Comment Naples est tombée amoureuse de Diego Maradona

FYI.

This story is over 5 years old.

el diego

Comment Naples est tombée amoureuse de Diego Maradona

La cité italienne a tissé une relation aussi glorieuse que chaotique avec la star argentine.

Dans le football, il est souvent considéré comme évident le fait qu'aucun joueur n'est plus grand que son club. Se considérer plus important que le maillot est une insulte, un rejet des valeurs fondamentales du sport et de la culture qui l'entoure. Et cela est d'autant plus vrai en Italie où il n'y a pas de honte plus grande pour un joueur que de devoir rendre son maillot aux ultras. « Nous sommes les gardiens, scande le virage, vous n'êtes que des locataires passagers. »

Publicité

S'il y a un contre-exemple de cette logique, c'est celui de Diego Maradona et de la ville de Naples. Naples, la ville mal-aimée d'Italie, éternelle cible des moqueries ; Maradona, le héros rebelle. Jock Stein, grand nom du foot écossais, a dit que le maillot du Celtic ne rétrécissait jamais pour s'adapter au niveau des mauvais joueurs, mais il a parfois semblé que le maillot napolitain se soit agrandi pour s'adapter à Maradona.

PA Images

Cela ne veut pas dire que Naples n'était rien avant que Diego n'arrive, mais il serait grossier de suggérer que quelqu'un d'autre que Maradona ait été responsable de l'ascension du club, ou eût même été capable de le faire. Ceci dit, le Maradona qui est arrivé au club était loin d'être l'icône que l'on connaît aujourd'hui. Tout au plus, Naples recyclait un bien abimé. Bien que sa carrière sur le terrain, à Barcelone et Boca Juniors, ait accouché de grands moments – il a une fois quitté le Bernabeu sous les applaudissements – il avait aussi souffert d'une hépatite, s'était embarqué sur le chemin de l'addiction à la cocaïne, et quitté le Camp Nou sur un petit nuage après s'être battu contre toute l'équipe de l'Athletic Bilbao lors de la finale de la Coupe d'Espagne. Lorsque le président de Naples, Corrado Ferlaino, a posé 7 millions d'euros sur la table pour s'attacher ses services, les Catalans étaient trop heureux de le voir partir.

Publicité

À partir du moment où Maradona a été présenté au Stadio San Paolo de Naples le 5 juillet 1984, il a semblé que le rebelle ait trouvé une cause et que les foules aient trouvé leur messie. 75 000 personnes sont venues l'accueillir. Un journal local a écrit que Naples n'avait « ni de maire, ni de maison, d'école, de bus, ni de travail ou de service d'hygiène public », mais que « rien de tout ça n'a d'importance car nous avons Maradona ». Naples restant Naples, il y a eu de sérieuses suspicions d'implication de la mafia dans le transfert et la revente illégale de tickets dont la demande avait triplé dans la nuit. Diego écrira plus tard : « Avant mon arrivée, Paolo Rossi avait refusé de rejoindre l'équipe parce que, d'après lui, Naples n'était pas une ville qui lui correspondait, à cause de la mafia. La vérité c'est qu'avant mon arrivée, personne ne voulait aller à Naples ».

PA Images

On aurait pu s'attendre à ce que Naples intègre rapidement Maradona à son équipe, mais ses progrès étaient lents. Vérone, inspiré par Preben Elkjaer, a réalisé l'une des plus grandes surprises de l'histoire de la Serie A en remportant le Scudetto lors de l'année 1984-85, Naples finissant la saison à la huitième place. La saison suivante le Partenopei [surnom du club et de la ville venant de la mythologie grecque, plus spécifiquement de la sirène Parthenope, ndlr] a terminé à la troisième place. Mais une équipe se formait et sont arrivés par la suite, pour protéger le maestro, Ciro Ferrara et Salvatore Bagni tandis que des attaquants comme Andrea Carnevale et Bruno Giordano l'épauler devant.

Publicité

Si l'étoile de Diego s'était éteinte lors de son transfert à Naples, elle a de nouveau brillé lors de la Coupe du monde au Mexique en 1986. Il en a planté deux à l'Angleterre – vous savez desquels je parle – avant un autre bijou en demi-finale. Alors indiscutablement considéré comme le meilleur joueur du monde, il est rentré à Naples dans l'idée de faire remporter à la ville son premier Scudetto.

Avant Maradona, aucune équipe du sud du pays n'avait gagné la Serie A. En 1986-97, Naples a réalisé le doublé. La saison suivante les Napolitains ont fini deuxième, Diego terminant meilleur buteur du championnat. En 1988-89 ils ont remporté la Coupe de l'UEFA. Pour une équipe qui était essentiellement considérée comme une équipe de Serie B, en proie à des difficultés pour remplir son stade et avec seulement deux maigres Coupe d'Italie à son palmarès, l'ascension a été fulgurante.

Maradona fête le Scudetto de 1987 // PA Images

La Diegomania s'est alors propagée. On raconte qu'un quart de tous les garçons nés à Naples a été baptisé Diego, le prénom du nouveau roi de la ville. Des funérailles satiriques ont été organisées pour les anciens grands (du nord) du football italien et on pouvait lire des messages adressés aux morts dans les cimetières: « Vous ne savez pas ce que vous ratez. » Tout n'était pas rose pour Maradona lui-même, mais tant que les buts continuaient de pleuvoir, le reste pouvait être pardonné.

Publicité

Les déboires de Maradona étaient connus à Barcelone, mais étant donné le laxisme de Naples, ils ont pris des proportions incontrôlables dans la cité italienne. Il a fait la fête avec les parrains de la Camorra, il a entre autres été poursuivi en justice par une Napolitaine au sujet de la paternité d'un enfant qu'elle avait nommé Diego Armando. Perpétuellement adulé par les foules, fréquentant assidument de la pègre napolitaine, confronté à un sérieux problème de cocaïne, il s'est mis à passer de plus en plus de temps en Argentine, craignant une ville qui l'aimait trop.

Il est revenu en retard pour le début de la saison 1989-90 – laissant sa fille et sa femme à Buenos Aires pour leur sécurité – et s'est immédiatement mis à travailler. Naples était au coude à coude avec le Milan AC (qui soulèvera la Coupe d'Europe cette année-là), mais la saison a connu un tournant lors d'un incident en déplacement à Atalanta, où le milieu de terrain brésilien de Bergame, Alemao, a reçu une pièce sur la tête. Bien que le score était alors nul et vierge, la fédération italienne a accordé à Naples une victoire 2 à 0, Naples qui remportera alors son deuxième Scudetto avec seulement deux points d'avance sur les dauphins.

PA Images

Tous les doutes au sujets du génie de Maradona ont alors été balayés. Il était de nouveau le chouchou de Naples, le seul homme qui pouvait leur délivrer le titre. En dehors de la ville, il restait très critiqué, considéré comme un affilié de la Camorra et un addict à la cocaïne, mais pour les Napolitains, habitués à la condescendance de leurs compatriotes du Nord, cela ne faisait qu'accroître leur admiration pour lui.

Publicité

Il restait néanmoins un obstacle à surmonter. Le Mondial italien arrivait à grand pas. L'Argentine, tenante du titre, pouvait compter non seulement sur Maradona, mais aussi sur Abel Balbo, Claudio Caniggia et Roberto Sensini, qui évoluaient tous dans des clubs italiens. Malgré une défaite surprenante face au Cameroun, les Argentins ont ensuite surpassé l'URSS, le Brésil et la Yougoslavie pour arriver en demie-finale contre les organisateurs. Le match aurait lieu, évidemment, à Naples.

Maradona, et lui seul, pouvait se le permettre, a exhorté les habitants à le soutenir lui et l'Argentine contre la Squadra Azzura. Son message aux citadins était clair: « Pendant 364 jours de l'année, vous êtes considérés comme des étrangers dans votre propre pays ; et aujourd'hui vous devez faire ce qu'ils vous demandent en soutenant la sélection nationale. Alors que moi je suis Napolitain 365 jours de l'année. » Dans l'esprit de Diego, il avait porté Naples sur son dos, mais alors que les équipes entraient sur le terrain, une bannière dans le virage affichait : « Maradona, Naples t'aime, mais l'Italie est notre pays ». L'Argentine a remporté aux tirs au but et les Napolitains, bien que dévastés, ont applaudi Diego à sa sortie du terrain.

Maradona après son tir au but victorieux en demi-finale // PA Images

Que Maradona se soit rendu important auprès de Naples à tel point qu'il puisse exiger leur loyauté contre leur pays même fait foi de ce qu'il avait réalisé pour la ville. Qu'ils soient restés fidèles à la Squadra prouve que le maillot et le blason demeurent plus grands que le joueur -- voilà tout.

Après 1990, leur relation ne fera que se dégrader. En surpoids, Maradona croule sous les d'amendes dues à ses absences aux matches et finit par succomber au résultat positif d'un test de drogue.

Diego ne sera plus jamais le même. Il revient de temps en temps à Naples, toujours effrayé de ce qui l'y attend, même si c'est aujourd'hui il craint plus le fisc que la Camorra. Mais lorsqu'il revient, il est toujours acclamé, sa réputation le précédant. Lors de ses longues absences, son visage continue de marquer la ville, où fleurissent des fresques murales campant le célèbre maillot de Naples bleu ciel flanqué du numéro 10. Ne rétrécissant pas pour s'adapter aux joueurs de moindre qualité, il a pris sa retraite en l'honneur de Diego, pour ne plus jamais être porté.