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Culture

Pourquoi Moscou 2018 ne sera pas le Marseille de l’Euro 2016

Parce que le l'homme fort du Kremlin a un plan.
Image : AFP / Mladen Antonov 

Ceux qui suivent un peu l’actualité internationale le savent, Vladimir Poutine est le genre de gars qui a toujours un plan. Parfois, c’est un drame en plusieurs actes impliquant des coups de pression à échelle mondiale, une diplomatie ultra virile, des fréquentations douteuses et l’exploitation de tensions régionales historiques. Et d’autres fois, il s’agit simplement de profiter des errances et des lenteurs de ses homologues occidentaux. Ce n’est pas un jugement de valeur, c’est un constat : Vladimir Poutine est un chef d’Etat pro-actif.

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Un état d’esprit qui se retrouve très bien dans la façon que le président russe a de gérer les hordes de hooligans qui ont pris de court la police française et castagné pas mal de supporters anglais à Marseille durant l’Euro 2016. Car si elles ont choqué l’Europe, les images de ces phalanges de supporters russes assoiffés de violence n’ont pas surpris les autorités de leur pays d’origine, ni les experts. « Bien que ces groupes ne soient pas les mieux structurés du pays, leur organisation, leur capacité d’action et leur préparation sont très représentatives du supportérisme russe », explique Ronan Evain, président du réseau Football Supporters Europe. Au total, ce dernier estime que ces groupes à la typologie et aux rites uniques comptent près de 4.000 membres actifs.

Avant : proximité idéologique et bienveillance gouvernementale

Evain précise cette spécificité russe : « Contrairement à ce que l’on observe dans les Balkans ou en Europe de l’Est, ce ne sont pas des groupes ayant des pratiques mafieuses ou à la marge de la société. Au contraire, les hooligans russes sont le plus souvent issus des classes moyennes éduquées et bien intégrées socialement. » Une analyse que corrobore Dmitry Prokofiev, économiste russe ayant un focus particulier sur le secteur du sport : « Le hooligan russe typique est une personne avec un emploi, une famille et une certaine capacité financière. Socialement parlant, il appartient à la même strate qu’un policier. A noter aussi qu’il n’est pas considéré comme un ennemi de la société mais comme l’un de ses membres, un peu effrayant mais fascinant au point qu’on en imite parfois les comportements ».

Cette particularité explique l’étrange relation du Kremlin avec ces groupes qu’il n'a longtemps pas vu comme un problème. Et même, « on a constaté une certaine bienveillance à leur égard », assure Jean-Sylvestre Mongrenier, chercheur à l’Institut Français de Géopolitique et à l’Institut Thomas More. Cette proximité entre le gouvernement et les supporters les plus virulents a ainsi donné naissance, dans les années 2000, à un accord tacite : « Les hooligans peuvent s’affronter en dehors des stades et des centres-villes. En échange, ils ont certitude de ne subir aucune répression, ou presque », explique Ronan Evain.

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D’ailleurs, depuis la conclusion de ce pacte plutôt chelou avec les autorités russes, les adeptes de l’okolo football (le « périfootball », de ce qui tourne autour du foot, à savoir la castagne, en version originale) s’adonnent donc à leur passion de se mettre sur la gueule dans des zones désertes, en équipes de nombre équivalent, presque sans armes et presque sans blessures lourdes. « Ce ne sont pas vraiment des hooligans, ce sont des sportifs. Ils se battent dans la forêt et suivent des règles précises », explique Edward Latypov, président de Russia Unites, l’une des principales associations de supporters de l’équipe nationale russe.

Un constat qui valait jusqu'à cette Coupe du monde 2018, à l'occasion de laquelle Poutine a décidé de leur serrer la vis.

Maintenant : fichage généralisé et mini-forteresse sur roue d’inspiration madmaxienne

La raison est plutôt évidente : « Des scènes comme celles Marseille en 2016 seraient indéniablement la démonstration d’un manque de contrôle de l’Etat russe dans ses fonctions régaliennes », affirme Jean-Sylvestre Mongrenier. Bref, le genre de truc qui ternirait l’image de l’homme fort du Kremlin. Raison pour laquelle il a interdit de stade le sulfureux Alexandre Chpryguine, figure emblématique du hooliganisme russe. « Les supporters subissent tous une importante pression des autorités », explique Edward Latypov, le président de Russia Unites, l'un des associations de supporters de l'équipe russe. Et puis, si cela ne suffisait pas, il reste la bonne vielle méthode du coup de pression au moment où l'on s'y attend le moins : « le renseignement russe est bien assez puissant et efficace pour rendre visite à ces gens chez eux, à leur travail, où lorsqu'ils vont prendre l'avion… », explique Ronan Evain, président du réseau Football Supporters Europe. En la matière, les service secrets russes ont effectivement fait leur preuve.

Plus généralement, la Russie de Vladimir Poutine n’a pas lésiné sur les mesures de sécurité traditionnelles : mise à niveau générale des infrastructures matérielles et humaines pour atteindre le niveau d’exigences internationales, zonages avec différents niveaux de sécurité, interdiction des ventes de pétards et armes habituellement en vente libre (couteaux, matraques ou poings américains), restriction des ventes d’alcool et de médicaments. Ni sur les méthodes plus créatives avec la mise en place de la Fan ID, une carte d’identité du supporter remise à chaque détenteur d’un billet qui donne accès à des transports gratuits et dispense de visa. Sans elle, l'accès aux stades et leurs abords sera rigoureusement interdit. Une méthode allant au-delà de ce qui se fait habituellement dans de tels évènements et qui permet de contenir le flux de hooligans étrangers comme russes. Et pour cause, seuls ceux qui ne sont pas fichés par les services de sécurité de leur pays ont droit à une ID.

Quant à la démonstration de force, elle prendra essentiellement la forme de patrouilles et de contrôles renforcés dans les rues et dans les transports en commun, ainsi que d’un encadrement strict des groupes de supporters pour éviter les rencontres entre pays rivaux sur le plan sportif. Pas comme à Marseille. « J’étais à Marseille pour ce match. Et tout le monde savait que la journée serait compliquée avec 100.000 Anglais et 20.000 Russes attendus. Mais rien n’a été fait en amont pour leur éviter de se rencontrer avant le match. On connaît le résultat… », se souvient Edward Latypov.

Enfin, au cas où cela ne suffirait pas, Vladimir Poutine a prévu un plan B. Qui dans le cas présent prend la forme du tout nouveau camion anti-émeute du célèbre géant de l’armement russe Kalashnikov Concern. Soit une mini-forteresse sur roue d’inspiration madmaxienne, équipée de canons à eau et capable de protéger plusieurs dizaines de policiers avant de soulever son bouclier géant pour les laisser charger. Finesse et mesure, donc. On ne se refait pas