Jeux vidéo, club culture
Illustration jpl ; Commodore Amiga

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Music

Les jeux vidéo et la club music ont toujours été intimement liés

Entre « Wip3out » et The Black Madonna qui a lancé un morceau en avant-première dans « GTA V », les liens qui unissent la musique électronique aux jeux vidéo ne datent pas d’hier.

J’adore les grosses lignes de basse. Du genre de celles qui font tellement cracher les haut-parleurs que le dancefloor se met à trembler de part et d'autre du club. Des lignes de basse qui font boom, boom, boom et sont si fortes qu’elles font penser à une extension de votre rythme cardiaque, sauf qu’en deux fois plus rapide que celui habituel.

J’ai ressenti ça récemment en allant voir les producteurs japonais Yuzo Koshiro et Motohiro Kawashima. Difficile de ne pas esquisser un large sourire lorsque je me souviens de cette nuit-là : leur arsenal de techno, de house et de dance qui oblige les gens à lever les bras en l’air et à sauter partout ; le club ne faisant qu’un avec la musique. J’avais l’impression de revivre mes années universitaires, debout au milieu du dancefloor tout collant de l'emblématique Sankays à Manchester.

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Mais il y a une petite différence. Ces deux DJs qui y jouent ne sont pas des DJs, ou du moins ce n’est pas ce pour quoi ils sont le plus connu. Ce sont en fait des compositeurs de musique de jeux vidéo, et le mélange éclectique de dance music qu’ils jouent provient d’une série de jeux intitulée Streets of Rage, dont le premier jeu est sorti sur Sega Megadrive en 1991. Et maintenant ils rejouent donc les musiques de ce jeu dans des festivals comme Sonar, dans des clubs comme Fabric ou encore, comme j'ai pu le voir, à la Gaîté Lyrique à Paris.

Les industries de la musique et des jeux vidéo sont en fait semblables aux deux faces d’une même pièce. Elles rebondissent l’une et l’autre tel Sonic coincé entre les bumpers du niveau Casino Night Zone (n’oublions pas que Michael Jackson a écrit la majorité des musiques de Sonic 3). « Kernkraft 400 » de Zombie Nation tire en fait sa fameuse ligne de synthé d’un jeu appelé Lazy Jones sorti en 1984. Un jeu Wolverine sorti sur SNES en 1994 crachait des beats grime avant même que la grime ne devienne un vrai style, et n’oubliez pas la collaboration entre le développeur The Bitmap Brothers et Tim Simenon (Bomb the Bass) qui ont retravaillé le tube dance « Megablast » de 1988 pour en faire le thème musical de Xenon 2 : Megablast sur Amiga et Atari ST. Il y a sûrement plein d’autres exemples, de plus en plus jour après jour.

Tout ça a en fait commencé dans les années 1980 et 1990, une période charnière à la fois pour la house et la techno et les musiques de jeux vidéo, lorsque les progrès technologiques ont permis aux compositeurs, aux musiciens et aux producteurs d’utiliser de nouveaux types de hardware et de logiciels avec lesquels ils ont pu expérimenter. La puce SID à l’intérieur de l’ordinateur Commodore 64 était révolutionnaire et a permis à des compositeurs comme Rob Hubbard de réinventer leur musique, pendant que le Commodore Amiga fournissait les outils afin d’aider toute une génération de producteurs à façonner le futur des musiques rave et jungle. Jusque-là, la production de musique électronique exigeait de l’argent et du matériel, et le Commodore Amiga se révélait être la plus rentable des solutions de studio tout-en-un.

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« Les choses auraient été complètement différentes sans le Commodore Amiga », explique Brian Johnson, mieux connu sous le pseudonyme Bizzy B. Beaucoup le considèrent comme le parrain du breakbeat hardcore et de la drum’n’bass, responsable de la transition du hardcore vers la jungle. Bizzy B s’est servi du Commodore Amiga pour composer une grande partie de sa musique et son label, Brain Records, cherchait des artistes qui en faisaient de même.

« Cela m’a permis d’avoir une porte d’entrée dans le monde de la musique, dit Brian Johnson. Je n’aurais pas pu me permettre d’acheter un studio d’enregistrement ; je n’aurais pas pu m’entraîner à la production musicale et faire passer ma musique à un niveau supérieur sans le Commodore Amiga. Je suis sûr que beaucoup d’autres personnes dans la même situation que moi ont utilisé l’Amiga pour gravir les échelons au sein de l’industrie musicale. »

La popularité du logiciel OctaMED, un soundtracker que l’on pouvait utiliser pour faire de la musique sur le Commodore Amiga, signifiait qu’un système utilisé en principe pour jouer à des jeux vidéo faisait son apparition dans les boîtes de nuit du monde entier. « L’Amiga était le véritable point fort de notre musique, poursuit Brian Johnson. La façon dont on a pu manipuler les beats, les samples, et faire des découpages… Impossible de faire ça si tu n’avais pas un Commodore Amiga. »

« Some Justice » d’Urban Shakedown, qui a atteint pendant l’été 1992 la 23ème place dans les charts britanniques, a été écrit avec deux Amiga. Ailleurs, le producteur de drum’n’bass Aphrodite s’est servi de l’Amiga pour créer une variété d’autres mélodies. DJ Zinc, Omni Trio et Deltatronic en sont également des utilisateurs notables. Et si les DJs et les producteurs ne mettaient alors pas activement leur musique à disposition avec des Amiga, leur expérience avec OctaMED ouvrait en revanche la voie à leur succès futur. Venetian Snares a commencé sa carrière en utilisant OctaMED sur l’Amiga. Martin Iveson est surtout connu comme le DJ de deep house AtJazz, mais il a commencé sa carrière musicale en travaillant comme musicien en interne pour le studio de jeux vidéo Core Design.

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La dance music n’a cessé de prendre de l’ampleur avec l’explosion de nouveaux genres qui ont alimenté l’essor de la club culture à travers le monde. Innover n’avait jamais été aussi savoureux. Et si vous avez grandi en jouant à des jeux comme Zed Blade, Battle Garegga, Streets of Rage ou encore Wip3out dans les années 1990, vous aviez alors déjà connu une première expérience en boîte de nuit : sauf que vous n’étiez tout simplement pas assez vieux pour vous en rendre compte.

« Il y avait un petit nombre de compositeurs japonais de jeux vidéo qui étaient fortement influencés par la club music », me raconte Nick Dwyer. Cet homme a passé une grande partie de sa vie à faire des recherches sur la musique de jeux vidéo et anime sa propre émission de radio/série documentaire intitulée Diggin’ in the Carts, qui explore l’histoire de la musique de jeux vidéo. « Il y avait un club légendaire à Tokyo, le Yellow, qui avait ouvert ses portes en 1990. Ils y recevaient les plus grands Djs de Detroit et de Chicago. Derrick May, Kevin Saunderson… Ces gars y jouaient régulièrement et des compositeurs comme Yuzo et Motohiro étaient présents, d’où les influences que l’on peut entendre sur les bandes originales de Streets of Rage. »

La musique de Streets of Rage convient donc naturellement à la piste de danse. Et Die Antwoord semble certainement d’accord avec ça. Leur titre « Happy Go Sucky Fucky » est entièrement construit autour de samples issus du morceau « Expander » dans Streets of Rage 2. D’autres titres de cette série de jeux tels que « Dreamer », « Spin On The Bridge » et « Max Man » peuvent tout aussi confortablement appartenir au registre des consoles de jeu vidéo qu’au dancefloor, avec leurs lignes de basse lourdes et leurs mélodies hautement rythmées qui frappent les auditeurs en pleine face.

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Le milieu des années 1990 a marqué un autre tournant majeur en termes de technologie, avec le passage des ordinateurs 16 bits et des consoles de jeux du moment à un matériel plus impressionnant comme la PlayStation One, la Nintendo 64 et des machines d’arcade plus avancées. L’influence de l’EDM sur l’industrie du jeu vidéo s’est alors répandue comme un virus, que ce soit à l’image de la présence de caissons de basses dans les machines d’arcade comme sur le jeu Sega Touring Car Champion, ou des routes futuristes des jeux de course de science-fiction comme Extreme-G et Wip3out.

« J’ai eu un petit choc quand nous sommes arrivés au milieu des années 1990 et que le CD est arrivé », avoue Tim Wright, le compositeur de Wip3out. Tim Wright n’était pas un grand fan de dance music quand il a commencé à travailler sur le jeu. Mais après avoir rejoint ses collègues de Psygnosis, l’ancien éditeur et développeur de jeux de Liverpool, lors de virées dans des boîtes de nuit locales, cette première expérience de la club culture des années 1990 a finalement contribué à façonner l’orientation musicale du jeu.

« Jusqu’à environ 1995 je dirais, j’étais un homme des années 1980, dit-il. Mais là c’était une toute nouvelle expérience. Je n’avais même pas pris d’ecsta ou quoi que ce soit. C’était juste le fait d’être là et d’écouter ces longs morceaux de 12 minutes qui évoluaient selon les filtres. Quand le drop arrive après la montée en puissance, même sans drogue, tu te dis : 'Putain, maintenant je comprends !' » En plus de contenir sa propre musique enregistrée sous son alias CoLD SToRAGE, Wip3out inclut également de la musique sous licence des Chemical Brothers, de Leftfield et d’Orbital.

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« Nous avons envoyé beaucoup de demandes à divers groupes et maisons de disques en leur disant ceci : 'Nous sommes en train de créer ce jeu, il va être vraiment différent, vraiment nouveau. Il va plaire à la culture clubbing, ce sera un jeu auquel les gens joueront soit avant d’aller en boite, soit quand ils en reviendront pour se relaxer ; et nous pensons que ça sera une bonne chose pour vous d’en faire partie.' », détaille Tim Wright.

Seule une poignée de groupes et de maisons de disques leur ont répondu, mais Wip3out a été un énorme succès et a contribué à l’essor de la musique sous licence venant de groupes et d’artistes apparaissant dans les jeux vidéo. Pour l’industrie de la musique, les jeux vidéo deviendront à partir de là un fantastique moyen pour commercialiser et vendre de la musique. « Après le succès du premier jeu, obtenir de la musique sous licence était comme un jeu d’enfant. Tout le monde voulait en faire partie », raconte Tim Wright.

Le succès de Wip3out représentait également une formidable opportunité marketing pour Sony, qui souhaitait orienter la PlayStation vers un public cible différent de celui de son principal concurrent, Nintendo. Les consoles PlayStation et les copies de Wip3out ont rapidement fait leur apparition dans les boîtes de nuit à travers le Royaume-Uni et le jeu est devenu un des symboles de la culture clubbing des années 1990. Un joint dans la main et une manette de PlayStation dans l’autre, jouer à Wip3out était le divertissement post-club par excellence (et c’est d’ailleurs toujours d’actualité).

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Après le succès de la série Wip3out, Tim Wright a quitté Psygnosis pour créer une série de jeux vidéo de production musicale qui a influencé une nouvelle génération de créateurs de musique. Tout comme le Commodore Amiga avait aidé Bizzy B à démarrer sa carrière, des jeux comme Music : Music Creation for the PlayStation et Music 2000 ont contribué à donner naissance à la scène grime en fournissant les outils nécessaires à des musiciens comme Benga, Skream et Skepta pour peaufiner leur son.

Aujourd’hui, la relation entre la club culture et les jeux vidéo est plus forte qu’elle ne l’a jamais été. En plus des innombrables morceaux house et techno qui apparaissent dans les soundtracks de franchises telles que FIFA et Grand Theft Auto, les jeux vidéo sont maintenant utilisés pour lancer de la musique en avant-première : le DLC de GTA V a servi de plateforme pour la sortie de nouveaux morceaux de Solomun, de Tale of Us, de Dixon ainsi que de The Black Madonna au moment où les joueurs s’immergeaient dans les boîtes de nuit virtuelles du jeu. Il existe même un nouveau logiciel destiné à la création musicale, Tracklab, sur le nouveau PlayStation VR, qui permet aux utilisateurs de créer tout style de musique, de la trap à la drum’n’bass, et qui est en quelque sorte le fils spirituel de Music 2000.

Au fil des ans, les premiers ordinateurs familiaux et les premières consoles de jeux vidéo ont joué un rôle essentiel dans l’aide aux musiciens afin de leur permettre de décoller et de créer des musiques incroyables. De même, l’essor de la culture clubbing dans les années 1990 a eu une influence directe sur les compositeurs de jeux vidéo. La boucle est bouclée quand on sait que leurs jeux ont influencé la génération suivante de créateurs musicaux. Sans cette relation symbiotique, la musique contemporaine et les jeux vidéo ne seraient tout simplement pas pareils.

Cet article a d'abord été publié sur Noisey UK.

Mat Ombler est sur Twitter.