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FRANCE

Un dimanche avec ceux qui veulent faire annuler les présidentielles

Issu notamment du mouvement anti-loi Travail, le rassemblement Génération ingouvernable s'est rassemblé ce week-end pour troubler le jeu électoral et prouver qu’on peut faire de la politique autrement que par le vote.
Des cartes électorales (des fausses et des vraies) en feu. (Photo de Henrique Valadares/VICE News)

« Contre les élections, pour un autre monde », lit-on sur un étendard, dressé sur un mur. De l'autre côté du théâtre de la Parole errante, à Montreuil, on peut lire « On se représente nous-mêmes ». Le groupe Génération ingouvernable, issu du mouvement anti-loi Travail du printemps dernier, a organisé ce week-end une rencontre avec des débats, des discussions et des suggestions d'actions communes. Cela dans le but d'ancrer leur contestation dans la durée — notamment en proposant de faire annuler les élections présidentielles. Le groupe veut faire tomber le système actuel de démocratie représentative, qu'ils jugent caduc.

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Les participants, qui ont pris parti contre la loi El Khomri le printemps dernier, veulent désormais envoyer un message fort : Ils ne veulent pas être représentés par les élus et veulent prendre les choses en main eux-mêmes. « S'attaquer aux élections, c'est s'attaquer au coeur du système », explique Bob, 23 ans et membre du « collectif à l'initiative de l'appel ».

Un objectif « présomptueux » et difficilement atteignable, reconnaissent ceux qui se sont déplacés ces 28 et 29 janvier à Montreuil. « On veut montrer qu'on se fout de cette temporalité et de ce système [de démocratie représentative] », explique l'un d'eux.

Au théâtre de la Parole errante, à Montreuil. (Photo de Henrique Valadares/VICE News)

Une semaine auparavant, nous avions rencontré une partie de la trentaine d'organisateurs de Génération ingouvernable autour d'un café place de la Nation. Et ils s'accordent sur un point : « Notre idée n'est même pas d'annuler les élections à proprement parler, puisque je ne pense pas que ce soit faisable et ce n'est pas l'idée absolue », nous explique Bob. « On veut sortir de l'idée que les élections sont le seul moyen pour l'individu lambda de faire valoir sa voix et pouvoir faire de la politique, » complète Alice, étudiante en philosophie à Paris I. « Ce week-end montre qu'il y a d'autres moyens d'agir. »

« On a proposé [d'annuler les élections] parce que c'était une opinion commune, [les élections sont] la prochaine cible naturelle, » avance Gabriel, étudiant de 21 ans. « Ce qui va se passer en 2017 est dégoûtant et personne n'a envie de subir — d'un point de vue discursif ou médiatique — le déluge de messages racistes, identitaires, xénophobes et libéraux. »

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Issus du mouvement anti-loi Travail

« Les organisateurs se sont définis comme un élan, un rassemblement, plutôt qu'un mouvement », indique Camille, un participant impliqué dans le militantisme « autonome » depuis un an. Car Génération ingouvernable est très hétéroclite, à l'image de Nuit Debout et du mouvement contre la loi Travail. Parmi les présents, on trouve les traditionnels meneurs des manifestations du printemps dernier et des membres du Mouvement Inter Luttes Indépendant (MILI), mais encore des intellectuels quinquagénaires venus de différentes régions.

À lire : « Le monde ou rien » : rencontre avec le Mili, en première ligne des manifs jeunes contre la loi travail

« Il y a un ensemble d'opinions très différentes ici », dit Vincent, qui discutait avec Camille. « Ce nouveau groupe serait alors la reprise de ce souffle [celui des manifestations du printemps dernier], » affirme-t-il, dehors, où les merguez et les frites cuisent à côté des salades végétariennes vendues à prix libre.

« Sur les deux jours, environ 400 personnes sont venues », nous indique Bob le dimanche — un chiffre que nous n'avons pas pu vérifier, mais qui semble crédible. Selon une personne ayant participé et insisté pour garder un anonymat « sans distinction de genre », ce nombre est certes réduit mais en vaut bien plus. « Ils représentent beaucoup de gens et de mouvements » d'autres régions de France. « On ne peut pas analyser ce chiffre de la même façon que les milliers de personnes qui viennent à un meeting de Macron par exemple, » avance Vincent, avec une clope et un café en mains, à l'extérieur. « Il y a un an, ce genre d'événements rassemblait cinquante personnes et ne tenait pas sur la distance », complète Camille.

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Ces trois personnes font partie des très rares participants qui ont accepté de nous répondre. La plupart de ceux que nous avons rapprochés ont refusé de nous parler même sous anonymat. « Je pense et j'espère que [ce week-end] va mener quelque part, » glisse une jeune femme. « Ça va aussi multiplier les rencontres. Mais je ne vous dirai pas un mot de plus ».

Un organisateur des rencontres de Génération ingouvernable. (Photo de Henrique Valadares/VICE News)

« On est en train de partir sur des méta-discussions là »

À l'intérieur, les débats sont très ouverts et quelque peu confus. Les participants discutent des « expériences non-étatiques », allant de l'occupation de la Maison du peuple à Rennes jusqu'à l'histoire de la Papouasie-Nouvelle-Guinée, en passant par la ZAD de Notre-Dame-des-Landes.

« On est en train de partir sur des méta-discussions, » interpelle un jeune participant, lassé des débats sans but. « Il faut que les organisateurs saisissent le moment pour qu'on discute de choses concrètes, d'actions et manières concrètes. » Mais un autre prend la parole sur les « intérêts de classe » et le fil de la conversation s'évapore à nouveau.

« On ne veut pas se poser comme une alternative à leur politique [des partis]. On veut proposer un autre mode de vie, pour s'ancrer dans les territoires et rendre visibles les alternatives qui existent déjà, » nous explique Bob. « On veut plutôt partir des élections pour s'en détacher, au lieu de mettre des actions en place pour agir et intervenir dessus. »

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Autodafé de cartes électorales

À la fin de la rencontre, le groupe s'accorde finalement sur un calendrier et des actions festives et politiques à mener. Le tout dans un ancrage local. « Il faut qu'on foute le bordel, mais d'une façon que les autres personnes aient aussi envie de foutre le bordel avec nous », suggère une militante de Marseille.

Entre-temps, un carton rempli de fausses cartes électorales est posé, par terre. Certains piochent dedans. « Tu as ta vraie carte, toi ? », « Oh, non je l'ai perdue il y a longtemps », un autre glisse : « Ça doit traîner dans un tiroir quelque part ». Tous partent en direction de la rue Croix de Chavaux, où une pile de fausses cartes électorales gît, en pleine place publique. C'est alors que l'un des organisateurs prend alors un briquet et une véritable carte électorale.

Des cartes électorales (des fausses et des vraies) en feu. (Photo de Henrique Valadares/VICE News)

Pendant une trentaine de minutes, toutes les cartes brûlent. Puis des sirènes retentissent, les gens s'attendent à voir des policiers débarquer. Il n'en est rien : un camion de pompiers arrive. Ils s'étonnent de la scène. Après avoir bien positionné le camion, ils interviennent finalement, mais il ne reste que des braises.

La journée s'achève sur les promesses de l'avenir. Les membres de la Génération ingouvernable ont proposé une multitude d'actions partout en France : éteindre les lumières des vitrines, poser des autocollants sur les affiches des candidats ou encore enfariner ces derniers.

La nuit précédant le rassemblement, un de leurs camarades avait déjà mis en action ce plan. Selon les informations du Parisien — vérifiées auprès des organisateurs de Génération ingouvernable — un homme âgé de 47 ans appelé Nicolas a été surpris en train de taguer des messages politiques notamment sur des permanences du Parti Socialiste. Entre 3h20 et 4h20 du matin dans la nuit de samedi à dimanche, l'homme a tagué des « 49,3, morto ! », « Tout le monde déteste le PS. Bisous » ou « Soyons ingouvernables » de partout sur la rive gauche de Paris. L'homme visait la permanence de « En marche », le mouvement d'Emmanuel Macron, lorsqu'il a été interpellé par les forces de l'ordre rue de l'Abbé Groult. Il écrivait « Hors humains j'irai souffler sur vos urnes pour éparpiller vos cendres. A voter ! Non ! A souffler ! ».


Suivez Henrique Valadares sur Twitter : @HenriqValadares