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Crime

Un abruti comme moi peut-il vraiment s’improviser enquêteur ?

Si la loi française vous permet quelques libertés, vous n’êtes probablement pas assez qualifié pour retrouver Xavier Dupont de Ligonnès.
enquêteur du dimanche amateur
Paul Newman dans le film Harper de Jack Smight (1966)

C'était pour moi un rituel quotidien. Courir dès la sortie de l'école, embrasser mes parents et rentrer d'un pas pressé pour allumer ma télé et regarder Détective Conan. Comme d'autres, j'étais captivé par cet adolescent dans un corps de gosse, capable de trouver la solution à des énigmes en apparence insolubles. Mes week-ends, eux, étaient parfois rythmés par l'hélice de l'inspecteur Gadget – moins efficace, mais tout aussi intrigant.

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De cette enfance banale, il me reste un amour des dessins animés pour enfants et une passion immodérée des faits divers. Cette passion est à vrai dire bien française. Du Nouveau Détective, formidable et putassier hebdomadaire qui fait le bonheur des accros au trash à la très littéraire revue Sang Froid, les crimes, le sexe et la violence permettent aux médias français de remplir les caisses.

Dans la liste de mes fantasmes d'amoureux des faits divers, résoudre une affaire moi-même s'affiche en bonne place. Sérieux, qui n'a jamais rêvé de réussir là où tous les autres ont échoué ? Jouer au flic a quelque chose de grisant – et certaines institutions l'ont bien compris. C'est le cas d'Europol, qui a récemment lancé un site compilant des photos d'objets repérés en arrière-plan d'images pédopornographiques. L'Office européen des polices compte sur la coopération des internautes, espérant que certains reconnaîtraient les objets avant de les signaler. Fin 2016, Europol avait déjà réalisé une action singulière en créant un calendrier de l'Avent des criminels. Quelques jours avant Noël, l'agence avait successivement publié sur sa page Facebook des informations précises sur les fugitifs les plus recherchés d'Europe afin de faciliter leurs interpellations.

Les logiciels d'espionnage, les réseaux sociaux et la masse d'informations personnelles traînant sur internet permettent à quiconque de s'improviser enquêteur, même si peu de Français semblent réellement s'adonner à ce hobby étrange. Les web sleuths, ou limiers du net, pullulent surtout aux États-Unis. Seule vraie exception, l'affaire Xavier Dupont de Ligonnès – qui a mobilisé tous les flics du dimanche de l'hexagone pendant un temps. Mais en France, peut-on vraiment s'improviser détective ?

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En théorie, n'importe qui peut enquêter sur quelqu'un dans les limites de la loi. Comprendre : vérifier que votre voisin ne fait pas partie de la liste des criminels les plus recherchés au monde, oui. L'observer avec du matériel espion, enregistrer une conversation ou s'introduire dans sa propriété privée, non. Espionner le téléphone d'un tiers est – et ce n'est qu'un exemple – considéré comme une atteinte à la vie privée. Accessoirement, il peut vous en coûter un an de prison et 45 000 euros d'amende.

Autre limite prise dans la masse : ces recherches improvisées ne doivent en aucun cas interférer avec une enquête de police – n'interrogez surtout pas un témoin impliqué dans une affaire officielle. À vrai dire, vous devez coopérer : les éléments récoltés doivent être transmis à la police ou à un avocat.

Étrangement, les détectives professionnels ne jouissent pas de beaucoup plus de libertés. « Pour faire simple, nous n'avons aucuns droits spéciaux », me confirme Arnaud, un privé bordelais, à la coupe de cheveux proprette et aux épaules carrées. « Nous sommes des mandataires en recherches de preuves », précise-t-il. « On vient en soutien aux actions judiciaires et nos enquêtes ont pour finalité la rédaction d'un rapport utilisable devant les tribunaux ». Bottes secrètes des avocats, ils apportent souvent des éléments décisifs dans la résolution d'un dossier. « Dans les affaires de divorce, m'expliquait un conseil spécialisé dans le droit de famille, prouver qu'un client a été trompé fait généralement pencher la balance en sa faveur ».

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Arnaud nuancera plus tard. « Notre agrément permet d'enquêter sur des personnes sans faire état de nos qualités ni révéler l'objet de notre mission. En gros, lors d'une enquête, nous faisons parfois des atteintes à la vie privée, ce qui serait une faute si un simple citoyen le faisait. En revanche, il nous appartient de bien connaître nos limites dans chaque domaine afin que les moyens employés soient proportionnels au but recherché ».

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Humphrey Bogart dans Le Faucon maltais, John Huston (1941)

Sur le papier, les détectives ne font pas grand-chose de plus qu'un mari excessivement jaloux. Ils scrutent les agendas et les réseaux sociaux, recoupent les informations qu'ils trouvent et organisent des filatures. Mais ils le font bien, et légalement. « Parfois, pas besoin de chercher bien loin. J'ai déjà retrouvé quelqu'un simplement avec les pages jaunes ». Même chose quand il s'agit d'enquêter « avec les entreprises pour la lutte contre le vol, la concurrence déloyale, le contrôle des salariés » ou simplement pour la concurrence. Ils mobilisent des documents publics, fouillent dans les archives et fréquentent des greffes, utilisent des documents accessibles à n'importe qui.

La différence se fait donc sur la formation. « Pour exercer le métier d'agent de recherche privée, il est nécessaire de posséder un diplôme ou d'être Officier de Police Judiciaire (OPJ). » Vieux condés et anciens militaires abondent dans le milieu. Arnaud était dans l'armée de terre ; son binôme, lui, est diplômé en droit. L'école permet d'acquérir des techniques propres au métier. Les filatures, par exemple, nécessitent des compétences spécifiques : quelque temps avant notre rencontre, Arnaud s'était « déguisé en sans domicile fixe pour une planque ». Plus largement, la profession est largement encadrée. « Une fois le diplôme obtenu, il est nécessaire d'obtenir un agrément de dirigeant et un agrément pour chaque établissement. Ces agréments sont délivrés par le Conseil National des Activités Privées de Sécurité, sous tutelle du Ministère de l'Intérieur. »

Internet est une mine d'informations pour qui sait chercher ; à la chambre de commerce et de l'industrie du coin, n'importe quel quidam peut acheter des informations sur une entreprise ; rien n'interdit au citoyen lambda de se constituer un réseau d'informateurs. « Nous avons juste une bonne connaissance des différents réseaux d'informations légales à notre portée, synthétise le détective. Bien souvent, il s'agit plus de connaissance technique et institutionnelle qu'autre chose. Le simple citoyen, pourrait obtenir la même information mais il aurait alors de grosses compétences et connaissances. » Bref, vous pouvez essayer de jouer au détective privé – mais vous n'avez clairement pas encore le niveau ni les outils pour rejoindre la cour des grands.

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