Soigner sous les bombes : entretien avec un médecin humanitaire de retour de Syrie

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Soigner sous les bombes : entretien avec un médecin humanitaire de retour de Syrie

Rentré depuis quelques jours au Maroc, le docteur franco-marocain Zouhair Lahna revient sur son parcours de médecin humanitaire, son envie de transmettre et l’enfer syrien.
Pierre Longeray
Paris, FR

« Le cœur serré, je quitte la Syrie vers l'autre monde. Un monde séparé par une frontière de bétons où il ne pleut pas des bombes. » C'est par ce message posté sur Facebook que le docteur franco marocain Zouhair Lahna a annoncé le 2 juin dernier qu'il quittait le nord-ouest de la Syrie pour retrouver sa famille au Maroc.

Dr Lahna est l'un des rares médecins étrangers à avoir effectué plusieurs missions humanitaires en Syrie, dans la province d'Idlib, où les combats font rage entre des rebelles et les forces du régime de Bachar Al-Assad. Chaque jour la région vit au rythme des bombardements. Gynécologue de formation qui exerce en Seine-Saint-Denis, Lahna sillonne les zones de conflit depuis plusieurs années pour soigner ceux qui en ont le plus besoin et former les médecins locaux afin qu'ils prennent le relais.

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C'est avec l'Union des organisations syriennes de secours médicaux (l'UOSSM, une association qui rassemble des médecins de la diaspora syrienne) que Lahna s'est rendu en Syrie à plusieurs reprises depuis 2012. Rentré depuis quelques jours dans son pays natal – pour passer le mois de ramadan avec sa femme et ses enfants – Lahna est revenu par téléphone sur son parcours de médecin humanitaire, son envie de transmettre et l'enfer syrien.

VICE News : Pourquoi allez-vous soigner là où plus personne ne veut aller ?

Dr. Zouhair Lahna : Je me suis toujours intéressé à l'activité humanitaire parce que, quand on naît dans un pays intermédiaire comme le Maroc, on est forcément frappé par la précarité. C'est pour ça que j'ai rapidement adhéré au concept de Médecins sans frontières et surtout celui de la filière Aide internationale médicale. L'idée était de transmettre ce que j'ai appris dans les hôpitaux pour l'appliquer dans des hôpitaux plus petits avec des moyens réduits.

Quel a été le déclic pour vous ?

J'ai fait une grande mission en 2001 en Afghanistan, où j'étais arrivé pour dépanner en tant que généraliste. J'ai été tout de suite transporté mille ans en arrière. Les seules traces du développement moderne, c'étaient les 4x4 et les Kalachnikov. On se retrouve donc avec des gens très simples et bons. Malgré les clichés, certains dirigeants, les seigneurs de guerre, on retrouve la nature humaine qui est toujours bonne.

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Mais il n'y avait pas les Talibans à l'époque ?

Si, si. Les Talibans c'est comme Daesh mais en un peu plus gentils. Avec les Talibans c'est possible de discuter, avec Daesh c'est impossible. En gros dans les hôpitaux afghans, il y avait toujours un responsable taliban qui gérait l'administratif et veillait au respect des règles. Notamment, dans la maternité, aucun homme ne pouvait rentrer, mais dès qu'il y avait besoin d'une opération chirurgicale, direction le bloc opératoire où des hommes officiaient. On arrivait toujours à négocier pour qu'un homme opère une femme si on ne pouvait pas faire autrement.

Après des missions notamment à Gaza et en Éthiopie, vous avez décidé de faire plusieurs allers-retours en Syrie. Quelle est la situation là-bas, notamment sur le plan sanitaire ?

Tous les humanitaires, même l'ONU, s'accordent pour dire que la Syrie vit la plus grande crise humanitaire depuis la Seconde guerre mondiale. Certains assurent même que la situation est pire que pendant la Seconde guerre mondiale, parce qu'à l'époque la guerre se concentrait sur les fronts, les avions ne bombardaient pas à tort et à travers, les gens vivaient quand même. Mais en Syrie, c'est une guerre permanente. Et pour la première fois dans l'histoire, les hôpitaux sont des cibles privilégiées des bombardements, ce qui est invraisemblable. Au début, les hôpitaux pouvaient être utilisés par des rebelles ou servaient de caches d'armes. Mais c'est quand même incroyable que cela soit devenu systématique. Moi je peux témoigner, je ne vois pas de QG de rebelles dans les hôpitaux syriens que je visite.

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Le docteur Lahna avant de rentrer en Syrie le 17 mai dernier. (Photo via le compte Facebook du Docteur Lahna)

Pourquoi est-ce qu'ils continuent de bombarder les hôpitaux alors ?

Derrière ça, il y a une explication stratégique : ceux qui bombardent les hôpitaux essayent de retirer la présence civile des zones visées. Le but il est clair, il est de faire fuir tous les civils qui sont restés. C'est la politique de la terre brûlée. Si les familles, femmes, enfants fuient, la guérilla ne tient plus et les rebelles vont échouer. Les rebelles tiennent grâce à ceux qui restent et le soutien tacite qu'ils leur apportent — grâce à leur simple présence.

Comment faites-vous pour soigner les gens, malgré les bombardements incessants ?

On n'opère pas non plus quand on entend des bombes. On s'arrête. Mais la vie doit continuer et on doit continuer de soigner les gens. La vie est plus forte. Les gens veulent avoir des enfants, ils se marient aussi. En fait, ils incluent cette vie dangereuse dans leur quotidien.

Et vous n'avez pas peur qu'il vous arrive quelque chose ?

Un peu comme tout le monde, on appréhende, mais une fois qu'on est dans le bain, avec tout le monde, on oublie. On travaille, on est comme les autres. Un jour j'étais dans un hôpital à 20 kilomètres au nord de Alep, quand les avions ont commencé à bombarder la voie qui permet d'amener du pétrole. Ça a commencé à crier dans tous les sens à l'hôpital. On se disait : la prochaine elle est pour nous. Les gens voulaient se cacher, mais ne savaient pas où se mettre. Les bombes tombent mais tu ne les vois pas tomber. Tu t'en rends compte une fois qu'elle est sur toi.

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Dans quel état sont les hôpitaux et les salles d'opération en Syrie ? Est-il possible de soigner les gens correctement ?

C'est variable d'un hôpital à l'autre. Il y a quand même eu des dons qui sont venus. Ceux qui soutiennent le plus les hôpitaux ce sont les Syriens de l'étranger — installés dans le Golfe ou aux États-Unis. Mais ce qui manque le plus ce n'est pas tant le matériel mais les fonds pour couvrir les frais de fonctionnement et le consommable. L'être humain en temps de guerre est un génie, cela pousse les gens à trouver des solutions inattendues. C'est comme en cuisine, on fait à manger avec ce qu'on a. C'est pareil dans un hôpital syrien, on fait avec ce qu'on a.

Le docteur Lahna avec Ouday (à gauche), un jeune Syrien de 18 ans qui l'assiste pendant une opération. (Photo via le compte Facebook du Docteur Lahna)

Il y a donc des gens qui s'improvisent un peu médecins ou infirmiers ?

Oui, il y a aussi des gens qui se sont formés sur le tas. La moitié des sages-femmes n'ont pas de diplômes par exemple. Ce sont elles qui font les accouchements, donc autant qu'elles le fassent bien. J'essaye de les former. J'ai aussi rencontré dans la région d'Idlib un jeune homme de 18 ans, Ouday, qui a commencé à travailler avec son père au bloc opératoire à l'âge de 14 ans. Pour lui le choix était : devenir guerrier ou suivre son père. En quatre ans, il est devenu un très bon aide opératoire.

Comment s'organisent les médecins locaux ?

Les médecins d'Alep habitent pour la plupart en Turquie avec leurs familles. Ils passent une semaine à Alep puis une en Turquie. Quand ils sont en Syrie, ils travaillent 24 heures sur 24. Ils dorment à l'hôpital, ils mangent à l'hôpital. Les médecins syriens restent pour deux choses : parce qu'ils estiment avoir un devoir envers leur pays et aussi parce qu'en Turquie ils ne peuvent pas exercer leur métier. Malgré tout, il y a une vraie pénurie de médecins. Par exemple à Alep, il reste une gynécologue pour 300 000 habitants. Je voudrais ajouter à ce propos qu'il y a une responsabilité des ONG installées en Turquie près de la frontière dans cette pénurie. Elles engagent un grand nombre de médecins syriens, qu'ils appâtent avec de bons salaires, pour remplir des postes administratifs. Pour moi, un médecin doit être au bloc opératoire et auprès des gens, pas dans un bureau. Mais bon, on ne peut pas demander à tout le monde d'être courageux.

Suivez le Docteur Zouhair Lahna sur Facebook : @docteur.lahna

Suivez Pierre Longeray sur Twitter : @PLongeray