Cette histoire est tellement absurde que 20 ans plus tard, les plus jeunes n’y croient pas vraiment. O.J. Simpson, acquitté du meurtre de son ex-femme Nicole Brown et de son ami de l’époque Ron Goldman, malgré des preuves accablantes. O.J. Simpson, qui croupit aujourd’hui en taule après avoir été condamné en 2008 à 33 ans de prison ferme pour enlèvement et vol à main armée – une fait divers qui n’a rien à voir avec le meurtre de son ancienne épouse. O.J. Simpson, passé de star du football US à détenu ordinaire. Peu de Français comprennent à quel point sa trajectoire a fasciné les Américains et a divisé tout un pays.
Vous connaissez sans doute les multiples rebondissements du procès Simpson, diffusé en direct dans le monde entier. C’est d’ailleurs ce qui rend, à première vue, tout projet de documentaire sur le sujet un peu vain. Que peut-on raconter de plus sur cette affaire judiciaire hors du commun ? De cette séquence irréelle où le procureur tenta sans succès de faire enfiler à l’ancien footballeur le gant du tueur jusqu’à l’évocation par les avocats de Simpson d’anciennes remarques racistes proférées par le détective Mark Fuhrman, tout semble avoir été dit, raconté, répété, amplifié.
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Sauf que c’est absolument faux, et que le remarquable documentaire O.J.: Made in America est là pour vous le rappeler. Découpé en cinq longues parties, celui-ci s’attache à replacer l’affaire Simpson dans un cadre plus large, celui des tensions qui gangrènent l’Amérique depuis plus d’un demi-siècle. Tout au long de cette œuvre d’une durée de huit heures, le réalisateur Ezra Edelman en dit autant sur les conflits de classe, de race, sur les luttes de pouvoir et sur la fascination pour les célébrités que sur le destin d’un homme devenu symbole.
Interviews, images d’archives, rencontres avec des jurés du procès, des membres des familles Brown et Goldman, des proches de Simpson : O.J.: Made in America donne la parole à tous les protagonistes d’une affaire sordide transformée par certains en une incarnation de la violence policière, des inégalités raciales et du traitement inégal réservé aux Afro-américains. Au cours de la première partie, c’est le destin d’O.J. Simpson lui-même qui est mis en lumière. Cet athlète hors pair, l’un des meilleurs running backs de sa génération, marquera ses entraineurs dès l’université de par sa vitesse incroyable, lui permettant de traverser les défenses et de battre nombre de records en NFL. Edelman compare son triomphe progressif dans les années 1960 à l’évolution du mouvement des droits civils – que Simpson semble avoir volontairement ignoré. Il dira même qu’il ne se sent « pas noir », ce qui ne manquera pas d’alimenter des centaines de conversations dans les années 1990, lors de son procès.
La deuxième partie du documentaire s’attache à décrire les tensions liées aux violences policières des années 1960, tensions qui ont culminé lors des émeutes de Watts – du nom d’un quartier de Los Angeles – en 1965. Ezra Edelman m’a précisé que c’est la proximité temporelle entre l’arrivée d’O.J. dans l’université de Californie du Sud et le déclenchement de ces émeutes qui a constitué le point de départ de son documentaire. « 1965 a vraiment été une date clé pour construire cette oeuvre », m’a-t-il avoué.
Ce n’est qu’au cours de la troisième partie que les meurtres entrent en jeu, après l’évocation de la première épouse de Simpson, Marguerite – une femme noire qu’Edelman n’a jamais réussi à avoir en interview. Après cela, tout s’enchaîne : le procès, l’acquittement au cours de la quatrième partie, puis la descente aux enfers pour finir. En effet, après avoir dû payer 33 millions de dollars de dommages et intérêts suite à son procès civil – où il a été reconnu coupable de meurtre, cette fois-ci – O.J. Simpson finira sa course en prison en 2008, après une nouvelle condamnation suite à un braquage commis dans un hôtel de Las Vegas.
Hormis quelques révélations inédites – comme l’homosexualité du père d’O.J., qui pourrait expliquer la haine du footballeur à l’encontre des gays – les éléments évoqués dans O.J.: Made in America sont du domaine public. Le tour de force d’Edelman est d’avoir mis en place un récit cohérent, qui dépasse le cadre de la simple évocation biographique pour embrasser les tourments de l’Amérique, tout en profitant de la personnalité unique de Simpson pour captiver les spectateurs. Père de famille, héros, mari infidèle et violent et, pour de nombreuses personnes, meurtrier, O.J. Simpson n’a cessé de choquer ou, au contraire, d’attirer la sympathie – notamment auprès de la communauté noire, encore traumatisée par les violences raciales de 1991, du meurtre de Latasha Rawlins au passage à tabac de Rodney King.
J’ai demandé à Edelman ce qu’il pensait de la personnalité complexe de Simpson. En retour, le réalisateur a tenu à être prudent : « Je n’aurai jamais la prétention de dire que je sais ce que cet homme a en tête. Je me suis basé sur des vidéos d’archives et sur de nouvelles interviews de ses proches pour créer ce documentaire, mais je n’ai jamais dit que je savais qui il était. »
Lorsqu’O.J.: Made in America s’achève, vous ne pouvez vous empêcher de vous dire que l’histoire n’est pas encore terminée. Oui, Simpson est actuellement en prison, mais il pourra sortir dès 2018 dans le cadre d’une libération conditionnelle. Connaissant son obsession pour la gloire, on peut s’attendre à ce qu’il réapparaisse sur nos écrans. « Je ne serais pas contre le fait d’ajouter de nouveaux chapitres à mon documentaire d’ici quelques années, m’a dit Edelman. Simpson finira par sortir de prison et cela va beaucoup faire parler. De toute façon, en ce qui concerne O.J. Simpson, plus rien ne me surprend désormais. »
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