Juin 2018 à Marseille : six MacDo franchisés, la Blancarde, Grand Littoral, Plan-de-Campagne, Vitrolles, Saint-Victoret et Saint-Barthélémy, sont sur le point d’être cédés par leur propriétaire Jean-Pierre Brochiero. Mohamed Abbassi, qui en détient déjà huit dans la cité phocéenne, projette alors de reprendre cinq enseignes. La 6e serait rachetée par un mystérieux acquéreur qui propose d’en faire un fast-food chinois halal.
Mais tout ne va pas se passer comme prévu. Ce 6e McDonald’s, c’est celui de Saint Barthélémy. Un MacDo des quartiers nord aimé de la population locale. Les salariés ne sont pas dupes. Pour eux, se « débarrasser » de leur restaurant revient surtout à « tuer » le travail des syndiqués.
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Le vendredi 7 septembre, le TGI de Marseille tranche : l’acquisition en question se révèle un montage financier irréaliste. Elle est déboutée. L’avocat des employés, Me Ralph Blindauer, dépose aussitôt une plainte pour « escroquerie association de malfaiteur en vue de commettre une escroquerie ».
11 heures : des jeunes enchaînent les roues arrière sur le bitume de l’immense centre commercial Grand Littoral, situé dans les quartiers nord de Marseille. À l’intérieur du mall, quelques clients se baladent entre les différents commerces de prêt à porter et les fast-foods. Au -1, une enseigne reste fermée. Les stores sont à moitié baissés et une simple feuille A4 alerte : « Mouvement social ».
« Ce MacDo avait un rôle social pour la population. Il permettait aux jeunes de pouvoir travailler et se sortir de la drogue ».
Devant, ils sont une petite dizaine installée autour des tables en fer. S’ils ont déjà participé à des mouvements de grèves isolés depuis juin, cela fait maintenant plusieurs jours d’affilée qu’ils bloquent leur MacDo et pratiquent – suite à l’agression d’un syndicaliste – leurs droits de retraits, quitte à y dormir la nuit.
Abdel, la cinquantaine, 26 ans de métier au MacDo de Saint Barthélemy, le restaurant d’où est née la protestation, est venu discuter avec les employés de Grand Littoral. Il est bien déterminé à ne pas se laisser faire. Il faut dire que son MacDo, installé depuis 30 ans dans les quartiers nord de Marseille est, avec ces 77 employés, l’un des premiers employeurs après l’hypermarché Carrefour.
« MacDo c’est ma première maison. J’y ai grandi. C’est un lieu très important. Un lieu de chaleur humaine où l’on trouvait un vrai mélange. On était excellent en plus d’être respecté. » Michel Le Poitevin, qui soutient le mouvement sous la bannière du syndicat Solidaires depuis le début, ajoute : « Ce MacDo avait un rôle social pour la population. Il permettait aux jeunes de pouvoir travailler et se sortir de la drogue ».
Dans ces quartiers où le taux de chômage atteint parfois 30 % chez les jeunes actifs, travailler au MacDo n’est pas un simple job d’appoint. Beaucoup d’employés y restent plusieurs années, cherchant souvent à passer aux 35 heures. Le New York Times a même traité le sujet le 5 septembre dernier, avec un article intitulé « Yes, There Is a French McDonald’ s That Is Beloved (by Its Staff) » s’étonnant de l’attachement des travailleurs à l’enseigne.
Dans le fast-food de Saint Barth’, le niveau de violence est drastiquement monté. Le 19 août, plusieurs personnes rentrent dans le restaurant et agressent les employés.
En France, 80 % des 1 285 McDonald’s implantés sur le territoire sont exploités par des partenaires franchisés en location-gérance. Ce qui signifie que les entrepreneurs versent 20 % de leur revenu annuel – plus 5 % de royalties sur les noms des sandwichs, les logos, etc… Cela signifie également que le droit du travail y est assez fluctuant – au gré des différents propriétaires. Selon certains employés interrogés, quand un repreneur récupère un MacDo, il en profite souvent pour évacuer les éléments « les plus syndiqués » ou les employés les plus anciens.
Barbe de trois jours, grand, maigre, l’œil pétillant, Kamel Guemari parle très vite, en s’arrêtant toutes les cinq minutes pour serrer des mains ou échanger un mot. Ce sous-directeur du MacDo de Saint Barthélemy, où il travaille depuis 20 ans, délégué syndical FO, est l’initiateur de la grève.
Pour lui, le projet de reprises est une manière de « casser le syndicat ». Il assure : « C ’est une chasse aux sorcières ». Abdel renchérit : « Ils veulent récupérer les MacDo, mais pas ceux syndiqués » analyse l’employé. « Ici les syndicats font leurs boulots, ils tapent du poing sur la table… Et ça, ils n’aiment pas. »
Dans le fast-food de Saint Barth’, le niveau de violence est drastiquement monté. Le 19 août, des personnes rentrent dans le restaurant et agressent les employés. Quelques jours avant, Kamel, désespéré, avait menacé de s’immoler, avant d’être amené à l’hôpital par les pompiers. C’est en partie grâce à lui, enfant des quartiers nord, très attaché à son travail, que les employés de ces 6 McDonald’s avaient obtenu des droits au fur et à mesure des années. Parmi eux, un treizième mois au bout d’un an d’ancienneté et une mutuelle. Les employés ont aujourd’hui peur que ces droits disparaissent, sans garantie du repreneur.
Toute la matinée, les salariés du MacDo vont continuer à se relayer pour garder leur enseigne. Dans leur boutique fermée, ils discutent en se partageant sodas et snacks. Tony Rodriguez, deux ans au MacDo, formateur et responsable de la section syndicale de Sud Solidaires, est venu les réconforter.
Tony Rodriguez parle aussi de valises de cash qui auraient été proposées à plusieurs des syndicalistes en échange de leur silence.
Lunettes aviateur sur le nez, il mène la résistance depuis le début, faisant le tour des McDonald’s pour rassurer les salariés, organisant des groupes de parole même si, lui aussi, semble à fleur de peau. Cet employé du restaurant de Plan-de-campagne parle d’un « climat de terreur » et raconte la « pression permanente, les agressions, les menaces de mort de la part de personnes qui souhaiteraient l(e) faire taire. » Michel Le Poitevin s’étonne : « Ça fait longtemps qu’on n’avait pas vu les piquets de grèves se faire agresser ».
Tony Rodriguez parle aussi de valises de cash qui auraient été proposées à plusieurs des syndicalistes en échange de leur silence. Valises dont le montant atteindrait plusieurs dizaines d’années de salaires d’un employé de MacDo lambda. Une allégation que réfute complètement le conseiller aux relations presses de McDonald’s France, la taxant au passage de « ridicule ».
Selon lui, le seul problème du MacDo de Saint Barthélémy est d’être déficitaire depuis 2009. Il laisse également sous-entendre que l’offre de restauration « non halal » de ce McDonald’s ne correspondrait pas à la demande de la population fortement musulmane dans le quartier. Pour Me Ralph Blindauer, avocat des salariés grévistes : « C’est de la foutaise totale. Le MacDo a fonctionné pendant des années. C’est une façon de stigmatiser le quartier. C’est scandaleux en soi. »
Depuis le début du conflit, Tony et les salariés appellent le futur repreneur et McDonald’s France à se réunir autour d’une table. « Ce que l’on veut faire savoir, c’est qu’il est inhumain de travailler dans ces conditions. Laisser 300 employés venir sur leur lieu de travail, la boule au ventre. Quand on connaît les salaires et les conditions de travail, la moindre des choses c’est que les encadrants soient gratifiants ».
Cette demande a enfin été entendue mercredi 20 septembre. Lors d’une réunion, M. Abbassi propose finalement de reprendre le MacDo de Saint Barthélémy, à condition de dissoudre le CHSCT, institution représentative du personnel, et de licencier les quatre plus gros salaires qui partiraient avec une compensation financière. Parmi les employés concernés, Kamel Guemari, symbole du combat mené, refuse d’évoquer un départ.
Depuis la réunion, les employés ont repris le travail mais les négociations se poursuivent avec Me Blindauer. Si elles n’aboutissent pas, ils seront tous prêts à reprendre le combat.
Samedi 15 septembre, sur la grande scène de la fête de l’Humanité où il était invité, Kamel interpellait directement le président de la République : « Vous avez envisagé de mettre en place un plan de pauvreté. Nous, on aimerait en tant que salariés, que vous mettiez en place un plan de dignité. » .
Depuis la réunion, les employés ont repris le travail mais les négociations se poursuivent avec Me Blindauer. Si elles n’aboutissent pas, ils seront tous prêts à reprendre le combat. Quant aux menaces de McDonald’s de fermer l’enseigne si aucun accord n’était trouvé : l’avocat n’y croit pas.
« Un plan social et un dépôt de bilan chez MacDo, ça ferait désordre » estime-t-il. Pour lui, McDonald’s France « a complètement sous-estimé le rapport de force ». « Ils ne sont pas habitués à avoir en face d’eux des employés là depuis autant de temps, dont certains sont aussi des syndicalistes chevronnés. »
En gros, « Venez comme vous êtes » mais pas trop syndicalisé quand même.