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Drogue

Aux États-Unis, c’est le moment idéal pour devenir trafiquant de weed

La légalisation du cannabis a nui au marché noir au sein des États américains, mais a ouvert davantage de possibilités aux passeurs transfrontaliers.
Sandra  Proutry-Skrzypek
Paris, FR
Aux États-Unis, c’est le moment idéal pour devenir trafiquant de weed
Photo illustration par Lia Kantrowitz 

Mark* a quitté le Michigan pour l’Oregon il y a deux ans, avec l’intention d’intégrer le marché légal du cannabis. Comme beaucoup d’anciens du secteur, il avait commencé à cultiver de l’herbe pour aider des proches malades. Il envisageait de demander un permis de culture de cannabis à des fins médicales pour pouvoir en vendre à des dispensaires locaux.

Le changement de rythme s’annonçait radical pour ce vétéran de l'armée américaine qui a passé la majeure partie de la décennie passée à cultiver illégalement de la weed – il a même fait de la prison pour ça. Mais quelques mois après son installation dans le nord-ouest du Pacifique, les lois de l’Oregon ont changé, demandant aux dispensaires médicaux de payer des taxes ou de transitionner vers un modèle récréatif. Avant de procéder à sa première récolte, Mark ne disposait que de très peu d'options pour la vendre. C’était sans compter les quelques restrictions réglementaires qui ne lui ont pas été favorables. « Je n’avais aucune marge de manœuvre, déclare Mark. La légalisation a rendu cette industrie assez moche pour moi. »

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Après avoir lutté pour rejoindre le marché légal, Mark a abandonné ses efforts. Il a vendu l’essentiel de ses plantes (passant de 120 à seulement six) et distribue sa weed grâce au bouche-à-oreille. Il ne fonctionne plus en kilos, mais en portions individuelles. « J'essaie de rester le plus possible dans la légalité », explique-t-il. Depuis, il envisage de quitter complètement l’industrie pour s’installer dans un État du Midwest et créer une exploitation de chanvre – moins dangereux que le cannabis sur le plan juridique.

Depuis que la légalisation est entrée en vigueur dans certains États américains (avec une mosaïque de réglementations locales), certains producteurs comme Mark ont complètement été mis à l’écart de l'industrie. D'autres, aux prises avec des prix au détail et une sursaturation du marché, sont retournés dans l'ombre. Alors que la prohibition se glisse plus loin dans le rétroviseur d’Etats pionniers de la légalisation tels que Washington, le Colorado et l’Oregon, la forme et la portée de leurs marchés illégaux ont commencé à changer. Selon les experts, la weed légale a mis un sacré coup aux marchés internes illégaux des États, mais la légalisation a contribué à bien des égards à une augmentation du trafic de cannabis inter-États.

« Nous sommes devenus un État source, un théâtre d'opérations pour des organisations internationales sophistiquées de trafic de drogue et de blanchiment d'argent de Cuba, de Chine, du Mexique et d'ailleurs », a déclaré Bob Troyer, procureur pour le district du Colorado, au Denver Post en septembre dernier. Selon lui, la « commercialisation » du cannabis par l'État devrait être « suspendue ».

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Troyer a critiqué la « structure réglementaire permissive » de l’État pour avoir permis un certain nombre de conséquences négatives, allant de la sécurité publique à l’environnement, en passant par la création d’un « marché noir en plein essor ». En 2017, l’industrie réglementée de l’État a produit 6,4 tonnes de cannabis « non comptabilisées », et plus de 80 000 « plantes issues du marché noir » ont été récupérées sur des terres fédérales au sein de l’État.

Troyer travaille pour le bureau du procureur américain depuis 14 ans et, dans une interview, il a déclaré que le nombre et l'ampleur des saisies signalées de plantes et de produits de cannabis – via les patrouilles routières, les inspecteurs postaux, les forces de l'ordre locales, etc. – ont considérablement augmenté après la légalisation.

« Tout a explosé à un degré difficile à quantifier. Et rien de tout ça n’existait à cette échelle avant l'amendement 64 », a-t-il déclaré, faisant référence au référendum de 2012 qui a légalisé la consommation de cannabis par des adultes.

Le Colorado n’est pas seul dans cette lutte. En août, les procureurs fédéraux de l'Oregon ont inculpé six personnes pour trafic de cannabis dans le cadre d'une « vaste » opération. Le cannabis cultivé dans l'État a ensuite été envoyé au Texas, en Virginie et en Floride. Une augmentation des saisies de cannabis à grande échelle dans les États du Midwest indique également une légère hausse du trafic international, selon les autorités. « Le marché illicite a deux dimensions : l’une est la consommation de produits cultivés illicitement ; l’autre est l’exportation vers des États où ils sont illicites », explique Mark Kleiman, professeur de politique publique à l’université de Ne York.

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Dans la plupart des États où le cannabis est légal, le marché illégal a lentement diminué. Dans le Colorado, de solides campagnes d'éducation du public, des fonds pour l'application de la loi et des prix de vente au détail compétitifs ont contribué au succès de l'industrie réglementée, selon Kristi Kelly, directrice générale du Marijuana Industry Group. Si une recherche rapide dans Craigslist – où de nombreux services de livraison sans licence font de la publicité – montre que de nombreuses personnes tentent encore d’exercer de manière illicite, la plupart des consommateurs de cannabis du Colorado choisissent désormais d’acheter leurs produits par des voies légales. « En termes simples, la croissance des marchés légaux se fait au détriment des marchés illégaux », déclare Kelly.

Le lieutenant Andrew Howard a déclaré dans un communiqué de presse vidéo en septembre qu'après la légalisation, les flics ont vu une augmentation considérable du nombre de plaintes de citoyens concernant des cultures illégales. Étant donné que les résidents sont légalement autorisés à cultiver jusqu'à 12 plantes chez eux, les enquêtes sur ces allégations peuvent prendre beaucoup de temps pour les forces de l'ordre. « Une simple odeur ne nous permet pas d’obtenir un mandat de perquisition. Il faut donc du temps aux détectives pour déterminer s’il se passe quelque chose d’illégal dans une résidence donnée », explique Howard.

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En fin de compte, la plupart de ces plaintes mènent bel et bien à la découverte de cultures illégales. En plus des résidents de l’État, de nombreux producteurs illégaux se sont installés dans le Colorado à cette fin et envoient ensuite leurs produits – via la poste ou des coursiers – à des États comme New York, où les producteurs peuvent « tripler ou quadrupler » leurs bénéfices. « Après la légalisation, nous avons constaté une augmentation du marché noir parce que le cannabis est expédié en dehors de l'État », poursuit Howard. Selon les experts, de nombreuses raisons peuvent expliquer l'augmentation du trafic entre États. D'une part, l'abondance de licences délivrées par les États a permis aux opérations illégales de se cacher plus facilement, et tandis que les opérateurs sont tenus de travailler dans le cadre d'un programme de suivi et de localisation destiné à garder un œil sur chaque plante cultivée, certains ont appris à tromper le système. Il y a ensuite le volume considérable de cannabis cultivé dans ces États, ce qui a entraîné une surabondance de l'offre sur le marché illégal. Par exemple, dans l'Oregon, les cultivateurs sont capables de produire environ 1 million de kg de weed par an, mais la demande de consommation ne dépasse pas les 170 000 kg par an, selon un rapport publié en août par une coalition d'agences gouvernementales. (Il convient de noter que ce rapport a fait l’objet de controverses et que la plupart de ses données ont été critiquées par les autorités locales et les professionnels du secteur.) À Washington comme au Colorado, il semble que la culture illégale ait augmenté après la légalisation. Lorsque toute croissance était illégale, il était plus facile d'attirer l'attention des forces de l'ordre ; maintenant qu’elle est légale et que les licences sont abondantes, ces opérations non autorisées sont plus difficiles à repérer. « Une culture illégale ressemble beaucoup à une culture légale », remarque Kleiman.

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Mais arrêter le trafic ne consiste pas seulement à flairer et fermer des opérations illégales. Les produits légalement développés ou vendus peuvent prendre un virage à gauche de plusieurs façons. Tout d’abord, si les prix au détail sont suffisamment bas, les consommateurs ordinaires peuvent acheter du cannabis puis le revendre illicitement, selon Steven Davenport, chercheur adjoint en politiques à la RAND Corporation et étudiant au doctorat en analyse des politiques à la Pardee RAND Graduate School. Plus tôt cette année, la Commission de contrôle de l’alcool de l'Oregon, qui supervise les ventes de cannabis dans l'État, a réduit la limite d'achat de cannabis à des fins médicales de 680 à 30 grammes par jour pour tenter d'enrayer la distribution illégale par les gros acheteurs.

Les producteurs de weed peuvent également tromper le système de suivi en ne saisissant pas correctement les données, en simulant un cambriolage, ou en réclamant la perte d'un important lot de mauvaises récoltes. Bien que de nombreux indicateurs permettent de juger du succès de la légalisation – augmenter les recettes fiscales et empêcher les mineurs de fumer de la weed, entre autres – toute activité illégale persistante ne devrait pas être considérée comme un « échec cuisant », selon Davenport.

Davenport avance en outre que certaines bandes organisées impliquées dans le trafic illégal de cannabis pourraient simplement se concentrer sur d'autres « activités génératrices de revenus illicites » dans le cadre de la légalisation. Les organisations professionnelles de trafiquants de drogue sont en mesure de « diversifier de manière stratégique » leurs sources de revenus. Ainsi, bien qu'elles puissent être affaiblies par la légalisation, cela ne les mettra pas en faillite. Toutefois, pour les petits exploitants, comme les lycéens et étudiants qui vendent de l'herbe pour arrondir leurs fins de mois, la légalisation pourrait bien les obliger à quitter complètement le marché illégal.

Davenport déclare que la plupart des experts du marché de la drogue ne s'attendent pas à l'éradication complète du marché illégal. Le trafic inter-États ne diminuera vraiment que si la légalisation du cannabis se démocratise. « Il est difficile d'imaginer un marché noir florissant sous la légalisation fédérale », conclut-il.

*Le nom a été changé.

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