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FRANCE

La France se demande s’il faut punir les prostituées ou leurs clients

Le Sénat se penche sur une proposition de loi ce lundi et ce mardi. Tout l’enjeu est de savoir si l’on conserve le système qui pénalise les travailleuses du sexe ou si l’on punit les clients.
Image via Wikimedia Commons / Grelaodk4

Ces lundi et mardi, les sénateurs français examinent la proposition de loi « renforçant la lutte contre le système prostitutionnel ». Ils débattront notamment de la pénalisation des prostituées et/ou de leurs clients. Les députés et les sénateurs ne sont pas d'accord. L'Assemblée nationale a d'abord adopté en première lecture une proposition de loi, socialiste, qui vise à pénaliser les clients, à la place des prostituées. La majorité des sénateurs, la haute chambre du système politique français, pourrait vouloir exactement l'inverse : punir uniquement le racolage, comme c'est le cas depuis la loi de 2003 mise en place par Nicolas Sarkozy, à l'époque ministre de l'Intérieur.

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De nombreuses associations et personnalités politiques s'opposent sur ces deux approches possibles. Il existe un consensus général pour améliorer le sort des prostituées, ou du moins les sortir de la rue, mais de sérieux désaccords perdurent sur la solution à mettre en place. D'un côté, un bloc se dessine : le gouvernement, l'Assemblée nationale et de nombreuses associations. Ils dénoncent l'approche actuelle de la prostitution, celle qui pénalise donc les prostituées. Selon eux, elle isole et précarise les travailleurs et travailleuses du sexe — des femmes à plus de 80 pour cent, et des étrangers à 90 pour cent. De l'autre côté on se refuse à rendre le client pénalement responsable.

Finalement, le texte qui sortira du Sénat pourrait rétablir le délit de racolage et supprimer de la proposition la pénalisation des clients. Le 8 juillet 2014, lors d'un précédent passage du texte, en commission spéciale au Sénat, le président de la commission, le socialiste Jean-Pierre Godefroy, avait déjà supprimé cette pénalisation des clients. Tout récemment, le nouveau président de cette commission spéciale, l'UMP Jean Pierre Vial, a déposé un amendement qui rétablit le délit de racolage, une décision accueillie favorablement par la commission.

Grégoire Théry est membre du Mouvement du Nid, une association qui vient en aide aux prostituées et prône l'abolition de la prostitution. Interrogé par VICE News ce lundi, il explique que cette décision des sénateurs est une grande déception.

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« Nous avons passé 16 mois à travailler sur la loi pour, au final, revenir à la case départ. Il faut que la pression pénale pèse sur le client et le proxénète, pour que les prostituées puissent dénoncer les mauvais traitements à la justice, sans avoir peur. »

Il prend en exemple certains pays, comme la Suède : « Dans ces pays qui pénalisent les clients, les écoutes policières montrent que les réseaux proxénètes quittent les lieux. Ils disent que le marché est mort. »

Le docteur Axel Kahn, membre du Comité consultatif national d'éthique et cosignataire de la tribune « Dépénaliser les prostitué(e)s, pénaliser les acheteurs de sexe ! », est tout aussi déçu.

Il explique à VICE News que pour lui le fait de punir les clients a une valeur « pédagogique » et indique « qu'on ne peut acheter un acte sexuel comme une baguette de pain ». Il qualifie la décision des sénateurs de « machiste et réactionnaire ».

Le sénateur Jean-Pierre Godefroy disait vouloir supprimer la pénalisation des clients, justement pour protéger les personnes prostituées. Il estimait que le fait de punir les clients pouvait « isoler socialement » les prostituées, en les faisant exercer dans des lieux plus éloignés, ou en augmentant les exigences des clients.

Entre la pénalisation des clients ou celle des prostituées, d'autres acteurs du débat ont une position plus radicale : ne rien interdire. Le Strass (Syndicat du travail sexuel), estime que toute forme de pénalisation est néfaste pour les prostituées. Morgane Merteuil, porte-parole du Strass jointe ce lundi par nos soins, dit qu'il faut « tout dépénaliser ».

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« Dans sa première version ou dans l'autre, cette loi n'allait rien changer. Sur le terrain, c'est la même chose : les prostituées devront toujours plus se cacher et travailler dans des conditions toujours plus précaires. Pénaliser les clients, ce n'est pas dans l'intérêt des prostituées. Le seul objectif de toutes ces lois, c'est de virer les putes des rues. »

Pour Morgane Merteuil l'enjeu des politiques est aussi ailleurs. « À travers la chasse aux prostituées on fait la chasse aux sans-papiers. L'UMP comme le PS pratiquent la même politique répressive envers les sans papiers. »

Certains points du texte font l'unanimité, notamment le fond destiné à accompagner les personnes qui veulent sortir de la prostitution et se réinsérer. Pour Grégoire Théry, du Mouvement du Nid, le débat se focalise trop sur la question de la pénalisation et délaisse la question de l'aide sociale : « Le véritable travail de fond, c'est l'aide et l'accompagnement. » Le gouvernement pourrait s'engager à financer à hauteur de 20 millions d'euros par an de telles mesures d'accompagnement. Les amendes payées par les clients pourraient participer au financement de ces fonds si leur pénalisation est finalement l'option retenue.

Après ces deux jours de débat, un nouveau texte sera proposé par le Sénat, l'Assemblé nationale peut ensuite décider de prendre en compte ou non ces modifications.

Suivez Matthieu Jublin sur Twitter @MatthieuJublin

Image via Wikimedia Commons / Grelaodk4