C’est un quartier où l’on achète des drogues douces dans les rues aussi facilement qu’un journal. Un quartier seulement régi par neuf lois, qui s’imposent aux 800 habitants de la localité. Ce petit coin de paradis, ou de grand n’importe quoi selon votre conception de la vie, s’appelle Christiana et se situe en plein coeur de Copenhague, la capitale danoise. Autoproclamée “ville libre” depuis 1971, Christiana a tout du paradis pour les “hippies” qui ont emménagé ici depuis des décennies, mais aussi pour les amateurs de foot. Dans l’ancienne caserne militaire de Bådsmandsstræde, l’ancien nom du quartier, quelques passionnés du ballon rond ont en effet créé en 1982 le Christiania Sports Club. Parmi eux, Fletty, l’un des fondateurs du club aux côtés de Røde, Lange Morten et Birger. Cette bande d’idéalistes du football libre ne voyait pas leur ville sans une équipe à onze et sans ce club, le CSC. Pour bien comprendre à quel point les pères fondateurs du CSC ont ce projet à coeur, il suffit de demander à Fletty le nom qu’il a donné à sa fille à sa naissance : Cecilie Samia Catholt… CSC.
Porte-étendard des couleurs de la ville, le club a traversé les décennies en traînant une réputation de repaire de fumeurs de joints. Rien d’usurpé à en croire Gaston, Franco-danois membre du CSC entre 1996 et 2015 : « Avant chaque match, nous nous retrouvions tous au club-house pour fumer des cônes. L’ambiance était super. On s’amusait vraiment bien », ironise le quadragénaire entre deux lattes d’un joint d’herbe qui n’a visiblement pas toujours rendu l’équipe très peace, comme il le reconnaît lui-même : « Sur le terrain ensuite, c’était la bagarre. On se battait avec les adversaires, avec l’arbitre et même entre nous. »
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Sportivement, la weed n’est pas le meilleur des produits dopants puisque le club a connu des hauts et des bas avant de s’installer pendant quelques saisons en cinquième division, plus haut échelon régional. L’an passé, le club descend en sixième division mais ne perd pas pour autant ses ambitions. Nous retrouvons Michael Svensen, entraîneur de l’équipe première, le matin de Pâques – il est de tradition au Danemark de jouer le lundi de Pâques –, quelques heures avant un match de championnat capital pour la montée en cinquième division. Arrivé il y a cinq ans à la tête du groupe senior, il affirme que le CSC n’est plus ce qu’il était au niveau drogue douce : « Nous nous professionnalisons petit à petit. C’est fini l’époque où les joueurs fumaient dans le vestiaire. Je suis moi-même non fumeur. Nous avons réussi de belles épopées en Coupe nationale comme l’an dernier en perdant 2-6 en 64e de finale face à une équipe de deuxième division, le FC Helsingør. » Ralph McEwan, actuel président du club, ne regrette pas cette nouvelle situation : « Nous avons fait beaucoup de chemin depuis les années 80. A l’époque tous les joueurs fumaient. Certains même des bangs à la mi-temps. L’entraîneur était aussi joueur et il faisait comme les autres. »
« Peu à peu, le club se fait un nom, cela contribue à attirer des joueurs », explique Michael. En résulte aujourd’hui un subtil mélange entre natifs de Christiana, joueurs séduits par l’esprit détente du club et sportifs aguerris à la recherche de temps de jeu pour faire carrière. Victor Reyes, ailier gauche né au Danemark de parents honduriens, fait partie de cette deuxième catégorie : « Quand je suis venu jouer ici, la seule chose qui m’intéressait c’était le niveau auquel j’allais évoluer. Je venais des équipes de jeunes du FC Copenhague et je n’avais aucune idée de l’esprit du club. On fait vraiment la part des choses entre le foot et la fume », déclare Victor, en accord avec son coach avant de continuer : « Ce n’est pas parce que nous tolérons que certains joueurs fument des joints qu’on acceptera qu’ils soient défoncés pendant les matches. »
Si Michael Svensen pense que le côté hippie du CSC est derrière lui, il se félicite qu’il ait totalement gardé sa portée sociale : « Le Christiania Sports Club est un club grand ouvert. Chez nous, que tu sois jaune, blanc ou bleu, tant que tu n’es pas un idiot tu as ta place. Nos joueurs intègrent particulièrement vite les nouveaux. »
A première vue, les vestiaires du CSC pourraient ressembler à n’importe quels autres. Des survêtements, chaussettes et crampons dans tous les sens et une odeur de transpiration macérée. En somme, rien d’étrange. Mais rapidement, une phrase au mur attire l’attention : “You’ll never smoke alone”. Ce slogan, dérivé du célèbre “You’ll never walk alone du Liverpool FC, est une maxime ancrée dans les valeurs des rouge et jaune. Carlo Strange, dernier joueur de l’équipe à être né et à habiter la ville libre, semble contredire son entraîneur. « Nous sommes quelques-uns du groupe à fumer pour le plaisir. Ça ne nous fait pas de mal. On se retrouve chez nous au club-house, on regarde un match et on se relaxe », reconnaît le natif de Mælkbøtten (pissenlit), l’un des 14 quartiers de Christiania.
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Dernier “rescapé” sous la tunique rouge et jaune – aux couleurs de la bannière du quartier – Carlo explique l’amour qu’il ressent pour son club : « Quand j’étais petit, j’allais seul voir les matches du CSC. C’était une vraie passion. L’ambiance était belle à voir, se souvient le jeune homme de 28 ans. Ils n’avaient pas d’équipe de jeunes. Je fais partie de l’une des premières générations nées à Christiania. Je trouvais ça tellement rageant de ne pas pouvoir jouer avec eux. J’ai donc commencé le football dans un autre club. » À 16 ans, Carlo s’engage sans hésiter avec le Christiania Sports Club. Une histoire d’amour qui dure depuis douze ans déjà. Cette ferveur, on la retrouve également chez Gaston, venu voir le derby de Copenhague à la télé au club-house du CSC : « Bien que je n’ai jamais pu habiter Christiania car il est très difficile d’y trouver un logement, je serai supporter du club jusqu’à ma mort. Aujourd’hui je ne joue plus car je suis trop vieux, mais je vais voir tous les matches à domicile. On est au moins une centaine à chaque fois. »
Si la ferveur des habitants de Christiania pour leur équipe ne fait aucun doute, la notoriété du petit club, va bien au-delà du niveau sportif du club, mais aussi des 34 hectares que compte le quartier situé au sud de Copenhague. L’équipementier danois Hummel a ainsi proposé de signer un partenariat jusqu’en 2019 pour s’occuper des tenues du club, également siglées du logo du Woodstock, un bar de la ville libre. Des crampons au col du maillot, l’univers hippie est présent un peu partout sur le maillot rayé. Dernier clin d’oeil offert par Hummel, une paire de chaussures avec une poche dérobée dans la languette avant pour y stocker son herbe. Des détails qui n’auront pas manqué de plaire jusque dans les plus hautes sphères du show-business puisque l’équipe compte parmi ses supporters le rappeur Snoop Dog ou encore Bono. Lukas Graham, interprète danois du tube 7 years et né à Christiania, a même intégré le club des 100, un titre honorifique remis chaque année à une personnalité importante pour le club.
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Bien que détenteur d’un lieu – enfumé – en plein cœur de Christiania, le CSC espère rapidement obtenir un club-house en dehors des frontières de la ville-libre selon Michael Svensen : « Notre prochain objectif est de créer des équipes de jeunes. Des débutants aux U19. Mais cela passe par la construction d’un lieu où les accueillir. Un endroit où fumer n’est pas toléré. » Et pour cela, le club pense l’installer de l’autre côté du cours d’eau, où se trouve actuellement leur terrain en herbe – celle qui ne se fume pas.