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A Place To Bury Strangers ne sont pas là pour boire des Frappuccino

Depuis bientôt dix ans, A Place To Bury Strangersest unanimement considéré comme le groupe le plus bruyant de Brooklyn. Mais c’est dans le pire rade de Brooklyn, le Café Colette de Williamsburg,que Dion Lunadon, bassiste du groupe, m’a donné rendez-vous.

Lunadon habite à deux pas du Café Colette. Il aime tout ce qui est local. Le 17 février dernier, lui et son groupe ont démarré leur nouvelle tournée US au Music Hall de Williamsburg. C’était aussi la release party de leur quatrième album, Transfixiation.

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D’emblée, Dion est à fond : « J’adore cet album car il est vraiment complet. Ce n’est pas simple de faire un album solide, qui tienne la route plus de 30 minutes. C’est plus facile de balancer deux-trois morceaux et de vendre ça sous la forme d’un EP. Mais un album, ça, c’est monstrueux. » Monstrueux, c’est un terme qui colle à la perfection à Transfixiation, premier album réalisé par la nouvelle formation de A Place to Bury Strangers. Si le leader du groupe, Oliver Ackermann, est toujours à la guitare et au chant et qu’on retrouve toujours Dion Lunadon à la basse (qui remplace Jono MOFO depuis 4 ans maintenant), le batteur, Robi Gonzalez, est en revanche un petit nouveau qui a rejoint le groupe en 2012, après le départ de John Space. Lunadon décrit le trio comme « une véritable entité ». Une unité qui a été mise à rude épreuve pendant l’enregistrement de ce quatrième album.

Après un voyage en Norvège en 2013, où le groupe s’est rendu pour travailler avec Emil Ronzone Nikolaisen du groupe Serena Maneesh — une session dont sortiront 7 morceaux, dont 2 seulement se retrouveront sur l’album — APTBS a immédiatement enchaîné avec une longue tournée européenne. De retour à la maison, ils n’ont pas pris le temps de souffler et sont tout de suite repartis en studio pour deux semaines d’enregistrement particulièrement intenses. Une session productive mais terriblement éreintante.

Ensuite, comme le dit Lunadon, le groupe a « explosé ».

« L’embrouille a eu lieu entre Ollie et moi. Un soir, on s’est engueulé par mail. Le lendemain j’avais envie de tout plaquer. Ollie l’avait en travers de la gorge et toute cette affaire le perturbait. Moi aussi, ça m’emmerdait mais il répétait sans cesse ‘On n’a qu’à faire une pause’. » Lunadon n’a pas voulu nous dévoiler la source de l’embrouille mais il nous a confié que tout était parti d’un « truc bidon ».

« En fait, c’était peut-être tout simplement parce qu’on avait passé trop de temps ensemble et qu’on saturait. Je suis quelqu’un de borné. Je comprends que ce soit le groupe d’Oliver car c’est lui le leader, mais quand tu as deux mecs qui ont un caractère aussi fort dans le même groupe, avec leurs convictions, ça conduit inévitablement à des embrouilles. »

Cette pause de deux mois a permis à Lunadon de travailler sur un album punk solo qu’il s’apprête à sortir. Ackermann, de son côté, a enregistré un paquet de morceaux pour APTBS. « On a réglé notre différend et on s’est remis au boulot » se rappelle Lunadon. « Oliver m’a joué quelques uns des morceaux qu’il avait écrits, je les ai écouté et je lui ai dit ‘C’est bon mec, l’album est torché !’ C’était mortel. » On était alors en mars 2014, mais APTBS, qui n’est pas du genre à précipiter les choses a décidé de reporter la date de sortie à 2015. Alors que tout semblait rouler, les choses se sont gâtées pour le groupe, et surtout pour Ackermann.


A Place To Bury Strangers en 2015.

Le Death By Audio est une salle de Brooklyn qui a joué un rôle crucial dans l’histoire de APTBS. DBA était le spot DIY par excellence, situé au sous-sol d’un magasin de pédales d’effets du même nom, co-fondé par Oliver Ackermann en 2001. Malheureusement, le lieu s’est vu contraint de fermer ses portes à l’automne dernier. Pendant 7 ans, DBA a été le point de ralliement de la scène indie-rock de Brooklyn, dont APTBS était un des groupes centraux. Suite à un accord conclu avec le propriétaire, le club et le magasin ont définitivement fermé en novembre 2014. Naturellement, APTBS y a joué lors du dernier show. DBA n’a pas été le seul lieu important à fermer récemment. Le Glasslands et le 285 Kent Avenue – qui faisaient partie du même complexe – ont eux aussi mis la clé sous la porte il y a peu. VICE Media n’est pas étranger à tout ça, car après la rénovation du bâtiment, c’est là-bas que la boîte installera ses nouveaux bureaux.

Le fait que VICE prenne ses quartiers dans ce lieu mythique m’a un peu mis mal à l’aise lors de la première partie de notre interview. J’ai abordé le sujet prudemment et Ludanon a été on ne peut plus honnête : « En ce qui me concerne, il n’y a pas d’amertume ou de rancœur, mec. C’était une belle époque. J’ai passé quatre années dingues à Death By Audio. » Depuis la fermeture de tous ces lieux, Williamsburg a commencé à s’uniformiser et à s’embourgeoiser. Pour Ludanon c’est un truc aussi inévitable que nécessaire. Il n’oublie pas de rappeler que c’était surtout Ackermann qui était investi dans l’aventure.

Transfixiation

Dès le début de l’album, on est surpris par des morceaux inattendus comme « Supermaster » ou « Straight », tous deux écrits par Oliver Ackermann. Pour Lunadon, « mettre ‘Straight’ en début d’album était un choix relativement malin. La première fois que j’ai entendu le morceau je me suis dit ‘Putain ! Ce titre est une tuerie’. Le son était tellement différent, rythmé par la basse, j’avais vraiment hâte de le jouer. Commencer l’album par ce titre était une très bonne idée. On avait déjà quatre albums au compteur, donc la fanbase était acquise. Ce nouvel angle était intéressant, j’avais l’impression qu’il nous attirerait un nouveau public. »


Tout le monde est passé par le Death By Audio, même Jim Jones.

Ceci étant dit, les fans de réverb et de riffs bordéliques se retrouveront aussi dans Transfixiation, « Love High » et « Fill the Void » étant de nouvelles démonstrations de violence sonique parfaitement contrôlée. On pourrait également citer le très sombre « Deeper » ou « We’ve Comme So far », sur lequel la voix d’Emilie Lium Vordal, invitée sur le morceau, apporte un peu de douceur. Mais le morceau le plus étonnant est sans aucun doute « I’m So Clean ». Lunadon confirme : « J’adore ce morceau, mais c’est bizarre, la première fois qu’on l’a joué, Ollie marmonnait les paroles. Je lui ai demandé s’ils chantait ‘I’m So Clean’, il m’a répondu ‘oui’, ‘ah ok, très bien.’ »

Transfixiation n’est pas un album particulièrement sombre ou véhément, mais son dernier titre, « I Will Die », annonce clairement l’apocalypse. « On l’a enregistré pendant une jam. Le morceau est tellement intense qu’il suffira à fermer le clapet de tous ceux qui pensent que nous avons édulcoé notre son. On n’est pas un groupe qui fait des choses propres. On est à l’opposé de tout ça. On aime le chaos et la spontanéité. Le rock’n’roll n’a rien à voir avec un truc ordonné et propret. C’est un truc brut. » La musique d’A Place To Bury Strangers est conçue pour être jouée en live, dans le même esprit que ce qui se faisait au DBA. Selon Lunadon, « il y a trop de groupes qui ont peur de tenter leur chance et qui se contentent de faire ce qu’ils font. Plus je vieillis, plus j’ai l’impression d’avoir moins de choses à perdre, et plus j’ai envie de d’entreprendre des choses et de pousser le délire encore plus loin. En vieillissant, la plupart des gens ressentent le contraire. Ils prennent moins de risques, moins d’initiatives. Ils veulent juste rester au calme et leurs albums sont de plus en plus chiants. Moi c’est le contraire, je veux devenir de plus en plus dangereux. »

Transfixiation a obtenu la note de 5.5 sur Pitchfork (ce qui est assez rassurant quelque part), il est disponible iciet vous pourrez voir A Place to Bury Strangers en France dès le mois d’avril.

John est, lui, disponible sur Twitter.