A la découverte de l’apnée : 90 mètres sous les mers

Au cours de ma première chronique, je vous avais fait découvrir les plaisirs de l’apnée et les sensations qui envahissaient le corps quand il s’imposait cet effort particulier, à mi-chemin entre performance sportive, voyage intérieur et appréhension des fonds marins.

Aujourd’hui, j’aimerais vous embarquer avec moi pour les profondeurs océanes dans une plongée à 90 mètres sous la surface. Mais avant de vous décrire ces 3 minutes 20 secondes de pures sensations, laissez-moi vous expliquer le fonctionnement de l’apnée en tant que discipline sportive.

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Trois types de compétitions de profondeur sont homologués. Chacune a pour objectif de descendre le long d’un filin-guide à une profondeur définie à l’avance, de récupérer un marqueur témoin pour ensuite remonter jusqu’à la surface afin de réaliser un protocole règlementé, témoin d’une maîtrise technique et d’un niveau de lucidité adéquat. Tout ceci, bien sûr, sans la moindre assistance extérieure.

Il existe donc une discipline s’effectuant à la force des palmes (Poids Constant Palmes), une s’effectuant à la force des membres en nageant la brasse (Poids Constant sans Palmes) et une dernière s’effectuant en se tractant à la force des bras le long du filin (Immersion Libre). Il existe également d’autres disciplines comme notamment celle présentée dans le film Le Grand Bleu (1988), mais qui ne sont cependant pas représentées en compétition.

La recherche du relâchement, la principale clé de l’apnée, lors d’un stage de formation à La Réunion.

Le voyage d’aujourd’hui se passera donc en immersion libre car c’est pour moi la discipline verticale où mon niveau de relâchement est le plus jouissif. Et qui dit niveau de relâchement extrême dit sensations extraordinaires. Prenez maintenant une grande inspiration, c’est parti.

Doucement, je m’immerge. Mes yeux sont fermés et je ressens maintenant l’eau sur chaque parcelle de ma peau. Ce contact maternel me permet de focaliser mon attention sur mes sensations : le relâchement, la glisse, le mouvement de l’eau sur mon visage, la fraîcheur de l’océan… Je suis en constante recherche d’équilibre et d’efficience technique. Chacun de mes mouvements doit être optimal, tout en gardant un niveau de relâchement suffisant afin de pouvoir recevoir et accepter les phénomènes physiques qui vont agir sur mon organisme.

Au début de ma descente, je me dois de développer la force nécessaire pour contrer notre vieil ami Archimède* qui tend à vouloir me ramener vers la surface. Je me tracte le long du filin. Mon corps se comprime au fur et à mesure de la descente. Les forces physiques tendent à s’inverser et mes tractions deviennent de plus en plus espacées. Je savoure la sensation de glisse entre chaque mouvement. Lorsque je sens que ma vitesse atteint un niveau adéquat, j’arrête de me tracter. Je laisse place à ce que l’on appelle la “chute libre*”. Je glisse doucement vers le fond, sans aucun effort à fournir. Mes yeux sont toujours fermés. C’est la partie la plus extraordinaire de la plongée. Ces sensations sont tout simplement incroyables et uniques. Et il n’est possible de les découvrir et de les expérimenter qu’en apnée uniquement.

Si nous autres apnéistes cherchons à aller le plus profond possible, c’est pour tendre à allonger toujours plus cette phase de chute. Plus nous allons profond, plus les sensations se décuplent et deviennent intenses. Pour moi, le plaisir grandit au fil de la descente.

Lorsque mon corps tout entier se comprime, je ressens mes poumons et mon coeur à l’intérieur de mon enveloppe. Ces battements résonnent dans mes oreilles et je le sens ralentir au fur et à mesure de ma descente. Ma vitesse de chute s’accélère progressivement. Mon corps semble se dissoudre comme s’il se désagrégeait, comme si il ne m’appartenait plus. Le froid, souvent présent à ces profondeurs, amplifie mes mécanismes de protection. Mon sang n’alimente plus que mes organes vitaux : mon coeur, mes poumons, mon cerveau. A 80 mètres, mes poumons sont tellement comprimés que ma cage thoracique se déforme et mon diaphragme rentre à l’intérieur de mon ventre. Je flotte à l’intérieur de ma combinaison qui était pourtant ajustée à la surface. Mon coeur ne bat plus qu’à une trentaines de pulsations par minute. Je continue ma descente. J’arrive à 90 mètres de profondeur.

Je prends quelques secondes pour observer, pour ressentir. Les sensations s’alternent et m’émerveillent : je suis comme extérieur à moi-même, plongé dans un état extrême de pleine conscience, avant de me sentir comme dissous dans le milieu liquide qui m’entoure. Quelque soit mon ressenti à 90 mètres sous les mers, il est toujours d’une intensité et d’une force extraordinaire. Ces images, ces sensations, ces expériences, restent en mémoire comme des flashs inaltérables. Des bribes de souvenirs éphémères, intenses, qui nous appellent à replonger une fois de retour à la surface.

Départ pour les abysses. Marc Henauer/Nitrogenic

Cette sensation de plénitude m’accompagne ensuite pendant la remontée. Les phénomènes physiques sont inversés et je dois développer une force considérable pour m’arracher du fond. Je suis toujours dans un état de relâchement extrême. Mon coeur accélère légèrement au fur et à mesure que la pression diminue. Une vague de chaleur envahit mes bras et mes jambes et je ressens comme de légers picotements à l’extrémité de mes doigts. C’est la sensation qui m’indique que mon sang regagne peu à peu son circuit d’origine.

Le premier apnéiste de sécurité, un de ces hommes-poissons qui sont là pour veiller sur nous, vient à ma rencontre. Il produit un petit bruit afin de me signaler sa présence. Ce signal sonore me rassure. Je me sens accompagné et protégé.

Je sens l’air dans mes poumons se dilater. Bien que mes yeux soient toujours fermés, je sens que la lumière devient de plus en plus vive. Le bleu sombre et profond laisse place à une lueur beaucoup plus cyan. Mon second ange gardien vient lui aussi à ma rencontre. Je me sens en sécurité.

A l’approche des derniers mètres de cette remontée, le vénérable Archimède* reprend du service. Je n’ai plus d’effort à fournir. Je me laisse porter vers la surface en me relâchant toujours plus pour économiser mes dernières réserves d’oxygène.

Je regagne la surface. Je respire à plein poumons. Je ressens à nouveau le contact de l’air sur mon visage, la chaleur du soleil, le goût de l’eau salée sur mes lèvres. Il me faut quelques secondes pour quitter cet état de conscience modifié afin de me reconnecter avec ceux qui m’entourent.

Renaissance. Photo Valérie Faye

Cette expérience méditative de 3’20” m’appartient. Elle viendra nourrir mon esprit par la suite, resurgissant de temps à autre comme un flash, m’envoyant sont lot de bribes de souvenirs et d’émotions. Ces sensations fortes et profondes m’appellent parfois, et témoignent du besoin viscéral de mon corps de les éprouver à nouveau. Une manière simple d’être en accord avec moi-même, de me faire plaisir, de prendre du temps pour moi, d’arrêter de courir partout et de poser mes pensées.

L’apnée est une expérience extraordinaire, mais n’oubliez jamais que c’est grâce au cadre protecteur et sécuritaire dans lequel on l’exerce que nous pouvons nous épanouir pleinement et sereinement. L’apnée ne peut être pratiquée que dans un cadre spécifique où des professionnels sont là pour vous guider et veiller sur vous.

Et pour ceux à qui parle ce récit, je vous invite à venir me retrouver pour tenter l’expérience!

  • Quelques explications techniques

*Principe d’Archimède : Tout objet plongé dans un fluide subit une force verticale, dirigée de bas en haut et opposée au poids du volume de fluide déplacé par l’objet. Concrètement, voilà comment cela se passe en détail. En surface, l’apnéiste flotte. Au début de l’immersion, et pendant les premiers mètres, il doit fournir un effort important pour aller à l’encontre de la « force d’eau » qui tend à le faire remonter vers la surface. Il est en flottabilité positive. Pendant la descente, les poumons et la combinaison de l’apnéiste sont compressés réduisant ainsi son volume global.

Après quelques mètres, le poids du volume d’eau déplacé par l’apnéiste correspond à son propre poids. L’apnéiste arrive sur le point de flottabilité neutre (l’apnéiste ne flotte pas et ne coule pas. Il est en parfait équilibre). Lorsque l’apnéiste descend plus profondément, le volume qu’il déplace diminue proportionnellement à la pression toujours croissante. Finalement, le poids du volume d’eau déplacé par l’apnéiste devient inférieur à son propre poids. La flottabilité devient donc négative et l’apnéiste se met à glisser vers le fond sans avoir besoin de fournir aucun effort (chute libre).

*Chute Libre : La chute libre est décrite comme la partie la plus agréable de l’apnée. L’apnéiste glisse vers le fond sans effort, sans dépense d’énergie et sans besoin de propulsion. En effet, la flottabilité étant négative, l’apnéiste n’a plus besoin de nager ou de palmer et peut profiter d’un relâchement total.