Si vous dites à des Italiens que vous allez faire un tour en Calabre – soit au niveau des doigts de pied de la Botte –, leur première réaction sera invariablement : « Pourquoi ? »
La région est une des plus pauvres d’Italie. Elle est aussi la moins touristique. La Calabre est le lieu d’une forte activité sismique. On n’y trouve aucun site archéologique majeur et le seul truc qu’elle est parvenue à exporter, c’est le crime organisé. Quant à la cuisine locale, elle n’a jamais séduit les foules – pas même son ingrédient le plus symbolique : le piment de Calabre.
Videos by VICE
LIRE AUSSI : Dans les boulangeries de Sicile, à la recherche du cannolo parfait
Appelé peperoncino, ce fougueux piment rouge est présent dans la plupart des meilleurs plats calabrais. Râpé dans le chocolat, infusé dans la grappa, écrasé dans la saucisse ou ajouté dans l’huile, le peperoncino est l’âme de la cuisine de Calabre.
Pendant 4 jours, je me suis démené pour trouver les pâtes calabraises les plus pimentées. Durant cette quête, j’ai découvert que tous les plats de la région ne sont pas succulents et que certains sont même juste passables, quel que soit le plaisir que vous prenez à plonger dans la capsaïcine.
Mais j’ai appris que toutes les raisons avancées pour ne pas visiter la Calabre sont un gros tas de mensonges. Au diable les tremblements de terre, la malaria et la Ndrangheta, la Calabre ça défonce.
Reggio Calabria est la plus grande ville de la région. 500 000 habitants se sont installés dans les orteils de l’Italie. Le coin est ensoleillé, la mer, turquoise. C’est le terminus des trains italiens et, pour la majorité des touristes, c’est l’endroit où l’on choppe un ferry pour traverser le détroit de Messine et atteindre la Sicile. Ce n’est pas forcément un spot où l’on profite de la vie.
C’est ici qu’on a goûté la célèbre ‘nduja (qu’on prononce comme le mot « andouille »), la source de piment la plus répandue en Calabre. C’est une saucisse plutôt douce qu’on fout sur du pain, qu’on met dans la sauce des pâtes ou qu’on étale sur une pizza. Vous pouvez aussi la tartiner sur de la bruschetta. Elle a une saveur fumée et salée, une texture crémeuse, un peu comme une tapenade. C’est épicé, mais pas non plus au point de vous arracher la gueule – je lui donne un 3/10, au niveau d’un houmous un peu pimenté.
Dans un endroit assez fancy appelé Via Veneto, où les nappes sont d’un blanc éclatant et les serveurs bourrus mais toujours de manière appropriée, on a commandé nos premiers plats calabrais.
J’ai demandé au serveur qu’il m’apporte le plus épicé. Il est revenu avec une stroncatura. Des pâtes avec une sauce à l’ail, de l’huile, des piments, des anchois marinés, des olives et des graines de fenouil.
C’était modérément épicé. Il y avait une demi-douzaine de petits piments qui nageaient dans le plat mais on les sentait à peine. À la fin du repas, j’avais conservé un léger picotement dans la bouche mais rien de très sérieux. Je dirais 1/10 niveau piment et je suis généreux.
Si c’était ça le plat le plus épicé de Calabre, je ne suis pas dans la merde.
La ville de Reggio est sympa, mais le berceau du peperoncino est à Diamante, un petit bourg situé sur la côte Tyrrhénienne. Les gens y sont incroyablement gentils. On peut dire que ça frôle parfois même la bêtise. Quand notre train est arrivé avec 45 minutes de retard, notre hôte Airbnb nous attendait à côté de la gare, après nous avoir envoyé par texto des dizaines de « Pas de soucis ! ».
Ici, des gens viennent en déposer d’autres qu’ils ne connaissent pas ou à peine et proposent d’en accompagner en voiture. On vous cale un bébé dans les bras juste pour le plaisir de jouer. Les seuls qui n’affichent pas un grand sourire ou ne cherchent pas à vous filer un coup de main, ce sont les chats qui se pavanent sur le littoral sous le soleil, ignorant tout ce qu’il se passe autour.
Les 5 000 habitants de Diamante sont obsédés par le peperoncino, ou alors ils font semblant de l’être devant les touristes. Il y a des colliers de piments pendus autour des maisons et des boutiques comme le houx à Noël. Les magasins vendent une tripotée de produits infusés aux piments ou qui ont pris leur forme. Le deuxième week-end de septembre se tient le festival local du Peperoncino. Cette année, c’est le 25e anniversaire. Il devrait attirer environ 200 000 personnes.
Enzo Monaco, président de l’Académie italienne du piment, est assis à son bureau. Il est entouré de plusieurs objets d’art qui renvoie au peperoncino – des tableaux, de l’art abstrait, ainsi qu’une affiche de Penelope Cruz recouverte de piments. Le logo de l’Académie, un masque grec avec une langue de piment, est visible dans tout le bâtiment.
« Les piments de Calabre sont les meilleurs du monde », se vante Monaco. « Ici, le climat est le plus adapté à sa culture. C’est pour ça qu’en Calabre, il y a une tradition importante de cuisine à base de piments. Par chance, elle se réinvente régulièrement. »
En avril, les piments sont encore au repos mais quand je demande à Monaco où est-ce qu’ils poussent, il se tourne vers la fenêtre et, poète, balaie le paysage de sa main : « En juin, les piments recouvrent les montagnes. »
Alors que je quitte l’Académie, il me donne une bouteille de vin de peperoncino ainsi qu’une bouteille de peperoncino mariné. Alors que je sors mon portefeuille, il s’offusque. On dirait que je viens de lui coller une beigne.
Cette nuit, on s’est attablé au Locandina di Zio Rocco, un restaurant familial plutôt bon marché. C’était aussi le seul truc ouvert ce soir-là parce que la Juventus jouait contre Barcelone son ¼ de finale retour de Ligue des Champions. Tout le monde matait le match, même les serveurs qui ont passé presque l’intégralité du repas devant la télévision à sauter et à balancer des injures. Score final : 0-0. La Juventus est qualifiée.
Quand j’ai demandé le plat le plus épicé de la carte, ils ont désigné la bouteille d’huile pimentée sur la table en mode « DIY ». J’ai donc obéis et pris les pennette con ‘nduja. C’était assez épicé pour qu’il n’y avait pas nécessairement besoin d’ajouter de l’huile. Les pâtes étaient recouvertes de flocons de piments séchés et de ‘nduja. Parce contre, ça n’avait pas énormément de goût. L’intérêt résidait surtout dans l’intensité du piment. Je lui donnerais une note pimentée de 5/10, l’équivalent d’un kimchi coréen.
Le vin que Monaco m’avait donné, le « Pepperosso », est un rouge mis en bouteille par Spadafora, un vignoble calabrais. C’est un mélange de merlot et de magliocco. On était un peu déçu d’apprendre qu’il n’y avait en fait aucune trace de piments à l’intérieur, même s’il y en avait un sur l’étiquette.
À la fin de la bouteille, j’ai cru ressentir une pointe d’épice dans la bouche mais une caviste m’a rapidement calmé en disant que c’était le fruit de mon imagination. Le vin se marie par contre très bien avec les plats pimentés.
Par contre, la grappa infusée aux peperoncino a failli me tuer. Il y a vraiment des piments dans la liqueur – on peut en voir deux flotter dans la bouteille de 100 ml – qui a une couleur jaune pipi assez triste.
La grappa avait l’air totalement normale et une odeur plutôt familière, mais à la première gorgée, c’était comme si quelqu’un avait essayé de me défoncer la gorge avec du gaz au poivre et de l’essence. C’est le truc le plus con que vous puissiez imaginer. Une liqueur hyper désagréable – comparable au poitin irlandais ou au baijiu chinois – qui a été infusée avec les pires horreurs que la terre ait portés. Vous toussez, vous vous étouffez et vous pleurez toutes les larmes de votre corps.
J’ai commencé à avoir quelques soupçons. À Diamante, quand j’ai demandé à une serveuse de me servir de la grappa infusée aux piments, elle a répondu, paumée, « La grappa est une boisson, Monsieur »
Commençant à capter que c’était surtout un truc pour touriste un peu nigaud, j’ai demandé leur avis à un groupe de jeunes. Ils en avaient tous entendu parler mais n’en avaient jamais bu, à l’exception d’un seul. Il était rentré un soir complètement torché avec quelques potes et avait cherché un « petit remontant » capable de le remettre d’aplomb.
« On l’a tous essayée et aussitôt regretté », dit-il, frissonnant à l’évocation de ce souvenir. « Franchement, je laisse cette merde aux touristes. »
On s’est aussi lancé dans la dégustation de chocolat pimenté – une autre attraction touristique de Diamante. C’était clairement du cacao et il n’était pas fourré aux piments. On pouvait distinguer des petits points rouges à la surface de la tablette. Si l’on se fie à l’emballage, le piment ne représente que 0,3 % du chocolat, mais en le goûtant, on se rend compte de sa présence sans qu’il ne prenne le pas sur le goût du chocolat. Jackpot. 1/10 niveau piment mais 9/10 niveau plaisir chocolaté.
Quelques heures avant de quitter la ville, on est allé manger à l’Osteria dei Murales. Un endroit très sympa, malgré les touristes, avec une terrasse et un serveur qui ne semblait parler ni anglais, ni italien. Quand j’ai demandé quelque chose de pimenté, on m’a orienté vers le piatto della memoria perduta – le plat de la mémoire disparue. Un nom qui en jette.
Il s’avère que l’on se trouvait enfin devant le plat de pâtes le plus épicé de Calabre. Ma première impression a été de réaliser que j’avais fait une grosse connerie. La bouchée venait d’exploser dans ma bouche et dans ma gorge. Les autres clients s’étouffaient presque rien qu’à l’odeur. Après cinq minutes, la chaleur est redescendue pour se stabiliser, mais c’était un cauchemar. L’ingrédient principal de la sauce ? De l’huile pimentée accompagnée de morceaux de pains frits, comme des croûtons. 8/10 pour le niveau de piment.
Après Diamante, on a pris le train pour Cosenza, une ville de 75 000 habitants, à l’intérieur des terres et de l’autre côté des montagnes.
Contrairement au reste de la Calabre, Cosenza a conservé en son sein, et malgré l’activité sismique, l’architecture vieille ville médiévale. Par contre, il n’y a pas âme qui vive. Les quelques magasins qui sont encore ouverts sont vides, et il y a plus de chats et de sacs en plastique que d’autres choses.
Mais le soleil est magnifique, la bière et le vin sont pas chers et, depuis le château normand sur la colline, on peut voir la Calabre s’étendre sous les yeux. Si vous les plissez un peu, vous pouvez même imaginer les collines tapissées de piments rouges.
Notre avant dernier repas calabrais s’est déroulé à la Cantina Cosentina, dans un bâtiment en brique au look moyenâgeux, avec des bouteilles de vin aux murs et des colliers de piments qui se balancent au plafond. C’était le truc le plus authentique du coin.
Il n’y avait pas de menu. Le chef a débité une liste de plat de manière extrêmement rapide et typiquement calabraise. Je n’avais pas la moindre idée de ce qu’il disait. J’ai juste demandé quelque chose de très pimenté et j’ai appris uniquement après le repas que c’était des paccheri della Cantina, des grosses pâtes en forme d’anneaux avec des tomates cerises fraîches, des olives noires, de la ricotta et de l’huile pimentée.
Non seulement ce n’était pas très pimenté mais ce n’était pas très bon non plus. Une bouillie de pâtes et d’huile. À la moitié du plat, l’assiette s’est brisée. Ils ont été obligés de jeter le reste des pâtes parce que des petits bouts d’émail s’étaient mélangés à la sauce, comme du shrapnel. Ils m’ont proposé de me faire une autre assiette mais j’ai décliné. Ils ont finalement retiré le plat de l’addition. 1/10 niveau épice mais un bon 10/10 niveau déception.
On a traversé le reste de la journée en buvant. Il semblerait que les habitants de Cosenza ont une passion pour les bières écossaises bien fortes – je ne sais pas qui les a importées mais dans la Bulldog Ale House, la pinte la moins chère est à 10°.
On était donc un peu rond quand on s’est avancé pour notre dernier repas en Calabre chez il Paesello. Une adorable petite trattoria avec des fausses fleurs de soie sur la table, des murs de briques et deux vieux messieurs complètement saouls derrière nous. Ils fixaient leur plat, totalement abattus, comme si leur chien venait de mourir. Ce n’était vraiment pas cher. Un litre de vin à 5 balles et des plats à 5 ou 6 euros chacun.
Sur l’air de All By Myself, j’ai une nouvelle fois demandé un plat épicé. Ils ont insisté pour me servir des tagliatelle calabrese. Ces pâtes s’avéreront les meilleurs que j’ai mangées du séjour, même si elles n’étaient pas méga épicées. Aux épinards avec des champignons et de la sauce à la ‘nduja. Le piment ne recouvrait pas le goût et c’est un compliment que je fais à la sauce. 2/10 pour le piment mais 8/10 pour le côté juste délicieux.
Tout au long de notre quête, ma femme, Jo, a commandé des plats de pâtes sans piments : fileja scilla e cariddi (tomates cerises, espadon, aubergine menthe et basilic), pasta e fagioli con cozze (avec des haricots et des moules) ; farfalle au saumon ou pâtes à la sauce tomate. Tous étaient excellents, selon elle et moi quand j’avais l’occasion de picorer dans son assiette.
Ce qui veut dire qu’en Calabre, vous n’avez pas besoin de vous allumer le tuyau au kérosène en ne mangeant que des peperoncini. Même si vous risquez peut-être de décevoir un ou deux locaux, ils seront assez sympas pour ne pas vous en tenir rigueur.