Coloc intergénérationnelle
Photos: Luis Alejandro Cuellar pour VICE FR

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société

Ces jeunes Français qui vivent en coloc avec des vieux

Personne ne les a forcés et ils sont très contents.

Pénurie de logements, loyers astronomiques, peur de vivre seul… Pour balayer ces multiples obstacles, certains jeunes choisissent la cohabitation intergénérationnelle solidaire. Lorsqu’ils quittent le foyer familial, ces étudiants ou jeunes actifs décident de s’installer chez un senior, en échange d’une contrepartie financière modeste, ou d’une présence quotidienne.

Plusieurs associations à l’instar du Pari solidaire mettent en relation un jeune et un ancien avant de leur faire signer un « contrat de cohabitation intergénérationnelle solidaire », mis en place par la loi Elan promulguée le 24 novembre 2018. S’il s’apparente à une sous-location, ce type d’hébergement est bel et bien légal. « Le locataire n’a même plus besoin de demander l’autorisation au bailleur de loger quelqu’un chez lui », assure Joachim Pasquet, directeur du réseau national CoSI (Cohabitation Solidaire Intergénérationnelle). Ce groupe de 28 associations peut se targuer d’environ 8 000 créations de binômes en France depuis son lancement en 2004, selon Joachim Pasquet. VICE en a rencontré deux d’entre eux, à Paris.

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Pierre-Yves, 29 ans, vit chez Martine, 66 ans

Le jeune homme vit chez Martine, 66 ans, depuis novembre 2018. Il paye 350 euros par mois pour un appartement de 70 m2 dont sa chambre de 12 m2, dans le 20ème arrondissement de Paris.

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Pierre-Yves.

VICE : Salut Pierre-Yves, tu fais quoi dans la vie ?
Pierre-Yves : Je suis conseiller en évolution de cadres. Je fais aussi du placement à mon compte.

Pourquoi avez-vous décidé de vivre ensemble ?
Pierre-Yves :Je suis originaire d’Angers, je ne connais pas du tout Paris. Je me suis dit que si je vivais avec une personne qui connait la ville, ça pouvait être intéressant. Et quand je suis arrivé, ce qui s’offrait à moi c’était de prendre un 12 m2 à 500 euros. Avec les APL, ça revenait à ce que je paye ici sauf que j’ai 70 m2.

Martine : Je fais ça depuis 2017. Quand j’ai divorcé en 2003, je me suis retrouvée seule dans ce grand appartement. Puis en 2013 je suis partie à la retraite donc je me suis demandé s’il valait mieux que je me rapproche de mes enfants ou prendre un appartement plus petit.

En quoi votre cohabitation est enrichissante ?
Pierre-Yves : On se fait découvrir des choses mutuellement. Martine écoute du jazz, du classique, des musiques que je ne connaissais pas du tout. J’aime bien. Et l’autre fois elle m’a fait rire parce qu’elle a pris un album à la bibliothèque et il y avait écrit « jazz » dessus. Mais c’était le nom du rappeur avec Nekfeu .

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Martine : J’ai toujours aimé la jeunesse et j’ai toujours eu du monde chez moi, j’aime bien l’humain. C’est aussi une petite aide financière parce que mes ressources ont bien baissé depuis que je ne suis plus en activité. C’est le partage. C’est aussi un soutien, une écoute. Quand je suis seule à table, je mange vite. Là, je prends le temps.

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Martine.

Qu'apportez-vous l'un à l'autre ?
Pierre-Yves : Les réseaux sociaux ! Elle fait des super photos et à chaque fois elle me les envoie. J’ai vu sur sa tablette qu’elle avait un compte Instagram mais qu’elle ne savait pas s’en servir. Elle avait 80 followers mais elle ne connaissait pas les gens donc on a fait le tri. Puis je lui ai montré comment mettre des hashtags et des filtres.

Martine : On parle beaucoup des problèmes de société, de culture. On s’échange des musiques sur Facebook. Ça nous arrive aussi de regarder des films ensemble. Je lui ai parlé de Chapeau melon et bottes de cuir, il m’a dit qu’il connaissait donc je suis partie chercher les plus vieux dont même moi je ne me souvenais pas.

Diriez-vous que vous avez tissé un lien presque familial ?
Pierre-Yves : J’ai l’impression de la connaître depuis hyper longtemps. On s’est vite livré sur nos vies respectives et elle me parle beaucoup de ses enfants. Si je devais la considérer comme quelqu’un de ma famille, ce serait une tante.

Martine : Je fais attention à marquer une limite, justement parce que je suis très proche des gens. Il faut savoir se préserver. Je ne suis ni une maman ni une grand-mère.

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« Mais là tu vois si je trouvais un super appart pas cher, j’hésiterais quand même à partir. À cause de la solitude mais aussi parce que c’est Martine » – Pierre-Yves

Pierre-Yves, il y a bien quelque chose qui te manque dans le fait de ne pas vivre seul ?
Pouvoir écouter la musique à fond dans l’appart. Du coup, je mets mon casque. Et puis t’as toujours une part de gêne parce que t’es pas non plus chez toi.

Jusqu’à quand pensez-vous vivre ensemble ?
Pierre-Yves : Quand je rencontrerai quelqu’un avec qui me mettre en couple et avec qui j’aurai envie de chercher un appartement. Mais là tu vois si je trouvais un super appart pas cher, j’hésiterais quand même à partir. À cause de la solitude mais aussi parce que c’est Martine.

Martine : Quand je serai plus âgée, je pense que je me rapprocherai de mes enfants en province. Mais je veux rester active. J’ai beaucoup donné en tant que bénévole et j’ai encore des choses à donner. Ça compte beaucoup de donner du sens à sa vie.

Pierre, 18 ans, vit chez Jean-Pierre, 77 ans

Les parents de Pierre payent 485 euros pour un logement de 80m2 dont sa chambre de 11m2, dans le 15e arrondissement.

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Pierre.

VICE : Salut Pierre, que fais-tu dans la vie ?
Pierre : Je suis étudiant en radio pour devenir animateur. Je suis de Lyon et je suis arrivé à Paris en septembre pour intégrer une école.

C’est la première fois que vous vivez en cohabitation ?
Pierre : Oui, avant j’étais chez mes parents, en garde alternée à Lyon. Je n’avais pas la nécessité de faire de colocation. En arrivant à Paris, il fallait trouver une solution pour me loger. Avec ma mère, on est tombé sur la cohabitation intergenérationnelle sur Internet.

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Jean-Pierre : Moi j’ai commencé en 2006. J’avais entendu parler des difficultés pour les étudiants provinciaux qui viennent à Paris de trouver un logement car les loyers sont prohibitifs.

En quoi cette idée vous a-t-elle plu ?
Pierre : On a trouvé ça intéressant parce que dans les colocations avec les étudiants, on ne sait jamais sur qui on va tomber et c’est parfois borderline. Et je ne voulais surtout pas être seul parce que je déteste ça.

Jean-Pierre : Cela me sécurise parce que ça m’est déjà arrivé de me blesser en étant seul. Quand Pierre s’absente quelques jours, j’ai hâte qu’il rentre. Et en plus ça permet un bon fonctionnement cognitif de pouvoir échanger.

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Jean-Pierre.

Qu’est-ce qui te plait le plus dans le fait de vivre ici ?
Pierre : Le fait qu’il y ait quelqu’un à qui je puisse parler de ma journée, échanger, tous les soirs. On regarde Plus belle la vie ensemble. Cela fait un peu vieux, mais moi j’aime bien et puis ça lui fait plaisir que je regarde avec lui.

Jean-Pierre : La technologie ! Oui, ils sont connectés ces jeunes ! Il m’a montré sa montre connectée la dernière fois. Je reconnais que c’est super mais je ne suis pas prêt à acheter ce genre de choses.

« Il faisait griller du poulet à 7 heures du matin, moi je me réveillais avec l’appartement qui sentait le gras. Après, il allait manger dans sa chambre, ce qui ne me plaisait pas tellement » – Jean-Pierre

Est-ce qu'il y a des choses qui posent problème ou qui vous manquent ?
Pierre : Mes amis parce que j’ai vraiment des relations solides à Lyon. Quand on arrive dans une nouvelle ville, on a parfois le blues donc ça peut me manquer. Sinon, je me sens comme chez moi.

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Jean-Pierre : Je n'ai pas besoin de lui imposer des règles parce qu’il est très bien élevé. Mais, avec Francis*, le Russe [un précédent colocataire, ndlr], il y a eu quelques petits moments de tension parce qu'il venait d'une culture différente. Il faisait griller du poulet à 7 heures du matin, moi je me réveillais avec l’appartement qui sentait le gras. Après, il allait manger dans sa chambre, ce qui ne me plaisait pas tellement.

Avez-vous l’impression de vivre avec un membre de votre famille ?
Pierre : Oui parce qu’il y a vraiment un esprit bienveillant. Au final j’ai l’impression de retrouver un deuxième grand-père ici et ça fait plaisir parce que ce sont eux qui nous apprennent les règles traditionnelles, qui sont valables de nos jours encore.

Jean-Pierre : Oui, c’est un peu comme un petit-fils. Je lui parle de ma sœur, de mes neveux, de mes nièces. Je lui raconte ma vie et il me parle un peu de la sienne.

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Jean-Pierre.

Jusqu’à quand penses-tu vivre en cohabitation intergénérationnelle ?
Pierre : J’aimerais bien rester deux ans, tant que je suis à l’école. Et même après, si je trouve un travail, pourquoi ne pas rester pour ne pas être seul.

Jean-Pierre : Ça fait très longtemps que j’habite ici, j’adore mon appartement. Je resterai tant que les conditions physiques me le permettront. Le jour où je ne pourrai plus, je me retrouverai dans un 2 pièces à Paris avec ascenseur. Je le sais mais il faut se faire une raison.

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* : le prénom a été modifié