : elles voulaient aller chez le coiffeur et se faire les ongles. ».
La plupart devront attendre que leurs clients reviennent progressivement, mais pas toutes. « Pour certaines femmes, cette première nuit a été la plus lucrative qu’elles aient jamais connue, dit Foxxy. Seules quelques vitrines étaient disponibles, donc les premiers arrivés étaient les premiers servis. »
Pim van Burk a également été témoin de ce lent redémarrage. Il est le propriétaire de My Red Light, une organisation qui loue des chambres aux travailleurs du sexe et veille à ce qu’ils puissent exercer leur métier en toute sécurité. « Par rapport à la période précédant la pandémie, seule la moitié des chambres sont louées par nuit. Pendant la journée, en revanche, nous en louons presque autant qu’avant, dit-il. Il est difficile de prévoir comment les choses vont tourner. Beaucoup de nos locataires d’Europe de l’Est doivent d’abord prendre un avion pour rentrer aux Pays-Bas. »
Selon Van Burk, le comportement des consommateurs alimente également l’incertitude. « Certains clients étaient tellement excités qu’ils sont revenus tout de suite au quartier rouge. Mais si l’on regarde le cas de la Belgique, on voit que les premiers jours ont été bien remplis, mais depuis, l’activité tourne au ralenti faute de touristes. » De Wallen aussi dépend beaucoup des touristes, et ceux-ci sont moins nombreux qu’avant la pandémie. Foxxy se sent face à un dilemme. « La plupart des touristes, comme les Allemands et les Britanniques, viennent de pays où il y a une recrudescence des cas d’infection au coronavirus. Je ne pense pas qu’il soit prudent de les laisser entrer pour l’instant. J’espère que les clients locaux, qui évitent normalement le centre ville parce qu’il est trop fréquenté, viendront plus souvent à De Wallen. »
« L’Institut national de la santé publique et de l’environnement aux Pays-Bas a mis en place des protocoles adaptés aux travailleurs du sexe pendant la pandémie. Des affiches ont été imprimées et placardées sur la porte de chaque pièce, afin que les travailleurs puissent franchir les étapes avec chaque client »
Anna* est une travailleuse du sexe du quartier rouge. Elle est soulagée d’être de retour au travail et prend des précautions pour assurer sa propre sécurité et celle de ses clients. Sur la petite table de son espace de travail se trouvent une boisson lactée, des biscuits, des masques faciaux, du désinfectant, ainsi qu’un thermomètre infrarouge qu’elle utilise pour mesurer la température de ses visiteurs. « Hier en arrivant, un client affichait une température de 36,5 degrés. En partant, il était à 36,7 », dit-elle en riant.
Pour minimiser les risques et garder ses distances, Anna n’a que des relations sexuelles en levrette pour le moment. « Dès qu’un client arrive, nous nous lavons les mains ensemble », dit-elle. Elle leur demande également de porter un masque. Elle dit que certains de ses clients lui demandent de faire de même.
Van Burk explique que le RVIM, l’Institut national de la santé publique et de l’environnement aux Pays-Bas, a mis en place des protocoles adaptés aux travailleurs du sexe pendant la pandémie. Des affiches ont été imprimées et placardées sur la porte de chaque pièce, afin que les travailleurs puissent franchir les étapes avec chaque client : « Vous devez d’abord vous renseigner sur la santé de vos clients. Si une personne est malade, vous devez lui refuser le service. »
Les travailleurs du sexe doivent également se laver les mains après chaque interaction, et toutes les surfaces ou objets touchés par un client doivent être nettoyés à fond. Mais la désinfection a toujours été un élément essentiel dans ces endroits. Des masques sont également disponibles dans les chambres louées par Van Burk, mais ni les travailleurs du sexe ni les clients ne sont légalement tenus de les porter.
En Belgique, le gouvernement a temporairement interdit aux travailleurs du sexe et à leurs clients d’exécuter certaines positions sexuelles. Mais ici, tout est permis tant qu’il n’y a pas de baiser ou de respiration face à face. « Nous avons également décidé de condamner les baignoires, parce que je pense que c’est un peu dangereux », dit Van Burk. Se laver après avoir vu un client n’est pas une obligation légale et Van Burk ne demande pas à ses locataires de le faire. « S’ils devaient se laver après chaque client, ils se doucheraient 80 fois par semaine. C’est terriblement mauvais pour la peau et la santé en général, poursuit-il. Et souvent, ce n’est même pas nécessaire : la serviette de chaque lit est remplacée entre deux clients. La fellation est le service le plus populaire dans le quartier rouge. Nous avons toujours maintenu une très bonne hygiène ici. »
Bien que les chambres des travailleurs du sexe comptent actuellement parmi les espaces les plus propres du centre ville, les nouvelles mesures de sécurité ont entraîné quelques problèmes. « Certains sex-clubs ne peuvent pas rouvrir, car ils ne peuvent pas garantir une distance de sécurité d’un mètre et demi », déplore Foxxy. De plus, les clubs et les travailleurs du sexe sont désormais tenus d’enregistrer les noms et numéros de leurs clients. Selon Foxxy, cela porte atteinte à la vie privée des clients.
Mais ce qui l’inquiète le plus, c’est l’avenir du quartier rouge d’Amsterdam. Les travailleurs du sexe se battent depuis des années contre le gouvernement local pour empêcher la fermeture de De Wallen. La pandémie et la crise financière qui en résulte pourraient faire passer ce projet à la vitesse supérieure. « Amsterdam s’est formée autour de cette zone, affirme Foxxy. Le quartier rouge est le cœur battant de la ville. J’espère que le gouvernement n’utilisera pas le coronavirus comme excuse pour interdire le travail du sexe ici. »
*Le prénom a été modifié.
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