On a rencontré le chef des ultras bastiais qui a fait une grève de la faim après l'affaire Reims-Bastia

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Kopland

On a rencontré le chef des ultras bastiais qui a fait une grève de la faim après l'affaire Reims-Bastia

​« La grève de la faim était la seule alternative à la violence »

Le 13 février dernier, le Sporting Club de Bastia se déplaçait sur le pelouse du Stade de Reims lors de 26e journée de Ligue 1. Victoire deux buts à zéro pour les Corses, mais grosse soirée galère pour la trentaine de membres de Bastia 1905, un groupe de supporters ultras du club bastiais, venus pour soutenir leur équipe… Avant de quitter la ville pour reprendre l'avion, une quinzaine d'entre eux décident de faire un tour dans le centre-ville de Reims. Quelques minutes plus tard, neuf supporters sont violemment interpellés par des membres de la brigade anti-criminalité et l'un d'eux, Maxime Beux, est éborgné.

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Selon le procureur de la ville de Reims, les fans du Sporting auraient insulté les forces de police qui les suivaient et jeté des projectiles sur leur voiture. Maxime lui se serait blessé tout seul en chutant contre un poteau en tentant de fuir. Une version niée par les principaux concernés qui font état de violences policières gratuites et d'un tir de flashball sur leur ami.

En Corse, des centaines de personnes se réunissent en soutien aux interpellés et des incidents éclatent à Bastia ou à Corte… S'ensuivront rebondissements, procès et condamnations et une grève de la faim pour Jean-Baptiste Castellani (32 ans), le président du groupe de supporters bastiais. Ingénieur et pompier volontaire, il était présent à Reims et revient sur son geste, l'affaire et la répression policière que les fans corses estiment subir.

VICE : Pourquoi t'es-tu décidé à faire une grève de la faim ?
Jean-Baptiste Castellani : Pour le comprendre, il faut revenir au 14 février dernier, le lendemain du match Reims-Bastia. Pendant que nous étions là-bas et faisions le relais avec les amis et les familles des membres de notre groupe interpellés, il y a eu un rassemblement spontané devant le commissariat de Bastia qui a dégénéré. Il y a eu des incidents devant pendant plusieurs heures et ça s'est propagé dans toute la ville… Le lendemain, la faculté de Corte a été bloquée… Et il y a encore eu des incidents devant et plus tard à la sous-préfecture de Corte.

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Alors que sept de nos membres étaient condamnés par le tribunal de Reims, la police a commencé à interpeller de nombreuses personnes suspectées d'avoir pris part à ces incidents ou en tout cas d'avoir été présentes sur place. Tous les lundis, il y avait de nouvelles interpellations… On était à bout et très énervés, on comprenait que cela n'allait que dans un sens. Une grève de la faim était la seule alternative possible à la violence. Il s'agissait de retourner la violence contre nous même.

Ça n'a pas été trop dur de se lancer ?
Vu la situation, l'idée avait déjà été évoquée entre nous avant… Puis j'ai finalement pris la décision de le faire, car il n'y avait pas d'autre issue. Pour y arriver, je me suis conditionné et je me suis dis que je ne m'arrêterai pas avant d'avoir obtenu des choses qu'on avait revendiquées… J'étais déterminé à aller au bout et tout le monde était autour de moi pour m'aider à mieux supporter la faim.

Quelles étaient vos principales revendications ?
Nous avions deux revendications principales. La première était que le collectif « Ghjustizia è verità per i nostri » [Justice et vérité pour les nôtres, ndlr], spécialement créé pour cette affaire-là, puisse rencontrer le préfet de Haute-Corse. La seconde était que Maxime obtienne un rendez-vous avec le ministère de l'Intérieur.

Jean-Baptiste Castellani (deuxième en partant de la gauche) lors de sa grève de la faim dans le kiosque à musique de la place Saint-Nicolas.

Pourquoi ?
On a souhaité ce rendez-vous quand on a vu que la famille d'un journaliste gravement blessé par la police à Paris lors d'une manifestation contre la loi travail avait immédiatement été reçue par Bernard Cazeneuve. On s'est alors dit : « Et pourquoi pas Maxime ? ». Car je rappelle que s'il a bien été interpellé en même temps que les autres membres de notre groupe à Reims, Max n'a, lui, finalement pas été poursuivi. Ce qui est complètement illogique à nos yeux, puisque cela prouve qu'ils n'auraient pas dû non plus poursuivre, et faire condamner, ceux qui avaient les mêmes chefs d'inculpation que lui, mais bref. Selon le procureur du parquet de Reims, poursuivre Maxime aurait mis le feu aux poudres… Il était donc, avant ce rendez-vous, potentiellement considéré comme un agresseur.

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Et ça a marché ?
Oui, on a été reçu par le préfet de Haute-Corse seulement 5 jours après le début de ma grève de la faim et Maxime a rencontré le ministre de l'Intérieur le 6 juillet.

Comment s'est passée cette rencontre ?
L'entretien s'est déroulé en deux temps. Un premier avec Bernard Cazeneuve et un second avec l'inspection générale de la police nationale (IGPN). L'entretien avec le ministre de l'Intérieur a confirmé ce à quoi on s'attendait. Il a notamment dit qu'il avait un quart de sang corse et que les Corses pouvaient être naturellement violents… La deuxième partie avec l'IGPN était plus technique. Ça nous a permis d'éclaircir certains points et maintenant ce sont les avocats qui bossent dessus.

Ta grève de la faim a donc finalement duré « seulement » 5 jours, comment cela s'est passé ?
Je fais beaucoup de sport et prépare le diplôme de guide de haute-montagne donc physiquement, j'étais préparé. Après, je suis resté en activité les trois premiers jours. Je travaillais normalement tout en buvant régulièrement de l'eau et du thé, comme si de rien n'était. En quatre jours, j'ai perdu 5 kilos. J'étais tellement entouré que je ne sentais pas la fatigue. A partir du vendredi, ça a commencé à être plus dur. J'étais plus faible et j'avais du mal à m'exprimer… Puis lorsque nous avons obtenu le rendez-vous avec le préfet, j'ai arrêté la grève et j'ai remangé progressivement, en évitant les trucs trop consistants. Pendant 4 ou 5 jours, ça a été, puis j'ai eu un très gros coup de fatigue qui a duré deux journées. Au final, il m'a fallu une quinzaine de journées pour m'en remettre complètement.

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Tu étais accompagné ?
Oui, un médecin m'a suivi et prenait un fois par jour ma tension, mon taux de sucre et mon poids. Il m'a prévenu sur ce que ça allait faire, que les reins allaient être touchés en premiers.

Et tu t'es senti soutenu ?
Oh oui ! Chaque soir, on était un peu plus nombreux à dormir où je faisais ma grève de la faim et des volontaires se sont fait connaître pour m'accompagner. Le kiosque était décoré avec des drapeaux et des banderoles, notamment avec un drapeau irlandais en hommage à Bobby Sands… Un artiste célèbre en Corse m'a même donné un livre qui parlait de l'attitude à adopter pour réussir une grève de la faim. Après, je ne vais pas cacher que c'était difficile, surtout quand ta famille et tes amis te supplient d'arrêter.

C'est quelque chose d'habituel une grève de la faim en Corse ?
Non, je ne dirais pas cela. Après la Corse est une région de luttes. La situation a changé en 40 ans, mais ça reste un endroit où tu revendiques facilement. Je pense que c'est aussi pour cela que tout s'est dénoué aussi rapidement. On a montré qu'on était très déterminé et cela a inquiété beaucoup de monde. Tous les jours, des élus venaient me voir et le président de l'Assemblée de Corse (Gilles Simeoni) est aussi passé.

Revenons sur l'affaire Reims-Bastia, tu étais présent dans la Marne ce jour-là ?
Oui. Avant que nos gars soient interpellés, on retournait du stade Auguste Delaune vers le car. On devait boire un coup en ville. On était suivis par des policiers de la Brigade anti-criminalité (Bac) en civil. Sur le chemin, nous avons traversé une galerie commerçante et on a été pris à partie par la police sans raison. Certains ont été percutés par des véhicules, d'autres se sont fait taper pendant l'interpellation, parfois au sol… Deux de nos membres ont été témoins du tir de flashball dans la tête de Maxime. Ils l'ont vu porter ses mains à la tête et s'effondrer.

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Pourquoi les policiers vous auraient-ils pris à partie ?
Mon analyse est simple : marginalisation des supporters et racisme anti-corse de la part de militants d'extrême droite.

Vous avez tout de suite su l'importance de la blessure de Maxime ?
Non, on s'est rendus au comico pour avoir des nouvelles des gardés à vue, mais on nous a dit qu'il n'y avait pas de blessé. On pensait qu'ils allaient tous sortir rapidement et qu'ils auraient juste des petits bleus, mais pas que Max était en train de perdre son œil… On nous mentait. Pire, on nous a même inventé une histoire quand une ambulance est arrivée au commissariat. Ils nous ont expliqué que c'était pour quelqu'un qui avait juste fait un malaise. On a finalement appris seulement le lendemain que Maxime avait été opéré en urgence et qu'il allait perdre l'œil.

Les médias ont rapidement commencé à parler des incidents et des premiers articles sont apparus faisant état de violences de notre part sur les policiers et du fait qu'un supporter de Bastia avait été blessé à un œil, mais pas à cause d'un tir de flashball. Le lundi suivant le match, on a même entendu le procureur de Reims dire que c'était à cause de sa chute contre un poteau pendant l'interpellation ! C'est cela qui a provoqué les incidents en Corse. Et quand on pense que toutes les personnes interpellées n'avaient rien fait…

Le tribunal de Reims les a pourtant condamnés le 13 mai dernier non ?
Oui, sur les neuf interpellés, sept ont été jugés en mars à Reims et condamnés à deux ans d'interdictions de stade et à 2000 euros d'amende pour rébellion et outrage envers les forces de l'ordre. Nos membres ont aussi été condamnés à payer 100 euros à chacun des 17 policiers s'étant constitués parties civiles dans le dossier… Comme toutes les caméras de vidéosurveillance n'avaient pas été exploitées, on avait demandé un complément d'enquête, mais il a été refusé pour des raisons qu'on ignore…

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La huitième personne était mineure au moment des faits. Il devait initialement être jugé à Bastia, mais apparemment le parquet de Reims veut finalement qu'il soit jugé là-bas. On attend une date pour son procès. En attendant, il a un contrôle judiciaire qui l'oblige à pointer à la gendarmerie de chez lui à chaque match du Sporting.

Et de votre côté, vous avez aussi porté plainte ?
Concernant Maxime, une enquête a été ouverte pour la blessure de son œil, mais les avancées du dossier se résument pour l'instant à une expertise en balistique demandée par le juge d'instruction en charge de cela et dont on aura normalement les résultats en septembre. On attend de pied ferme les conclusions qui prouveront que c'est bien un tir de flashball car cela donnera une toute autre version à l'affaire…

Sinon, des plaintes ont aussi été déposées contre les policiers présents ce jour là. Pour violences et faux et usage de faux vu que des procès-verbaux étaient truqués et que les policiers ont raconté n'importe quoi dans le récit de la soirée. Et de ce côté là aussi, l'enquête n'avance pas… On ne demande pas à la justice d'être plus gentille, mais qu'elle fasse son travail. Car si des gens de chez vous sont poursuivis, on ne comprend pas pourquoi personne n'a été auditionné chez les policiers. C'est deux poids deux mesures et on ne peut pas l'accepter. Ils espèrent juste que l'affaire va s'essouffler et que la répression policière que nous subissons actuellement va nous décourager…

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Une répression policière, c'est-à-dire ?
Depuis Reims, on subit un véritable acharnement policier. Cinq personnes ont été condamnées (dont un à cinq mois de prison ferme) suite aux incidents survenus à Bastia ou à Corte la semaine suivant Reims-Bastia et six autres ont été condamnées le 11 juillet.

En plus de cela, nous savons que nous sommes sur écoute. Peu de temps après le début de l'affaire, on voulait se rassembler pour aller boire un coup. On s'était donné rendez-vous par téléphone et plein de camions de CRS sont immédiatement allés protéger le commissariat de Bastia. On sait aussi qu'il y a des filatures puisque certaines personnes qui ont été jugées le 11 ont parfois été « tapées » dans les appartements de leurs copines. C'est des points que nous avons abordés lors de notre réunion avec le préfet. Nous sommes juste des supporters, pas des gens dangereux…

L'ensemble de la population bastiaise semble vous soutenir…
Oui, et ça a commencé avec nos élus qui ont jugé notre version des faits crédible puisqu'elle ne variait pas, contrairement à celle du parquet de Reims… La manifestation du 20 février pour demander justice pour Maxime et les autres a réuni plus de 5000 personnes ! Quelque chose d'exceptionnel en Corse. On l'a menée du palais de justice jusqu'à la mairie sans qu'il n'y ait le moindre incident, alors que tous les médias n'attendaient que ça… Cette manifestation a été le point de départ de tout ce qui s'est enchainé derrière avec la création du collectif « Ghjustizia è verità per i nostri » qui rassemble des supporters, mais aussi du monde du milieu associatif local et qui a pris le relais de Bastia 1905, dont le seul objectif est de supporter le Sporting, dans cette affaire.

Image de la manifestation du 20 février. Photo : Facebook Ghjustizia per i Nostri

Et quand une vidéosurveillance qui montre des policiers frapper nos membres, et notamment le mineur alors qu'il est au sol, est sortie, on a presque dit « Alléluia » ! Parce que les gens nous faisaient confiance, mais c'était juste notre version orale contre celle des policiers, on n'arrivait pas à la matérialiser. Là, même si les images sont de mauvaise qualité, on voit clairement ce qu'il se passe. Je crois que le nombre de vues a même dépassé les 300 000. C'est dingue que les journalistes aient pu récupérer la vidéo, on espère qu'il y en aura d'autres…

Vous allez faire quoi maintenant ?
On va continuer à se mobiliser, à occuper le terrain et à agir pour que les sept condamnés soient acquittés, qu'on prouve que les policiers ont menti et qu'on trouve un coupable pour Maxime car pour nous c'est une tentative de meurtre avec un flashball, une arme qui n'a pas pour objectif de maintenir l'ordre, mais uniquement de faire mal. On a d'ailleurs échangé avec des groupes de supporters français sur les moyens d'action pour y parvenir, pour essayer de se battre sur le terrain politique.

Nous aimerions aussi sensibiliser les gens sur les violences policières et aussi sur les problématiques des interdictions de stade administratives ou les interdictions de déplacements qui sont des non-sens démocratiques.

Avez-vous bon espoir que cela aboutisse ?
On en avait un peu la prétention au début, mais ça nous semble malheureusement impossible avec le climat actuel qui règne en France et l'état d'urgence instauré depuis les attentats de Paris… Pour l'anecdote, c'est justement à Reims que Bernard Cazeneuve a montré le nouveau matériel qui va équiper les unités de la Bac partout en France…