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Gonfler des pénis de dauphins morts, pour la science

Parce qu'il est très difficile d'étudier l'accouplement des dauphins sur le terrain, les biologistes en sont venus à des extrémités : simuler le coït des cétacés en utilisant des animaux décédés.
Mauricio Solano et Dara Orbach scannant un pénis de cétacé. Image : Patricia Brenna.

Il est extrêmement difficile d'étudier la reproduction des cétacés dans leur milieu naturel. Il faut être au bon endroit au bon moment, disposer de plongeurs expérimentés et ne pas effrayer les animaux qui s'accouplent loin du rivage dans des eaux parfois inhospitalières.

"Il existe très peu d'études sur le comportement sexuel des cétacés, à cause des fortes contraintes auxquelles nous devons faire face", explique Dara Orbach, biologiste en post-doctorat à l'Université Dalhousie. "J'en ai écrit une grosse partie, je sais de quoi je parle."

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Orbach, spécialiste de la morphologie et de la biomécanique des organes génitaux des cétacés, a mis au point une nouvelle méthode pour étudier l'accouplement des dauphins : elle et son équipe se sont procurés les organes reproducteurs de trois espèces de cétacés (le grand dauphin, le dauphin commun et le marsouin commun), puis ont injecté une solution saline dans les pénis des animaux morts afin de provoquer une simili-érection. Ils ont ensuite placé les pénis à l'intérieur des vagins de l'espèce correspondante, et ont scanné le tout aux rayons X pour mieux comprendre ce qui se passait lorsque les animaux avaient un rapport sexuel.

Patricia Brennan fabrique un moulage en silicone des organes génitaux de mammifères marins. Image : Dara Orbach

"Nous avons injecté la solution grâce à un conteneur pressurisé, afin de simuler une érection dans les pénis étudiés", m'explique-elle. Les pénis rigides des animaux ont ensuite été placés dans une solution à base de formaldéhyde, afin qu'ils ne perdent pas leur forme avant d'être insérés dans les vagins. L'étude, menée par d'Orbach, Diane Kelly, Mauricio Solano, et Patricia Brennan, est publiée dans Proceedings of the Royal Society B: Biological Sciences.

La partie la plus délicate de ces recherches aura été d'obtenir les échantillons. Il s'agit d'animaux adultes morts de causes naturelles : leurs parties génitales ont été congelées dans les 24 heures suivant leur décès, puis expédiées au laboratoire d'Orbach. Pour que les expériences fonctionnent, les organes se devaient d'être dans un état impeccable, explique Orbach. "Je reçois les colis FedEx les plus bizarres du monde", plaisante-t-elle.

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Vous vous demandez sans doute pourquoi il est nécessaire d'étudier la dynamique du coït chez ces animaux, dans la mesure où il existe une vérité éternelle : le pénis va dans le vagin, et pas l'inverse.

Pourtant, la biomécanique de la copulation chez les cétacés est bien plus complexe que cela. "Nous ne savons pas comment les traits des organes génitaux masculins et féminins se combinent, ni comment ces interactions affectent la fertilité", indique l'étude. Les baleines, les dauphins et les marsouins sont connus pour posséder des "plis, des spirales et des creux vaginaux inhabituels", a déclaré Orbach dans un communiqué de presse il y a quelques mois, ce qui peut entraver la pénétration et la fécondation. La taille des organes des cétacés est également "assez variable", me confie-t-elle. Un marsouin commun a un pénis "de la longueur d'un avant-bras", explique-t-elle, tandis que celui du dauphin commun a la taille d'une main humaine.

Le modèle de vagin en silicone apparié au pénis gonflé artificiellement chez des marsouins communs sexuellement matures (a), des grands dauphins (b), des dauphins communs à bec court (c), et des phoques communs (d). Image : Dara Orbach et al.

Dans cette étude, la biologiste a collecté des organes génitaux féminins, dont la vulve, le clitoris, le col de l'utérus et les ovaires. Chez les mâles, elle a pris "tout ce qu'il y avait à prendre depuis le gland jusqu'à l'os pelvien", dont les muscles associés.

Les chercheurs ont fait des moulages en silicone des vagins, puis ont inséré les pénis gonflés dans les vagins de chair. Le pénis et le vagin étaient ensuite cousus ensemble pour simuler la copulation, et l'ensemble était placé dans une solution de formaldéhyde.

Les scientifiques ont utilisé un CT scan pour visualiser l'arrangement des tissus. Ils ont également réalisé des modèles 3D des pénis et des vagins afin de pouvoir les manipuler et les étudier au format numérique.

Selon Orbach, le degré de co-évolution de ces cétacés est "proprement incroyable". Chez les dauphins communs et les phoques communs, le vagin ne présente pas de barrières physiques pour obstruer le pénis ; chez le grand dauphin et le marsouin commun, en revanche, les plis vaginaux empêchent le membre masculin de pénétrer trop profondément. Il y a peut-être là une analogie avec la course aux armements sexuelle qui oppose le mâle et la femelle canard, qui a entraîné chez l'un et chez l'autre la co-évolution d'organes génitaux extrêmement complexes.

Gonfler des pénis de dauphins morts en laboratoire ressemble, de loin, à une initiative peu déterminante pour l'avancement des sciences. Pourtant, mieux comprendre la reproduction des cétacés est essentielle si vous voulons protéger ces espèces sur le long terme. "Dans une certaine mesure, nos résultats pourront être appliqués à l'insémination artificielle et à la conservation, même s'il s'agit en grande partie de recherche fondamentale", explique Orbach. Le propre du scientifique est d'éclairer les subtilités des phénomènes du monde physique – dont la copulation des dauphins. De ce travail, elle tire une très grande fierté.