Culture

À la recherche du trésor de guerre japonais qui n’avait jamais existé

Or Yamashita

Quand l’acteur japonais Toshiro Mifune, fidèle acolyte d’Akira Kurosawa, décide en 1963 de réaliser son premier film , il est bien loin de penser que la trame choisie – la quête d’un trésor que l’armée impériale aurait abandonné aux Philippines à la fin de la Seconde Guerre mondiale – animerait encore aujourd’hui bon nombre d’aventuriers.

Dans L’Héritage des 500 000, Mifune s’inspire librement d’un mythe : l’or de Yamashita. Le général du même nom (bien réel lui) aurait caché sur l’île de Luzon le butin amassé tout au long des pillages en Chine et en Asie du Sud-Est – on y trouverait notamment des statues de Bouddha et 6 000 tonnes d’or volées dans la réserve personnelle de Tchang Kaï-chek.

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Au cinéma, ça donne Toshiro Mifune (qui a lui-même servi dans l’armée de l’air à la fin du conflit) dans le rôle de Matsuo, ancien commandant de bataillon qui aurait supervisé la dissimulation du trésor et qui, sous la pression d’un industriel, se retrouve à la tête d’un groupe de contrebandiers chargés de le récupérer. Le trésor est surtout un prétexte pour évoquer le sacrifice du peuple japonais (militaires comme membres de la société civile) et un révélateur de la cupidité des hommes.

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Toutes les images sont tirées de « L’Héritage des 500 000 » de Toshiro Mifune. © Carlotta Films.

Dans le film de Mifune, l’origine de l’or est un poil plus noble. Il s’agit d’objets précieux fournis par la population pour soutenir l’effort de guerre. L’or est fondu puis pressé sous la forme de pièces frappées de l’idéogramme « bonheur » qui sont acheminées jusqu’à Manille pour « garantir le cours de la monnaie locale et acheter du riz », avant de disparaître « avec les âmes des 500 000 soldats morts là-bas ».

La plupart des historiens s’accordent si l’armée japonaise a pu logiquement accumuler des richesses au fil de ses conquêtes, elle les a toutes dépensées, laissant le pays exsangue. Le trésor ne serait qu’une de ces légendes façonnées par le chaos de l’après-guerre où se mélangent délire paranoïaque, anticommunisme primaire et porte cachée dans le bunker d’Hitler. Ce qui ne l’a pas empêchée de faire son petit bonhomme de chemin dans la psyché collective, bien aidé en cela par le travail de Sterling et Peggy Seagrave.

Journaliste d’investigation, Sterling écrit avec sa femme Peggy un premier livre publié en 2000, The Yamato Dynasty : The Secret History of Japan’s Imperial Family dans lequel le couple assure que le trésor est bien réel. L’empereur Hirohito aurait même mandaté son frère, le prince Yasuhito Chichibo, à la tête d’une organisation chargée de superviser le pillage massif des territoires conquis par l’armée.

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La société secrète (baptisée le Lys d’or), composée aussi bien d’économistes, de membres de la famille impériale que de yakuzas, aurait coordonné les vols puis transformé l’or en lingots portant un sceau japonais pour en dissimuler l’origine. Une fois réuni, le butin aurait suivi la route de l’armée jusqu’aux Philippines avant que les sous-marins et avions Alliés n’empêchent son transfert au Japon, obligeant Yamashita à le cacher sur place.

Sur place justement, le nombre de sites utilisés pour dissimuler le trésor varie (jusqu’à 200). L’or aurait été stocké dans des réseaux souterrains complexes (caves, grottes, tunnels) voire sommairement enterré sous le lit asséché d’une rivière. Les ingénieurs ayant participé à l’élaboration des planques auraient même été enfermés à l’intérieur pour ne pas en dévoiler la localisation.

Même si les historiens estiment qu’en 1943, les Japonais avaient perdu le contrôle des mers et n’auraient jamais choisi les Philippines comme destination pour leur trésor de guerre – au contraire de la Chine ou de Taïwan – les Seagrave en sont convaincus : l’or de Yamashita a bien été dissimulé sur l’île de Luzon. Et ils vont même plus loin.

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Dans un autre de leur ouvrage, Gold Warriors : America’s Secret Recovery of Yamashita’s Gold, les Seagrave assurent que le trésor a bien été en partie retrouvé par les Américains, sous le haut patronage du général MacArthur et du président Truman. L’or aurait alors servi à alimenter une caisse noire utilisée par la CIA pour lutter contre la montée du communisme dans l’archipel et expliquerait par la même occasion le miracle économique connu par le Japon après la guerre.

Les Seagrave ne sont d’ailleurs pas les seuls à avoir écrit sur le sujet. Membre d’une équipe menée par le chasseur de trésor Robert H. Curtis, Charles McDougald raconte dans Asian Loot : Unearthing the Secrets of Marcos, Yamashita and the Gold son périple philippin en 1975 à la recherche de l’or de Yamashita. Une quête effrénée soutenue par le président Ferdinand Marcos qui finira bredouille. Après plusieurs mois à faire chou blanc, Curtis finit même par déclencher l’ire du dictateur et être expulsé du pays. Ses recherches reprendront après la chute de Marcos et l’arrivée au pouvoir de la présidente Corazon Aquino.

En 1988, nouveau rebondissement, c’est Rogelio Roxas, chasseur de trésor philippin, qui porte plainte contre Ferdinand et Imelda Marcos. Il les accuse de lui avoir volé l’or de Yamashita. Roxas explique avoir rencontré à Baguio le fils d’un ancien membre de l’armée impériale japonaise qui lui aurait indiqué l’emplacement du trésor. Après avoir découvert des caisses remplies d’or dans une cavité souterraine, il aurait été arrêté, torturé puis emprisonné sur l’ordre des Marcos.

La quête effrénée du trésor n’est pas sans conséquences pour les Philippins. Les archéologues locaux se sont régulièrement plaints des dégâts causés par les chasseurs et autres aventuriers dans leurs recherches, détruisant parfois à grand renfort de bulldozer et d’explosifs des sites et des nécropoles à l’importance historique capitale. Au-delà des dégâts irréparables commis, certains chantiers publics ont même éveillé la méfiance : à Baguio, les constructions d’un centre de conférence et d’un musée ont été soupçonnées de masquer des fouilles.

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Aux Philippines, l’or de Yamashita n’est pas le premier magot à faire tourner les têtes. Du pirate chinois Limahong, qui aurait enterré son butin après avoir échoué à prendre Manille au XVIe siècle, à Francisco Dagohoy, chef de la rébellion contre le pouvoir colonial espagnol, les raisons de creuser des trous sont multiples. Chaque année, les autorités recensent d’ailleurs des morts accidentelles de chasseurs de trésors.

En mars dernier, c’est la chaîne History qui consacrait à l’or de Yamashita un programme, Lost Gold of World War II, dans lequel une équipe part explorer la jungle philippine avec en consultant Robert H. Curtis. Le dernier épisode de la première saison se termine évidemment sur un cliffhanger : la découverte d’un tunnel que les chasseurs exploreront dans la suivante.

Quant aux « ronds du bonheur » de L’Héritage des 500 000, ils ont bien existé. Comme le raconte la scripte Teruyo Nogami dans Waiting on the Weather : Making Movies with Akira Kurosawa, Mifune a l’idée de presser des imitations des pièces d’or qu’il distribue à toute l’équipe du film et ceux qui ont participé, de près ou de loin, au projet. Nogami a encore la sienne et, aux dernières nouvelles, elle ne l’a pas enterrée.

Toutes les images sont tirées de L’Héritage des 500 000 de Toshiro Mifune.

L’Héritage des 500 000, de Toshiro Mifune, disponible en DVD depuis le 28 août, Carlotta Films


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