Crime

La plupart des tueurs de masse américains ont quatre choses en commun

Une importante étude financée par le gouvernement américain a révélé des informations impressionnantes sur les auteurs de ces crimes.
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Des personnes en deuil se rassemblent lors d'une veillée organisée pour les victimes de la fusillade du 14 novembre 2019 l'école Saugus à Santa Clarita (Californie). Nathaniel T. Berhow, un étudiant de 16 ans, est mort d'une blessure par balle qu'il s'était lui-même infligée après avoir tué deux personnes et en avoir blessé trois autres. (Photo : Apu Gomes/Getty Images)

Le stéréotype du tireur de masse est un homme blanc ayant des antécédents de maladie mentale ou de violence familiale. Bien que cela puisse être une vérité anecdotique, la plus grande étude sur le sujet jamais financée par le gouvernement américain a révélé que presque tous les tireurs de masse ont quatre choses spécifiques en commun.

Une étude du ministère américain de la Justice sur les fusillades de masse – les meurtres de quatre personnes ou plus dans un lieu public – analysant des données depuis 1966 a révélé que les tireurs ont généralement vécu un traumatisme dans leur enfance, une crise personnelle ou un deuil particulier, et se basent sur un « scénario » ou sur des exemples qui valident leurs sentiments ou leur fournissent une feuille de route. Ah, et ils ont accès aux armes à feu.

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La cause profonde des fusillades de masse fait l’objet d’un débat très animé : d’un côté, ceux qui blâment la santé mentale, et de l’autre, ceux qui blâment les armes à feu. Les chercheurs espèrent que les conclusions de l'étude pourront déboucher sur une approche plus holistique et fondée sur des données probantes – et fournir des occasions d'action politique.

« Les données sont des données, dit Jillian Peterson, psychologue à l'université Hamline et coauteur de l'étude. Les données ne sont pas politiques. Nous espérons que cela fera avancer le dialogue. »

L'étude, compilée par le Violence Project, un think tank dédié à la réduction de la violence dans la société, a été publiée en novembre et constitue la base de données la plus complète et la plus détaillée sur les fusillades de masse à ce jour, codée selon 100 variables différentes. Sa publication est intervenue moins d'une semaine après qu'un adolescent a tué deux étudiants de son école à Santa Clarita, en Californie, avant de se tirer une balle mortelle dans la tête.

Les chercheurs ont utilisé la définition du FBI d'une « tuerie de masse », à savoir quatre personnes ou plus tuées, en excluant l'auteur, et l'ont appliquée aux fusillades dans les lieux publics. La base de données remonte au 1er août 1966, lorsqu'un ancien marine a ouvert le feu depuis un pont d'observation de l'université du Texas, tuant 15 personnes. Ce n'était pas la première fusillade de masse aux États-Unis, mais les chercheurs l'ont choisie comme point de départ parce que c'était la première à faire l'objet d'une couverture médiatique importante à la radio et à la télévision.

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La base de données a permis de faire plusieurs constatations importantes. Aux États-Unis, les fusillades de masse sont devenues beaucoup plus fréquentes et meurtrières : sur les 167 incidents enregistrés par les chercheurs sur cette période de 53 ans, 20 % se sont produits au cours des cinq dernières années, et la moitié depuis 2000.

Ils sont aussi de plus en plus motivés par la haine raciale, religieuse ou misogyne, en particulier celle qui s'est manifestée au cours des cinq dernières années.

Et à une époque où la pression pour des lois plus strictes sur les armes à feu, y compris la vérification des antécédents, est un enjeu politique national, l'étude a révélé que plus de la moitié de tous les tireurs de masse figurant dans la base de données ont obtenu leurs armes légalement.

Mais les chercheurs disent avoir été particulièrement impressionnés par le nombre de tireurs qui ont présenté des symptômes de crise avant le passage à l’acte. « Ce sont des opportunités de prévention », dit Peterson.

5 profils de tireurs de masse

Les experts ont longtemps averti qu'il n'existe pas un profil unique pour les tireurs de masse. Mais les chercheurs du Violence Project ont constaté que certaines caractéristiques personnelles correspondent souvent à certains types d'endroits choisis par les tireurs, et ont créé cinq catégories générales :

  • Fusillade dans une école : des hommes blancs, généralement des élèves ou anciens élèves de l'école, qui ont des antécédents de traumatisme. La plupart d'entre eux sont suicidaires, planifient leur crime de manière intensive et informent d’autres personnes de leurs plans à un moment donné avant l’attaque. Ils utilisent plusieurs armes qu'ils ont dérobées à un membre de leur famille.
  • Fusillade dans une université : des hommes non blancs qui étudient à l'université. Ils sont suicidaires et ont des antécédents de violence et de traumatisme dans leur enfance. Ils utilisent généralement des armes obtenues légalement et laissent derrière eux une sorte de manifeste.
  • Fusillade sur un lieu de travail : des hommes dans la quarantaine sans profil ethnique spécifique. La plupart sont des employés du site cible, généralement des cols-bleus, et ont des griefs contre leur lieu de travail. Ils utilisent des pistolets et des fusils d'assaut achetés légalement.
  • Fusillade dans un lieu de culte : des hommes blancs dans la quarantaine, généralement motivés par la haine ou la violence domestique qui se répand dans la sphère publique. Leurs crimes impliquent souvent peu de planifications.
  • Fusillade dans un établissement commercial (un magasin ou un restaurant, par exemple) : des hommes blancs dans la trentaine avec un passé violent et un casier judiciaire. Ils n'ont généralement aucun lien avec l'endroit visé et utilisent une seule arme à feu obtenue légalement. Environ un tiers d'entre eux présentent des signes d'un « trouble de la pensée », un terme désignant un trouble de santé mentale, comme la schizophrénie, qui entraîne une pensée désorganisée, de la paranoïa ou des délires.

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La haine en hausse

L'étude montre que le nombre de tireurs motivés par le racisme, la haine religieuse et la misogynie a augmenté depuis les années 1960, et de façon plus spectaculaire au cours des cinq dernières années.

Depuis 2015, des fusillades alimentées par la haine et visant des catholiques pratiquants noirs à Charleston, des Juifs dans des synagogues à Pittsburgh et Poway, des femmes dans un studio de yoga à Tallahassee et des Latinos dans un Walmart à El Paso, ont fait la une des journaux nationaux et ajouté une autre couche de complexité au problème de la violence de masse aux États-Unis.

Entre 1966 et 2000, il y a eu 75 fusillades de masse. De ce nombre, 9 % étaient motivés par le racisme, 1 % par la haine religieuse et 7 % par la misogynie. Sur les 32 attaques de ce type qui ont eu lieu aux États-Unis depuis 2015, 18 % étaient motivées par le racisme, 15 % par la haine religieuse et 21 % par la misogynie.

L'augmentation des fusillades de masse à motivation idéologique a coïncidé avec l'émergence d'une extrême droite nouvellement enhardie, qui a forgé des alliances nationales et même internationales de haine en ligne. La hausse des attaques motivées par la misogynie va également de pair avec la montée en flèche des « Incels », une sous-culture en ligne composée de jeunes hommes célibataires malgré eux qui haïssent profondément les femmes et les accusent d’être à l’origine de leur isolement.

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La santé mentale est un facteur, mais rarement la cause

Les deux tiers des tireurs de masse figurant dans la base de données avaient des antécédents documentés de problèmes de santé mentale. Bien que ce chiffre puisse sembler élevé, les chercheurs soulignent qu'environ 50 % des Américains ont déjà eu un problème de santé mentale à un moment donné de leur vie.

Dans l'ensemble, le pourcentage de tireurs dont les crimes étaient directement motivés par des symptômes de troubles mentaux (comme des délires ou des hallucinations causés par la psychose) est beaucoup plus faible : environ 16 %. C'est un pourcentage inférieur à celui des tireurs motivés par la haine, les problèmes de travail et les conflits interpersonnels.

« Si quelqu'un a des antécédents de troubles mentaux, nous avons l'habitude de blâmer lesdits troubles pour ses actes, dit Paterson. Mais si quelqu'un fait une dépression nerveuse, par exemple, cela ne veut pas dire que tout ce qu'il fait est motivé par elle. »

Cela dit, l'étude a révélé des liens étroits entre les pensées suicidaires et les fusillades de masse. Près de 70 % des tireurs étaient suicidaires avant ou pendant la fusillade, et les chiffres sont encore plus élevés pour les tireurs en milieu scolaire.

Selon les chercheurs, ces conclusions peuvent avoir de puissantes répercussions sur les politiques publiques. « Cela nous a montre qu'il y a des possibilités d'intervention – ces choses ne se produisent pas à l'improviste, poursuit Peterson. Nous en savons beaucoup plus sur la prévention du suicide que sur cette question, et nous savons ce qui fonctionne – limiter l'accès aux armes, poser la question directement, mettre la personne en contact avec des ressources extérieures, ne pas en parler dans les nouvelles. »

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La quête de gloire

Le pourcentage de tireurs animés par un désir de célébrité a considérablement augmenté au cours des cinq dernières années, selon l'étude. Au cours des 15 premières années du XXIe siècle, quelque 3 % des auteurs de tueries de masse étaient motivés par le désir de marquer l'histoire. Entre 2015 et 2019, ce chiffre est passé à 12 %.

Pour les criminels en quête de gloire, une motivation spécifique demeure étrangement persistante au fil des années : le massacre de Columbine.

Il y avait déjà eu des attaques dans des écoles avant ça, mais Columbine, qui a eu lieu en 1999 dans une école publique de Littleton, au Colorado, a érigé la fusillade en milieu scolaire en véritable spectacle médiatique. Le chaos qui régnait devant l'école a été retransmis en direct pendant plusieurs heures avant qu’on découvre que les tireurs s'étaient suicidés. Ils avaient laissé un dossier complet sur leurs plans et leurs motifs.

L'influence de Columbine est si grande que l'étude a même constaté que la quête de gloire comme motif de fusillades de masse était largement confinée à l'Ouest américain : 70 % des attaques de ce type ont eu lieu dans la région (par comparaison, les chercheurs n'ont trouvé aucune fusillade de masse dans le Nord-Est directement motivée par la quête de gloire).

Des armes faciles d’accès

Près de la moitié des tireurs de masse dans la base de données se sont procuré leur arme légalement. Treize pour cent ont obtenu leur arme par « vol », ce qui comprend les emprunts à des amis ou à des membres de la famille. Les tireurs en milieu scolaire – les plus jeunes – étaient les plus susceptibles d'acquérir leur arme de cette façon. Les chercheurs ont déclaré que ce point de données en particulier pourrait servir d’argument en faveur d'une loi exigeant l'entreposage sécuritaire des armes à feu.

Les pistolets sont les armes les plus utilisées dans les fusillades de masse, et sont trois fois plus utilisés que les fusils, les carabines ou les fusils d'assaut.

Les fusils d'assaut ont été interdits en 1994 sous l'administration Clinton, mais l'interdiction fédérale a expiré une décennie plus tard et les fabricants d'armes ont profité de l'occasion pour revendre des armes de type militaire aux civils.

Les chercheurs ont déclaré qu'il y a eu une augmentation statistiquement significative de l'utilisation des fusils d'assaut dans les fusillades de masse au cours des cinq dernières années, ce qui a également coïncidé avec une augmentation du nombre de fusillades de plus en plus meurtrières.

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