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« Même Dieu a oublié cet endroit » : bienvenue dans les champs de pétrole d’Azerbaïdjan

L’Azerbaïdjan a dépensé des milliards pour accueillir les Jeux Européens, mais les habitants de la région qui fournit la grande partie de la richesse du pays vivent dans la pauvreté. VICE News est allé visiter ces gisements de pétrole.
Photo par Jacob Balzani Loov

À la fin du XIIIème siècle, l'explorateur Marco Polo s'était rendu dans la région de l'actuel Azerbaïdjan. L'aventurier y avait vu des geysers de pétrole dont certains prenaient feu et illuminaient la nuit. Ces jours-ci, le ciel au-dessus de la capitale du pays, Bakou, a plus de chance d'être éclairé par les spots des stades ou des gratte-ciel que le pays construit à coups de pétrodollars.

La ville vient d'accueillir les premiers Jeux européens, un tournoi multisport pour des athlètes venant de 50 pays, qui s'est achevé le 28 juin. Le pays a dépensé sans compter des milliards dans des décorations clinquantes et des cérémonies somptueuses. Pourtant, les rumeurs de dévaluation de la monnaie locale, les prix du pétrole qui baissent, et le mécontentement autour des coûts exorbitants des Jeux révèlent la vulnérabilité d'une nation dont l'économie est une des plus dépendantes du pétrole au monde.

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Le Stade Olympique de Bakou a coûté la bagatelle de 640 millions d'euros. C'est ici qu'a eu lieu la fastueuse cérémonie d'ouverture des Jeux, qui comptait Vladimir Poutine et Lady Gaga en invités d'honneur, des feux d'artifice et des tapis volants. Quelques kilomètres plus nord, un berger nommé Ibrahim jette un coup d'oeil sur son troupeau. Juste à côté, poussent des roseaux qui semblent perdus au milieu d'un champ de gisements de pétrole de Balakhani.

« Je suis tellement fier, » explique-t-il à VICE News. « Avant ces Jeux, personne ne savait où se trouvait ou même ce qu'était l'Azerbaïdjan. Maintenant, tous ces gens vont rentrer dans leurs pays et dire à leur famille que l'on existe. »

Il est en revanche peu probable que des spectateurs des Jeux Européens se soient en réalité retrouvés à Balakhani. Pourtant, le pétrole qui fait fonctionner ce qui était la première industrie pétrolière du monde a été pompé ici même. En 2013, alors que l'Europe peinait, en pleine récession, l'Azerbaïdjan vendait en moyenne 880 000 barils de pétrole par jour, et a été une des économies les plus prometteuses du monde, pendant des années. Mais la chute précipitée du prix du pétrole de 110 dollars à 50 dollars a créé la panique dans le gouvernement azerbaïdjanais, et a entraîné la dévaluation de 30 pour cent de la monnaie locale, le Manat.

Les champs de gisements de pétrole de Balakhani sont rouillés et à l'abandon. Les pompes, qui datent de l'époque soviétique, ont été laissées en décrépitude après que tout le pétrole brut disponible a été vidé. Photo par Jacob Balzani Loov.

Le nom Azerbaïdjan a des racines iraniennes. « Azer » signifie le feu en perse, en référence à l'héritage zoroastrien du pays et au pétrole qui peut s'enflammer pour former de grandes colonnes de feu. Photo par Jacob Balzani Loov.

La richesse du pays n'a jamais vraiment profité aux régions qui sont à proximité des champs de gisements de pétrole.

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Quelques maisons de Balakhani sont en bon état et brillent derrière les grilles métalliques ornées de vignes. Les autres sont coincés dans des zones qui fleurent bon l'ambiance post-apocalyptique. Le vent soulève des vapeurs putrides de plastique brûlé. À côté, on trouve un petit lac couvert d'une nappe de fioul et bordé de pneus, d'ossements de d'oiseaux, de bouteilles noircies et de vêtements d'enfants. Quelques cabanes sommeillent dans l'ombre des chevalets de pompage qui datent de l'ère soviétique. Les pompes cillent comme des métronomes et couinent quand elles sucent l'or noir du sous-col azerbaïdjanais. Les villageois ne sont pas habitués à voir des étrangers. Pourtant, ils font des signes de main, offrent du thé et demandent de faire des selfies.

« Qu'est-ce que vous faites ici ? Même Dieu a oublié cet endroit ! » explique un jeune homme à VICE News.

Un habitant de la ville, Samira, se tient sur le pas de la porte de sa maison qui approche les 100 ans. La bâtisse est posée au beau milieu d'un champ de tuyaux en métal qui s'entrecroisent. La zone est presque inhabitée, Samira a vécu ici toute sa vie. Après la mort de ses parents et grands-parents — de maladie — elle s'occupe de ses deux petits frères.

« C'est une pétrocratie. On entend depuis 20 ans que notre économie va se diversifier. Mais jusqu'ici rien n'a changé. »

« J'imagine que je suis plutôt fière de vivre là où on a trouvé pour la première fois du pétrole en Azerbaïdjan, mais parfois j'aimerais bien qu'ils fassent quelque chose pour améliorer les choses ici. La plupart des gens en Azerbaïdjan n'ont pas de boulot, » dit-elle. « En ce moment je ne travaille pas, parce qu'ils ont fermé l'usine à cause des Jeux Européens. J'imagine qu'ils vont la rouvrir après, quand ce sera fini. »

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Des rumeurs courent dans la ville comme quoi des patrons d'entreprises et des fonctionnaires ont été obligés d'acheter des places pour les Jeux. Avec de l'argent qui provenait directement de leurs salaires. Un professeur gagne environ 135 euros en Azerbaïdjan. Plusieurs oligarques, qui devaient de l'argent à l'État, ont été récemment secoués pour qu'ils comblent les trous du budget des Jeux Européens.

Des histoires pareilles pourraient être surprenantes dans un pays où le pétrole coule à flots — si bien que des gens prennent des bains de pétrole, au spa de Naftalan. Cela serait bon pour la santé. À la fin du XIXème siècle, des barons du pétrole — comme la dynastie Nobel — ont pris d'assaut la ville pour construire de vastes demeures sur le front de mer de Bakou, la « Oilman Avenue ». Dès 1900, le pays est devenu le fournisseur de la moitié du pétrole mondial. La région était tellement convoitée pendant la Seconde Guerre mondiale, que dans une vidéo, des généraux nazis offrent un gâteau à Hitler, en forme de mer Caspienne. Le Führer se coupe une part, sur celle-ci on peut y voir noté « Bakou ».

Un homme prend un bain au spa pétrolifère de Naftalan. Le pétrole est censé avoir des propriétés médicinales pour combattre l'arthrose et les rhumatismes. Photo par Jacob Balzani Loov. 

Les champs de gisements de pétrole sont aussi un terrain d'accueil pour de nombreux réfugiés et des déplacés internes (ou « Internally displaced people, » IDP) qui viennent de Nagorno-Karabakh, une région disputée entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan depuis les années 1990. Ce conflit a fait près de 30 000 morts.

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Dans un bar un poil malfamé, Emil délivre un discours patriotique. Entre deux gorgés de bières, le gaillard déballe son speech pour les étrangers qui viennent dans son pays. Quand on lui demande si les gens qui vivent dans les champs de gisements de pétrole travaillent aussi pour l'industrie pétrolière, et si le gouvernement aide les gens qui habitent là-bas, Emil hésite et se tourne vers le traducteur.

« Écoute, ne lui traduis pas ça, parce que je me sens trop honteux, » dit-il. « Tout le monde sait où l'argent va vraiment. » Emil pointe le ciel, un geste commun en Azerbaïdjan pour se référer au gouvernement — sans pour autant prononcer son nom.

De grosses Jeep, équipées de vitres teintées, passent devant le bar et toutes les têtes se tournent. Le pétrole a transformé Bakou en une métropole qui brille comme dans le magicien d'Oz. Ici, les autorités jouent le rôle du magicien, et préfèrent que les touristes ne fouillent pas trop, surtout dans des villes comme Balakhani. La plupart des terrains appartiennent à SOCAR, la compagnie pétrolière d'État, qui s'est montrée hostile face aux médias. En 2012, le journaliste Idrak Abbasov a été roué de coups par des gardes de sécurité de l'entreprise. Il est tombé dans le coma. Le journaliste filmait des expulsions et des démolitions illégales, près de sa maison. Personne n'a jamais été inquiété pour ce crime.

« Des étrangers sont venus, ils ont pillé notre sol. Ils nous ont donné de l'argent en échange, de l'argent qu'on a dépensé, » explique à VICE News, le chercheur en science politique, Hikmet Hadjizadeh. « C'est ça le développement ? Non. Ça, c'est une pétrocratie. On entend ça depuis 20 ans, que notre économie va se diversifier, mais jusqu'ici rien de tout ça n'est jamais arrivé. Le vrai développement viendra seulement quand on aura des droits politiques et accès à la propriété. »

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Des enfants sont assis au sommet du Heydar Aliyev Center, construit par l'architecte irako-britannique Zara Hadid. En s'appuyant sur le pétrole, Bakou a vécu un boom immobilier sans comparaison dans la région du sud Caucase. Photo par Jacob Balzani Loov. 

Sur le site de SOCAR, on trouve une citation de l'ancien président azerbaïdjanais, Heydar Aliyev, qui avait signé le « contrat du siècle » en 1994. Celui qui a ouvert les champs gaziers et pétrolifères à un consortium international de multinationales mené par BP.

« Le fait de posséder d'importantes réserves de gaz et de pétrole est la chance de notre nation. Il s'agit du facteur le plus important pour le bien-être de notre peuple et pour le développement du pays. Pour aujourd'hui et pour demain, » avait déclaré Aliyev.

Avec une Europe prête à réduire sa dépendance par rapport à l'énergie russe, de nouveaux pipelines reliant les champs gaziers d'Azerbaïdjan à la Méditerranée sont attendus avec impatience. Pendant ce temps-là, à Balakhani, Samira sourit et fixe la lueur ambrée qui envahit le ciel alors que le soleil s'efface derrière la ligne d'horizon. Le couinement d'une pompe avoisinante vient rapidement briser le silence.

« J'aimerais bien vous inviter pour prendre un thé, mais en ce moment je ne peux pas en acheter, » dit Samira. « Inshallah, la prochaine fois que vous viendrez, j'en aurai un peu. »

Suivez Andrew Connelly sur Twitter : @connellyandrew