L’article original a été publié sur VICE Arabia
« C’est incroyable! » dit Mohamed, 28 ans, en entrant dans le premier cinéma à ouvrir ses portes en Arabie saoudite en 35 ans pour voir la superproduction Black Panther. « Ma passion pour le cinéma a toujours occupé une grande place dans ma vie, mais ça, c’est différent. Je n’aurais jamais cru que ce jour viendrait. »
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Au début des années 90, l’Arabie saoudite a imposé la fermeture de tous les cinémas sous la pression de groupes religieux souhaitant restreindre toutes les formes de divertissement public où hommes et femmes se côtoyaient. Mais l’an dernier, les Saoudiens ont appris que l’interdiction serait levée dans le cadre du projet Saudi 2030, dont l’objectif est de réduire la dépendance du pays au pétrole par la promotion d’autres secteurs, comme celui du divertissement. Ce projet, dirigé par le prince héritier et vice-premier ministre, Mohammed ben Salmane, vise aussi à adoucir l’image du pays dans le monde.
« Je me sens maintenant à égalité avec les autres passionnés de cinéma de la planète, me dit Mariam, 25 ans. On peut maintenant voir des films à leur sortie plutôt que de devoir attendre de pouvoir les regarder à la télé ou en ligne. Beaucoup de gens se sont opposés à cette interdiction pendant longtemps, et je croyais sincèrement qu’elle ne serait jamais levée. » Mais c’est arrivé. Le 28 avril, après dix jours de présentations VIP privées, le grand public pouvait voir Black Panther sur grand écran.
Le cinéma est situé dans le district financier du roi Abdullah, dans la capitale, Riyad, où il y a eu une véritable frénésie dans les jours précédant son ouverture. « Les billets pour toutes les représentations de la première semaine se sont vendus en quelques minutes », dit le blogueur spécialisé en cinéma Abdel Aziz Zamel. « Même s’il n’y a pas de cinéma ici depuis 35 ans, je dirais qu’en comparaison avec le reste de l’Arabie, on est les plus passionnés de cinéma. J’ai vu des études qui disent que plus de 90 % des gens qui vont au cinéma à Bahreïn, par exemple, sont des Saoudiens. »
Chaque année, le gouvernement estime que des centaines de milliers de Saoudiens traversent la frontière pour voir des films et s’adonner à d’autres activités interdites dans leur pays. C’est ce que le prince Ben Salman tente de contrer, afin de mettre la main sur une partie des 22 milliards que les Saoudiens dépensent annuellement à l’étranger dans l’industrie du divertissement. « Comme beaucoup de mes amis, je passais à l’occasion quelques jours à Bahreïn juste pour voir des films, mais maintenant je n’ai plus besoin de gaspiller tout l’argent que coûte le voyage », dit Abdel.
Le gouvernement saoudien estime que ce projet peut être réalisé tout en préservant les traditions, et les puissants chefs religieux du pays semblent l’avoir accepté. « On doit s’assurer de respecter notre culture, qui est conservatrice, tout comme dans les autres États du golfe Persique, poursuit Abdel. C’est pourquoi je suis d’accord avec la censure et le besoin de restreindre l’accès au contenu inapproprié. »
C’est à une chaîne de cinémas américaine, AMC, que le ministère de la Culture et de l’Information a accordé la licence pour l’exploitation d’un cinéma à Riyad. Au cours des cinq prochaines années, AMC projette d’ouvrir 40 autres cinémas répartis dans 15 villes d’Arabie saoudite.
Comme la majorité de la population du pays a moins de 30 ans, le gouvernement s’attend à devoir ouvrir environ 350 cinémas, soit 2000 écrans d’ici 2030, pour répondre à la demande.
Beaucoup espèrent que l’accroissement de l’offre fera baisser le prix des billets, actuellement de 75 riyals (25 $ CA). « Comme toujours quand un produit est rare, son prix est élevé, me dit Abdel. Il n’y a qu’un cinéma en Arabie saoudite, et la compagnie pense que c’est bien d’exiger un montant aussi élevé. Je suis sûr que le prix va diminuer quand d’autres cinémas auront ouvert leurs portes. »
D’ici là, beaucoup de jeunes hésiteront à dépenser autant, comme Sana, un étudiant universitaire de 20 ans. Surtout que « le cinéma n’est qu’une salle de concert convertie, et pas si bien convertie que ça, me dit-il. Le confort et le service sont à peine satisfaisants, mais AMC exige de nous un prix très élevé. La compagnie en profite. »
Difficile d’être en désaccord avec Sana, sachant que le PDG d’AMC, Adam Aaron, a lui-même affirmé à la convention CinemaCon que le prix des billets pourrait grimper jusqu’à 35 $ dans les prochains mois en raison de la demande. « Honnêtement, le prix est trop bas, dit-il. La demande est si élevée en ce moment que le prix n’est pas un obstacle. »
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Malgré cette perspective, les Saoudiens continuent de soutenir le projet, entre autres parce que ce nouvel investissement pourrait faire croître l’industrie saoudienne de la production cinématographique. « Les films saoudiens sont uniques et merveilleux, m’assure Abdel. Ils méritent d’être présentés dans les cinémas, et je suis sûr que, lorsqu’ils le seront, les gens les aimeront. Avec la hausse de l’investissement, je suis impatient de voir nos films sur grand écran et de les voir présentés dans d’autres pays pour faire connaître la culture saoudienne dans le monde. »