Le nouveau documentaire i-D, Out Of This World, est bien plus qu’un simple voyage au sein de la scène queer sud africaine. Il s’agit d’une véritable immersion et d’un hommage rendu à la jeunesse queer qui fait vibrer l’underground de la capitale, Johannesburg. Avec le musicien Mykki Blanco, qui a accepté d’incarner ce nouveau film, i-D est parti à la rencontre d’un groupe de performeurs et de créateurs qui ensemble, sont parvenus à définir un nouvel espace d’échange libre pour la jeunesse queer. Avec eux, il interroge la façon dont l’identité sexuelle peut nourrir la créativité de chacun – et vice versa. Avec en toile de fond les inégalités de genre, de classes et de couleurs de peau qui rongent le pays, le réalisateur Matt Lambert a décidé de la parole à une nouvelle génération libre, née après la fin de l’apartheid. Mikky Blanco revient pour i-D sur son immersion dans la scène la plus énergique et libre de Johannesburg – une expérience inédite et bouleversante.
l arrive que les hommes Africains se donnent la main dans la rue, bien qu’ils soient hétéros, comme simple témoignage d’amitié. Comment les rôles traditionnels masculins et l’homosexualité cohabitent ici ?
Nkulsey [un groupe de performers] et FAKA m’ont expliqué qu’en Afrique du Sud, particulièrement dans la culture Zulu, être efféminé ne signifie pas forcément être homosexuel. Les hétéros aiment la mode, ils adorent se mettre sur leur trente et avoir du style, mais cela ne fait pas d’eux des homosexuels. D’après ce que j’ai entendu, l’homosexualité est tellement loin de la réalité des gens que lorsqu’ils voient Bradley et Nklusey ensemble, ils leur demandent s’ils sont jumeaux ou bien frères. Cela ne leur vient pas à l’esprit qu’ils puissent être homosexuels.
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Dans le documentaire, tu affirmes que les médias et les images permettent d’échanger des idées. Est-ce que le fait que tu sois toi-même queer t’a permis d’entrer plus facilement en contact avec d’autres queers ?
Je crois qu’une sorte d’énergie s’installe quand on comprend l’oppression de quelqu’un ou quand on a traversé une situation comparable dans sa propre vie. Je me moque des coutumes, des couleurs, des principes, des religions ; il existe un faisceau de points communs entre les personnes queer des quatre coins du monde. Je sais ce que c’est que d’être traité de « pédé », en zulu on dit STABANA. Je ne sais pas si ça me donne une clé d’entrée, mais ça me permet sans doute d’aborder une situation avec plus de précaution. Je me suis identifié en tant que trans à un moment, et ça me permet certainement d’aborder directement des questions portant sur le sexe ou la vie amoureuse, qui pourraient sembler taboues à quelqu’un qui n’est pas queer.
Les gens ne veulent pas parler de VIH, de trans, de sexe : ils s’indignent de ce dialogue alors qu’en refusant de parler, on prive l’humanité de tout ce qui la rend authentique.
Qu’avais-tu en tête lorsque tu es arrivé en Afrique du Sud ? Avais-tu toi-même des préjugés auquel tu as dû faire face ?
Deux choses m’ont vraiment frappé : d’abord l’oppression vécue par les femmes, la façon dont leur parole est passée sous silence, elles doivent se battre pour être entendues. J’ignorais combien il était dangereux pour une femme d’être lesbienne, particulièrement lorsqu’on choisit de ne pas se présenter en tant que fem. Faka indique qu’être une femme queer adoptant des codes masculins peut vite être dangereux. Le viol « correctif » menace les lesbiennes et leurs filles, si elles en ont, qui peuvent être violées pour s’assurer qu’elles n’adopteront pas la même sexualité que leurs mères.
Et puis il y a la couleur de peau, qui renvoie directement à la suprématie blanche. Aux Etats-Unis, établir une distinction entre les Noirs et les Blancs renvoie directement à l’esclavage et aux combats menés par les Noirs pour accéder à l’égalité de droits. Donc découvrir une société fondée sur une séparation de couleur de peau a été un choc énorme pour moi.
Qu’avais-tu en tête lorsque tu es arrivé en Afrique du Sud ? Avais-tu toi-même des préjugés auquel tu as dû faire face ?
Deux choses m’ont vraiment frappé : d’abord l’oppression vécue par les femmes, la façon dont leur parole est passée sous silence, elles doivent se battre pour être entendues. J’ignorais combien il était dangereux pour une femme d’être lesbienne, particulièrement lorsqu’on choisit de ne pas se présenter en tant que fem. Faka indique qu’être une femme queer adoptant des codes masculins peut vite être dangereux. Le viol « correctif » menace les lesbiennes et leurs filles, si elles en ont, qui peuvent être violées pour s’assurer qu’elles n’adopteront pas la même sexualité que leurs mères.
Et puis il y a la couleur de peau, qui renvoie directement à la suprématie blanche. Aux Etats-Unis, établir une distinction entre les Noirs et les Blancs renvoie directement à l’esclavage et aux combats menés par les Noirs pour accéder à l’égalité de droits. Donc découvrir une société fondée sur une séparation de couleur de peau a été un choc énorme pour moi.
Tu as visité des townships. Quelle impression en as-tu gardée ?
Je suis allé à Katlehong où a grandi Fela Gucci de Faka et à Soweto, pour un shoot photo avec le créateur Rich Mnisi. J’ignorais tout de la culture des townships, et je ne voulais pas regarder ça d’une perspective bourgeoise, extérieure. Il y a une telle disparité entre les gens… Dans les townships, les gens n’ont pas accès au plus rudimentaire, à la différence de l’endroit où nous avons logé avec l’équipe… Être Noir américain et se retrouver dans un pays où la majorité des habitants sont privés de leurs ressources est quelque chose de très déroutant. Ce système d’oppression a la vie dure, il se manifeste à nouveau lorsqu’on ne se montre pas suffisamment vigilant, lorsque la société détourne trop le regard des personnes marginalisé.
On dit que le township fonctionne avec ses propres règles et qu’il faut y connaître des gens, mais lorsque je suis allé à Soweto avec Rich, j’ai eu le sentiment que tout le monde le connaissait, savait qu’il était queer, et était prêt à dépasser ça. Tout le monde voulait aider sur les moindres détails du shooting, sa famille veut vraiment que son projet réussisse.
C’est juste de la chance, si sa communauté l’accepte aussi facilement ?
Je pense que ça tient surtout à ce que ta famille comprend de ton art et ton travail. Le succès de Rich a été raconté, documenté dans des magazines, des journaux, il a remporté des prix. Ça permet à une maman, une grand-mère ou un oncle de se dire : « Il se fait un nom, il est connu, il réussit sa vie. » À côté de ça il y a les gens qui font des performances artistiques, ou de la peinture ; des formules artistiques plus transgressives et ambiguës. Il y a une énorme différence entre Rich, qui construit un business, quelque chose que sa famille et sa communauté peuvent voir, et Umlilo, une musicienne, qui sera toujours soumise aux goûts des gens. Et je pense qu’aucune famille du monde, à part une famille très arty, ne pourra établir un baromètre pour jauger si quelqu’un est un artiste performeur à succès. Et Umlilo ne se cache pas, elle est authentique, mais quand tu te présentes en tant que fem dans une société hyper patriarcale, c’est très dur. C’était ça, tout l’objet de la marche fem, dire : « Non, on est là, vous ne pouvez pas nous effacer. »
Tu t’es senti intimidé ?
Quand on s’est retrouvés dans le quartier de l’activiste queer et anti-apartheid Simon Ngoli, un long silence s’est étalé dans la rue. C’est un coin un peu chaud de la ville. Ce qui m’a fait le plus stressé, n’était pas le fait que le quartier est craignosse mais plus la façon dont tout le monde a commencé à flipper de ce qui pouvait potentiellement arriver.
Tu t’es rendu au club Cunty Power, avec Fela et Desire du collectif FAKA. C’était comment ?
On venait d’aborder un sujet intéressant, soit l’invisibilisation des fems dans les espaces gays cis et hétéro-normés. Je pensais que Cunty Power faisait des petites soirées un peu dans le genre mais pas du tout ! C’était le feu. Beaucoup de jeunes gens se rassemblent autour de FAKA et soutiennent le mouvement à fond. C’était super de voir les gens se lâcher librement comme ça. Beaucoup de femmes se sentent libres du regard des hommes là-bas. J’ai toujours adoré voir des femmes cis se sentir bien et libre dans des espaces queer.
C’est aussi un endroit qui n’attend pas des trans de couleur qu’elles performent pour le reste.
Qu’elles soient des mascottes. C’est horrible ! Je me suis rendu compte de la ségrégation raciale, sur place. C’était assez tendu. Je me souviens d’avoir dit à Stephen [Isaac-Wilson, le producteur du film] : « Mon dieu, c’est plutôt hardcore ici, mais d’une certaine manière, cette société leur appartient, ils sont contents d’être ici, tout le monde est cool avec eux, mais on ne ressent aucune jovialité pour autant. » C’est une sorte de théorie de la séparation qui endoctrine tout le monde.
À quel point internet permet à la jeunesse queer d’être elle-même en ligne, puis de gagner de la confiance pour affronter le monde réel ?
Je pense que cette diaspora queer digitale et internationale est géniale, qu’elle est l’instrument d’une émancipation. Je pense à Luke van den Burg, une trans de 18 ans qui vit à Johannesbourg et qui est l’une des seules trans visibles là-bas. Je me dis qu’elle se sentirait terriblement seule si elle n’avait pas cette communauté en ligne. Cette diaspora internationale encourage les gens à œuvrer pour des changements sociaux et des changements de comportements au sein de leurs propres communautés. Donc si j’étais Luke, je me dirais : « Pourquoi je ne pourrais PAS me lancer dans la mode ? Ou vivre mon genre comme je l’entends sans être regardée et jugée par tous ? Il y a des gens sur internet qui comprennent ce que je traverse, il y a des gens dont je peux suivre l’exemple ». Et puis on a aussi certaines personnes très fortes qui guident la communauté queer à l’international : Laverne Cox, Janet Mock… Et les personnes avec des plus petites plateformes qui parlent de santé, de sexe, de mode… tous ces gens-là font vraiment la différence.
Récemment, Laverne Cox affirmait que la binarité du genre était une imposition coloniale.
Oui ! Et tous les Africains noirs avec qui j’ai parlé avaient un certain degré de connaissance et d’éducation religieuse. Ils allaient à l’église, on les forçait à aller à l’église, et ils se rendaient compte aujourd’hui à quel point la colonisation chrétienne avait joué un rôle dans le déni de la communauté queer.
Ils ne vont plus à l’église ?
Je n’ai pas ressenti de défiance à l’égard de l’église. Personne ne m’a dit clairement qu’il n’y allait pas. J’ai eu le sentiment qu’ils avaient tous cette fondation, cette base religieuse, d’une certaine manière.
Certains documentaires se seraient intéressés à la famille de ces personnes. J’ai adoré que ce film se concentre sur leur culture.
Moi-même, j’ai dû comprendre assez vite que nous n’allions pas faire les choses de manière superficielle. Pendant ce processus de tournage, je me suis rendu compte que j’avais intériorisé une manière très spécifique et très idéologique de parler des problématiques queer, qui passait certainement à côté du sujet. Je pense que c’est bien plus intéressant de traiter le sujet comme i-D le fait, en se concentrant sur les artistes, la création. Ce qui se passe à Johannesbourg, en Afrique du Sud en 2017 est le fruit de la génération Born Free. C’est quelque chose qui s’est passé dans les années 1980 à New York, et qui arrive aujourd’hui dans un pays différent. Johannesbourg est incroyablement authentique en ce sens.
Sans abuser des tambours en acier ou peintures tribales !
On est en 2017 ! Dans le film, Rich Mnisi évoque l’idée selon laquelle il y a un récit Africain singulier à raconter, et qui doit être tribal. Mais ça rentre dans le jeu des stéréotypes coloniaux. Les artistes que j’ai rencontrés ne veulent pas de ça. Pas du tout.
On en arrive à un autre niveau de l’appropriation culturelle ; les gens s’approprient quelque chose qui n’existe même pas !
C’est quelque chose que je n’ai pas vu là-bas. Les gens ne s’intéressent pas à cette culture de la délation. Ils veulent s’engager, comprendre le monde plutôt que de pointer du doigt, de se désengager et d’usurper la situation en accusant les autres de vols, ou d’appropriation.
J’ai peur que si les Sud-Africains se mettent à pointer du doigt, ils ne puissent pas s’arrêter, il y a tellement d’inégalités là-bas…
Je pense qu’il est important de lever la voix quand les gens s’approprient quelque chose. Mais en même temps, il faut parfois savoir sincèrement accepter et profiter de « l’appréciation ». Putain, tu as le droit d’aimer quelque chose, simplement. Tu n’as pas à lister les raisons qui te font aime cette chose !