Self-ish scène grande ouverte
Mirza. Photos : Guillaume Millet pour VICE FR 

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Culture

Self-ish, une scène ouverte aux femmes et aux transgenres

Alors que le monde de l'open mic reste gangrénée par le sexisme, Self-ish réserve son micro aux femmes, personnes trans et non-binaires.

Ce mardi 22 janvier au soir, Aïda, Léa, Laure, mais aussi Erwan et d’autres artistes de tout genre, ont foulé les planches du Club Gambetta à Paris, pour réciter ou chanter des textes écrits de leurs mains. Des slams joyeux ou douloureux, toujours intimes et revendicatifs. Certain.es ont regardé fermement le public, d’autres ont un peu bafouillé, captivant par leurs mots l’attention d’une trentaine de personnes silencieuses et attentives. Rien de surprenant pour un open-mic ! Sauf qu’à Self-ish, seules les femmes, personnes transgenres et non-binaires peuvent investir la scène, les hommes cisgenres devant restés sur leur siège.

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Ce soir là, Sophie a avoué « avoir tatoué NON sur mon corps pour que tu comprennes que ce n’est pas un objet ». « Mon vagin a les crocs » s’est amusé Afro Insolente. Puis Amélie : « On m’a dit ‘’Du sexe avec un mec guérirait ton homosexualité’’». Ces artistes d’un soir ont ainsi retracé à coups de prose leur vie de femme ou transgenre faite de joies, de revendications et de violences. Des messages qu’i.elles réservent à Self-ish, redoutant l’indifférence ou le mépris des autres scènes. « Sans doute parce que leurs textes dénoncent indirectement des comportements courants dans les autres open-mic et la société » selon Marie.

Ces agissements, Marie les connaît bien, elle qui a fondé Self-ish en 2016 après avoir été harcelée sexuellement par le responsable d’une célèbre scène ouverte parisienne : « Ce milieu reste géré à 95% par des hommes cis, hétéro, blancs qui profitent de leurs privilèges de dominant. Ils accaparent le micro, parlent à la place des minorités, tiennent des propos misogynes et transphobes… ». Poussant alors des femmes et des trans à s’autocensurer. Pour éviter de tels travers sexistes, Marie exige l’engagement signé de tou.tes les participant.es de faire preuve de respect dans leurs actes et paroles. Ainsi Self-ish peut tendre un micro à ces minorités que la société conditionne à se taire. Dans l’espoir de leur donner assez de confiance pour parler haut et fort. Aïda, « Afro Insolente », Mirza-Hélène et Erwan sont certaines des voix de Self-ish. Elles, et il, ont exigé la réappropriation de leur vie. « Afro Insolente» et Aïda qui, pour leur deuxième passage, ont revendiqué une sexualité débridée et leur place dans la société. Mirza-Hélène, aussi, en réclamant une médecine respectueuse des trans. Et puis Erwan qui, agrippant une peluche, s’est exorcisé du viol subi durant son enfance. Ils ont accepté d'évoquer Self-ish et sa parole libre.

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Afro Insolente

VICE : Comment s’était déroulé votre premier passage à Self-ish ?
Aïda : Je flippais à mort, car je ne savais pas comment serait reçu mon texte, celui d’une femme noire dans un espace majoritairement blanc. Mais de voir des gens sur scène qui ne soumettaient leurs propos à aucune censure, m’a libérée. A Self-ish, on est dans le partage : une personne donne une histoire et le public la reçoit sans jugement de valeur.

Afro Insolente : L’ambiance et le public m’ont aussitôt mise en confiance. À chaque prestation, les gens écoutaient silencieusement, s’intéressaient aux textes, étaient émus et applaudissaient. J’aime aussi le côté militant : c’est subversif de donner la parole à des minorités qui s’autocensurent sur des sujets les concernant. Et Self-ish offre une telle liberté de création au niveau du fond et de la forme, que c’est jouissif.

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Un public bienveillant, voilà ce qui vous attire dans Self-ish ?
Erwan : En tout cas, cela a été essentiel dans ma décision de choisir Self-ish pour raconter mon histoire sur scène. Avoir face à moi un public peu nombreux et ouvert d’esprit sur les questions de genre me rassure : personne ne s’interroge sur mon identité d’homme transgenre ou ne fait de remarques déplacées.

Mirza-Hélène : Même si je ne connais pas grand monde, je m’y sens bien. Car la mixité des participant.es, avec des femmes, des transgenres, des queer transforme Self-ish en un lieu où je peux m’exprimer en étant sûre d’être respectée et écoutée sans être jugée.

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Aida

Et on ne trouve pas cela dans les autres open-mic ?
Mirza-Hélène : Les hommes cisgenres y accaparent la parole, parlent à la place des minorités, tiennent des discours discriminants… Ce qui me bloquerait pour monter sur scène.

Aïda : J’en ai fréquenté deux autres sans jamais oser m’y produire : les prestations en anglais, la présence de beaucoup d’hommes m’intimidaient trop. J’avais l’impression de me retrouver au milieu d’artistes confirmés, où seule la compétition importe. Alors qu’ici, malgré nos différences, aucun de nous ne fait partie de la norme et c’est rassurant.

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Erwan

Vous ne pourriez donc pas vous produire sur d’autres scènes ouvertes ?
Aïda : Je pourrais aller à d’autres open-mic à condition qu’ils soient dans le même état d’esprit que Self-ish, par exemple pour les afro-descendant.es. Sinon quel intérêt aurais-je à fréquenter des scènes où se réunit un public majoritairement masculin, où règne la compétition… Pas sûre que j’apprendrais autant humainement. Surtout que lire ses textes demande un tel engagement personnel, que je ne pourrais pas le faire sans être persuadée d’y avoir ma place.

Afro Insolente : Mes œuvres évoquent la féminité, la sexualité avec toujours une résonance militante. Un public non engagé notamment dans la cause des femmes, risquerait de se méprendre sur leur signification et de ne pas adhérer à mon message.

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Erwan

Pourquoi vos textes seraient-ils compris uniquement à Self-ish ?
Afro Insolente : Lorsque je les lis sur scène, je me mets à nu. Mais j’ose le faire parce que je sais que ce public leur donnera le même sens que moi, du fait, notamment, de nos expériences de vie plus ou moins similaires, de notre militantisme commun.

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Erwan : Pour moi c’est particulier. D’autres gens, peu importe leur identité de genre, ont vécu une histoire proche de la mienne : le viol, les réactions à la con de la police, les remarques débiles du genre « T’étais bourré ? » ou « Pourquoi t’as rien dit ? ». Les spectateurs de Self-ish et des autres scènes ouvertes accueilleraient mon témoignage pareillement.

Mirza-Hélène : Mais ils ne possèdent pas nécessairement les codes relatifs à la transidentité par exemple. Self-ish réunit des féministes, des queer, déjà sensibilisé.es aux sujets qu’on aborde dans nos écrits ou avec qui on partage des expériences de vie similaires : c’est libérateur de lire ses textes en sachant qu’on sera compris.e.

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De là à dire que les hommes cisgenres ne sont pas les bienvenus ?
Aïda : Les mecs cis doivent entendre les minorités. Mais ceux qui viennent ici intègrent déjà cette volonté d’écoute, cette sensibilisation à la cause des femmes et des transgenres.

Cet espace de parole qui vous est réservé, vous permet-il de vous construire en tant que femme, personne transgenre ?
Aïda : Self-ish ne nous cantonne pas au rôle « de la noire ou du trans' de service » : on peux être vrai.e que l’on soit en colère, joyeux.se, engagé.e… Et pouvoir être soi-même sur scène me donne encore plus confiance en moi en tant que femme. J’ai pris conscience de mon droit à être plus vocale : mon histoire compte et peut exister oralement au même titre que n’importe quelle autre.

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Mirza-Hélène : Comme tout ce que je fais dans ma vie, cela participe à ma construction en tant que femme transgenre, mais aussi comme individu, militante…; parce qu’en interagissant et en discutant avec les gens, on apprend à se connaître, à se définir et ainsi à se construire. Mais ça passe aussi par la réalisation de mon blog Trans’Girrrl.

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Marie

Cela a-t-il d’autres effets ?
Mirza-Hélène : Je n’en reviens pas que grâce à mes prestations, j’ai peut-être permis à des transgenres en plein questionnement de répondre à leurs interrogations et même de s’affirmer.

Erwan : Une fois derrière le micro pour raconter l’histoire de mon viol, j’étais vraiment mal à l’aise, limite tétanisé. Et puis j’ai regardé le public et je n’ai vu aucune malveillance dans leurs yeux. Au contraire, eux aussi ont jugé les remarques que l’on m’a faites aberrantes. Leur écoute et leurs réactions m’ont donné confiance en moi et prouvé qu’on me croit, que je n’ai pas à avoir honte.

Merci.

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