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Musique

Christine and the Queens nous raconte comment l’obscurité a nourri son nouvel album

« Quand je réfléchissais à l’album, qui parlait beaucoup d’histoires de peau, de désir, d’abandon, je voulais un son hyper expressif et charnel. Je ne voulais pas du vintage, mais des sons qui étaient surexcitants. »

En 2014, le premier album de Christine and the Queens, Chaleur humaine, a attiré les louanges de vedettes comme Madonna et a amenée Héloïse Letissier, la chanteuse et productrice française derrière le projet, à se produire partout dans le monde. Quatre ans plus tard, les éloges pour son mélange de musique électronique et de pop atypique et psychédélique sont toujours au rendez-vous, et les radios ne se lassent pas de ses hits.

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Depuis quelques mois, Letissier affiche un nouveau look, plus androgyne, et se fait simplement appeler Chris. Si cette métamorphose en a confus plusieurs, pour elle, c’était simplement une évolution naturelle et plus assumée du personnage. Son deuxième album, Chris, aux sons plus matures et aux références plus obscures, l’amène sur des thèmes viscéraux comme le désir et le pouvoir.

Récemment de passage à Montréal, VICE lui a parlé d’obscurité, de contre-culture et d’éthique de travail.

VICE : Salut Chris! Ton premier album a été écrit dans ta chambre, et le deuxième dans ta cave. Est-ce qu’il te fallait cette obscurité pour compléter cette métamorphose?
Chris : Oui! Mais c’est surtout simplement que j’ai déménagé. Je suis arrivée dans un endroit avec une cave où je pouvais faire de la musique jusqu’à 4h du mat’ sans gêner personne, donc c’était trop bien!

Et c’était cool de pouvoir travailler cet album-là dans un endroit où personne n’entendait, vu que je faisais des chansons plus uptempo, où ça y allait plus dans le chant. Y’a plus de chaleur et d’ampleur, sur cet album; ça prend plus de place. Ça faisait du bien d’être dans la cave, ça faisait un peu ‘batcave’.

Qu’est-ce qu’il te faut dans ton studio, pour être confortable? Allumes-tu des chandelles? As-tu un rituel avant de commencer à enregistrer?
J’adorerais être ce genre de personne là, parce qu’ils m’ont l’air d’avoir leur shit together! Mais moi, j’avoue que j’ai pas trop besoin de ça, je ne réfléchis même pas. J’ouvre mon ordi et mon logiciel et je commence. J’adore que ça soit épidermique et qu’il n’y ait pas de côté trop solennel, parce que c’est tellement instinctif, la musique. J’ai tendance à trop penser à tout dans la vie, et la musique est le seul endroit où j’arrête de réfléchir.

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Que fais-tu pour te relaxer? As-tu une routine de self-care ?
Le truc universel que tout le monde va pouvoir comprendre, c’est le moment de la douche. Une bonne douche, trop longue; et d’ailleurs ce que je dis, c’est terrible pour la planète, je m’en excuse. Mais parfois une bonne douche un peu trop longue et très chaude, dans laquelle tu t’abandonnes pour un instant, c’est bien. Aussi, je suis assez solitaire, donc j’aime bien m’assurer que j’ai des moments où je peux être un peu toute seule. J’ai besoin d’une heure par jour où je ne parle pas, où je suis seule. C’est du self-care, ça aussi.

Tu viens d’une famille de professeurs; qu’est ce que tu espères apprendre à ton public?C’est une question philosophique : est-ce que la musique doit enseigner quelque chose? Moi, j’aime bien penser que c’est plutôt un indice de quelque chose. Parce que d’ailleurs, quand je pense à chez mes parents, avec tous les bouquins et les films, il y avait de la transmission, mais c’était par des indices. Tu lis un livre et il y a un indice de liberté, et ça allume quelque chose en toi. Ce que je trouve magnifique, dans l’art, c’est quand ça déclenche quelque chose. Après, c’est toi qui fais le travail. Mais un clip de David Bowie comme Life on Mars, il a du fard à paupières bleu, et tu comprends qu’il y a un indice de liberté. Ou tu vas voir une peinture et c’est un autre indice. Donc j’aime bien les moments où quelqu’un te laisse un indice de quelque chose qui te fait dire « Ah, je peux peut-être faire ça! »

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J’ai entendu dire que t’es une fan de voguing, qu’est ce que ça t’a appris?
C’est très beau le voguing, et quand c’est né, il y avait un discours de résistance; un discours politique très fort. C’était l’art d’une minorité, aussi. Ç’a donné du pouvoir et de la puissance à ceux qui en manquaient, et ça donne de la voix à ceux qui n’en ont pas.

Il y a un côté aussi où on récupère une culture dominante pour en donner une lecture politisée, et ça je trouve que c’est hyper beau. Je n’en utilise pas tout le temps, parce que ça serait de l’appropriation, mais j’aime l’idée de la contre-culture, et même la pensée queer. C’est un questionnement constant de la norme, et ça m’a sauvé en tant que jeune fille queer, de me dire « Ce n’est pas moi le problème, je ne suis pas malade, pas sale, c’est simplement que ma façon d’exister est différente. » Ça résonne au-delà des gens impliqués dans cette culture, parce qu’il y a une vraie notion d’ empowerment, qui peut fonctionner pour beaucoup de gens. Le côté « You Own Everything », ça, c’est une phrase magnifique.

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Tu dis avoir été influencée par Dangerous, qui n’est pas le premier album auquel on pense lorsqu’il est question de Michael Jackson, qu’est ce qui t »a attiré dans cet album là?
Parce que c’est un des albums préférés de Michael. Je trouve qu’il vieillit hyper bien, et en plus en termes de production, je le trouve génial. C’était l’époque Teddy Riley, le début du sampling, et il y a un côté hyper imagé, presque cartoon. Il y a la chanson She Drives Me Wild, et ça commence avec le son d’une bagnole qui démarre, je trouve ça hallucinant. Et les beats sont construits avec des bruits de trucs qui se cassent, il y a toute la ténacité des débuts du sampling, un groove de malade!

Ce n’est pas l’album le plus pop, peut-être, mais c’est l’album le plus moderne et qui vieillira peut-être le mieux. Mais en fait quand je réfléchissais à Chris, l’album, qui parlait beaucoup d’histoires de peau, de désir, d’abandon, je voulais un son hyper expressif et charnel. J’avais pris Dangerous comme inspiration, du G-Funk, du Jimmy Jam et Terry Lewis. Je ne voulais pas du vintage, mais des sons qui étaient surexcitants. Dangerous me surexcite, j’ai envie de faire 10 000 choses, quoi.

J’avais aussi des références qui ne sont peut-être pas évidentes, mais pour le côté très expressif et cartoon, je pensais beaucoup à Eminem, aussi. Ce qui fait que les chansons d’Eminem surexcitent, pour moi, c’est que c’est très illustratif. Il parle de jouir, et il y a le son d’une meuf qui gémit; « je lui ai donné un coup » et ça fait « paf! » Je voulais ce truc de super cartoon qui rend un peu fou, et tous ces sons-là, j’avais envie de les prendre.

T’as une éthique très D.I.Y., mais est-ce qu’il y a un truc pour lequel tu ne te fais pas confiance?
Je vais dire un truc qui va être très bizarre, mais c’est un mélange de ne pas avoir confiance du tout et d’extrême confiance. Il y a toujours un rapport de « j’ai peur, et en même temps ça m’excite ». Même quand je produisais l’album, quand je danse, quand je fais de la scénographie, il y a toujours ce côté de « wow, ça va être génial! » et de « oh mon Dieu, je suis terrifiée! », et du coup, ça marche bien. Il y a ces deux constants, ce qui me rend épuisée mais ravie!

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