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Des scientifiques vont « scanner » les pyramides égyptiennes pour percer le mystère de leur construction

Plusieurs techniques combinant lasers, drones ou infrarouge vont être utilisées pendant un an sur quatre pyramides d’Égypte, dont la plus grande, Kheops.
Présentation de la mission ScanPyramids (Crédits Institut HIP)

Le gouvernement égyptien a annoncé ce dimanche qu'il autorisait un projet inédit mené par des scientifiques internationaux. Ils vont « scanner » pendant une année quatre pyramides égyptiennes et ainsi établir une radiographie détaillée de ce qu'elles renferment, sans avoir à percer le moindre trou. Ce projet pourrait notamment aider les historiens et les égyptologues à mieux comprendre comment elles ont été construites — un mystère qui n'a toujours pas été résolu.

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Le projet est piloté par une association française à but non lucratif, HIP Insitute (Héritage, Innovation, Préservation), en collaboration avec la Faculté des ingénieurs de l'Université du Caire. Dans le cadre de ce même projet, le gouvernement égyptien a également demandé aux scientifiques d'examiner le tombeau de Toutânkhamon. Depuis plusieurs semaines, on soupçonne que ce tombeau cache également la sépulture de Néfertiti.

Mehdi Tayoubi est le président et le co-fondateur du HIP Institute. En 2005, il avait déjà participé à la simulation en 3D d'une hypothèse de construction de la grande pyramide de Kheops, et en 2010 à la modélisation du plateau de Gizeh, tel qu'il était il y a 4 500 ans, à partir d'archives de l'université d'Harvard. En 2010, une collaboration avec l'ancien ministre des antiquités égyptien Zahi Hawass l'avait également mené à participer au projet du robot Djedi, pour explorer les conduits de Kheops.

VICE News l'a contacté ce lundi en milieu de journée afin de mieux comprendre comment il allait « scanner » des pyramides.

VICE News : Comment est né ce projet ?

Mehdi Tayoubi : Il est né de plusieurs rencontres. Cela fait une dizaine d'années que je travaille sur la problématique de l'utilisation des technologies pour le patrimoine égyptien. Il y a deux ans, j'ai rencontré le professeur Hani Halal [ndlr, de la Faculté des ingénieurs de l'Université du Caire], et nous avons eu envie de travailler au développement de la collaboration entre les archéologues et les ingénieurs. Nous nous sommes dit qu'il fallait créer une entité d'intérêt général, à but non lucratif, et nous avons donc décidé de créer l'institut HIP.

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Nous avons réfléchi selon une double logique. Mettre à la fois l'ingénierie au service du patrimoine, mais aussi en sens inverse : se demander en quoi le patrimoine et les problèmes qu'il pose peuvent servir à améliorer la technologie. Pour nous, le patrimoine est une manière d'inventer de nouvelles méthodes d'ingénierie.

Avec la faculté des ingénieurs de l'université du Caire, nous avons ainsi travaillé depuis deux ans pour trouver les meilleurs spécialistes, et nous avons mis en place un dispositif, qui, pour simplifier, permet de « scanner » une pyramide. Ce dispositif regroupe différentes méthodes qui permettent de voir à travers la pierre.

Bande Annonce Mission ScanPyramids Version Française from HIP Institute on Vimeo.

Vidéo de présentation de la mission (Crédits Institut HIP)

Ce n'est pas la première fois que l'on cherche à savoir ce que renferment les pyramides. En quoi cette mission diffère des précédentes ?

La grande nouveauté c'est le nombre de techniques mises en œuvre au même moment, et le fait que l'on travaille sur les quatre pyramides de l'Ancien Empire égyptien : Kheops et Khephren, sur le plateau de Gizeh près du Caire, ainsi que la pyramide Sud, dite « rhomboïdale », et Nord, dite « pyramide rouge », sur le site de Dahchour.

C'est une mission de grande ampleur par son interdisciplinarité, mais ce n'est pas la première mission dite « non invasive ». En 1986, la fondation EDF avait mené une mission de microgravimétrie (mesure de la densité) sur la pyramide de Kheops. C'est à ce moment que l'on avait détecté une spirale de moindre densité à l'intérieur de la pyramide, qui témoignerait, pour certains, des restes d'un gradin ayant servi à la construction de la pyramide. En 1987, des Japonais avaient également déployé un radar, et détecté des anomalies près du couloir qui mène à la chambre de la reine. Mais 30 ans plus tard, les technologies ont fait des bonds phénoménaux.

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Quelles technologies allez-vous utiliser pour « scanner » ces pyramides ?

La première c'est la thermographie, qui sera réalisée avec des équipes canadiennes. On arrive aujourd'hui à mesurer des écarts de température très faibles, et ceux-ci seront observés sur une longue période. Si une cavité se trouve à proximité de la paroi, on captera des échanges thermiques différents que si la pierre était pleine. On arrive ainsi à obtenir une image, une radiographie.

L'autre méthode, ce sont les Muons, développée par des scientifiques japonais. Toutes les secondes nous sommes traversés par des milliers de particules élémentaires qui arrivent de la stratosphère, les muons. Plus ils traversent des zones denses, plus ils vont être absorbés. Donc en les captant, on sait détecter s'ils ont traversé des zones plus ou moins denses. Grâce à cette technique, les Japonais ont démontré qu'ils pouvaient voir à l'intérieur des volcans, par exemple.

Enfin, la troisième méthode, c'est une campagne de mesure — la plus précise jamais réalisée — à partir de vues aériennes prises par des drones, et de scanners lasers déployés à l'intérieur de la pyramide. Cela va nous permettre de reconstituer le plateau de Gizeh et de Dahchour de la façon la plus exacte possible. Ce modèle 3D sera mis à la disposition de tous en open data. Et nous viendrons projeter les résultats thermographies dans ce modèle 3D.

Présentation de la technologie basée sur les Muons pour la mission ScanPyramids (Crédits Institut HIP)

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À quelles questions espère-t-on répondre grâce à cette mission ?

Il existe aujourd'hui plusieurs hypothèses sur la construction des pyramides, cette mission peut donc permettre de résoudre le mystère de leur construction. Elle peut aussi permettre de découvrir des cavités encore inconnues, ou des nouveaux couloirs, qui généreront de nouvelles hypothèses. Mais ce sera aux archéologues et aux historiens d'apporter leurs conclusions par rapport aux données que nous leur fournirons. Nous, nous sommes dans une hypothèse de neutralité par rapport aux théories.

Comment se déroulera la mission ?

La mission comprendra en moyenne une vingtaine de personnes sur place. Elle démarrera en novembre, et va durer un an. Nous avons testé les modèles théoriques mais nous savons que le terrain va nous réserver quelques surprises, qui nous demanderont d'adapter nos protocoles, c'est pourquoi nous avons besoin d'une année.

La mission est financée par du mécénat d'entreprises privées, sous forme de fonds mais aussi de contributions en termes d'apports technologiques, par exemple.

Ces techniques pourraient-elles permettre de sonder d'autres monuments ?

Ce sera le cas, ce dimanche le ministre égyptien des antiquités Mamdouh el Damatti nous a aussi demandé d'intervenir sur la tombe de Toutânkhamon, afin de vérifier la présence de la sépulture de Néfertiti [ndlr, cette hypothèse a été soulevée pour la première fois au début du mois d'octobre]. Nous allons également y mettre en oeuvre la technique de thermographie. Pour le moment, nous nous concentrons sur ce projet, mais il est vrai qu'à terme nous pourrions imaginer intervenir ailleurs, et même dans d'autres pays.

Suivez Lucie Aubourg sur Twitter : @LucieAbrg