Les « gilets jaunes » en V actes

C’est un mouvement comme la France peut parfois en faire naître. Celui-ci est, pour le moment, en cinq actes : d’un côté une partie de la population au bout du rouleau, en quête d’équité et de justice sociale ; de l’autre un gouvernement déterminé à engager des réformes et qui face à la gronde s'est résolu à prendre de timides mesures en faveur du pouvoir d’achat.

Pendant près d’un mois, ces deux mondes se sont fait face, opposés, affrontés. Le photographe Adnan Farzat a suivi les cinq actes de la mobilisation des « gilets jaunes » à Paris et pour VICE, il rend compte de ce qu’il a vu et ressenti.

Pour dire vrai, je me retrouve un peu là par hasard suite au coup de fil d'un ami. Très rapidement, je pressens que ce mouvement sera différent, surtout quand j’aperçois un gars d’extrême droite, que j’avais déjà vu en manifestation, marcher à côté d’un autre gars, d’extrême gauche. « Qu'ils viennent me chercher », disait Macron le 24 juillet. C'est visiblement leur objectif ! Le peuple veut aller à l’Élysée. Les « gilets jaunes » y arriveront après un grand sprint rue du Faubourg-Saint-Honoré. Sur place, l'ambiance est bon enfant. Un conseiller de Christophe Castaner, le ministre de l’Intérieur, sort même du bâtiment pour prendre une photo. La soirée se termine dans le quartier après avoir réussi à faire un barrage filtrant à la Concorde.

Le mot d’ordre est : « Retourner à l’Élysée ! » Mais cette fois-ci, la tâche est plus difficile à réaliser. Lassés de se faire gazer à la lacrymo, des manifestants érigent des barricades sur les Champs-Élysées. La « plus belle avenue du monde » prend dès lors un autre visage. Certains manifestent pour la première fois et on retrouve la France dans toute sa diversité. Peu importe les origines sociales, c'est leur ras-le-bol qui les unit. Les visages sont découverts et les personnes se laissent photographier, chose inhabituelle dans ce genre de contexte. Un couple de quinquagénaires me demande, interloqué, si toutes les manifestations sont comme ça à Paris. La soirée se termine sur l'avenue de la Grande-Armée en flammes.

Ce jour-là, n'ayant pas de carte de presse, je galère à rentrer sur la place de l’Étoile. J'arrive par le métro Courcelles et je sens déjà la lacrymo dans l'air. Je papote avec un gars venu de Picardie qui a déjà perdu ses amis. Après de nombreuses tentatives, j'y accède enfin en me faisant discret pendant une altercation. L’ambiance est lunaire. Il y a de la lacrymo partout sur la place, des flammes avenue Foch. Sur l'avenue de la Grande-Armée, des manifestants exaltés, puis exténués, tiennent tête aux forces de l'ordre. Des stratégies, et autres tactiques de résistance, se mettent naturellement en place. Le rapport de force est inversé, les manifestants prennent le dessus. Je rentre chez moi en me demandant réellement comment sera l'acte IV.

Encore une fois, il m’est difficile d'accéder aux Champs-Élysées. Cette fois-ci, un grand dispositif sécuritaire est en place et les flash-balls sont de sortie. Je me fais braquer au bout de 30 minutes. Dix minutes plus tard un manifestant est touché à l’œil. Difficile de travailler, les policiers sont sous tension mais c'est eux qui mènent la danse. La journée est longue et la soirée se termine par une nasse au parfum de lacrymogène.

Malgré le froid, la pluie et les nombreuses dissuasions, certains manifestants reviennent sur les Champs-Élysées. Leur mot d'ordre est de « ne pas lâcher ». Mais le mouvement semble bien éteint en ce cinquième samedi de mobilisation. On oublierait presque que la vraie force du mouvement se situe sur les ronds-points, en province. Certes, à Paris, les politiques ont réussi à faire baisser le feu et à mettre un couvercle sur la casserole mais le mécontentement des « gilets jaunes » mijote encore…

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