Culture

Sur Internet, l'Éros ramasse aussi

On a discuté sexualité et Internet avec le collectif Eros & Réseaux dont le premier long-métrage était diffusé au Festival du film de fesses.
Alexis Ferenczi
Paris, FR
Eros érotisme internet
Illustration avec l'aimable autorisation d'Eros & Réseaux.

« Strange feeling, the web ». C’est le constat lucide lâché par une cam-girl dans Welcome to My Room, court-métrage de fiction réalisé par Marilou Poncin et récompensé d’un prix du jury lors de l’édition 2018 du Festival du film de fesses.

Et quelque part, on la comprend. Depuis que Tumblr n’accueille plus de contenus « adultes » et que Facebook censure le moindre téton – que ce soit pour une campagne de sensibilisation au dépistage du cancer du sein ou un tableau d’Edouard Manet – c’est comme si Internet repoussait le cul à la marge. D’où le « strange feeling ».

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Prenant le contre-pied de la vague de puritanisme qui a submergé les GAFA, le collectif de réalisateurs Eros & Réseaux, composé d’Anaïs-Tohé Commaret, de Doris Lanzmann, de Stéphane Degoutin, et donc de Marilou, a pris le parti de recenser quelques-uns des derniers ilots d’érotisme présents sur la Toile.

« Derrière ces vidéos, il y a des intentions totalement différentes. Mais, en les regroupant, elles prennent un sens nouveau. Le montage les entraîne dans une autre direction » – Stéphane Degoutin

C’est notamment cette curiosité pour Internet qui a réuni les membres du collectif. « Eros et réseaux sont deux thématiques qu’on trouve dans nos films mais que l’on traite de manière très différente, développe Stéphane. L’intérêt du groupe de discussion résidait aussi dans la confrontation des idées et le fait de regarder des films ensemble. »

Assez logiquement, le collectif est né sous le haut patronage du festival susmentionné qui se déroulait du 27 au 30 juin à Paris et propose chaque année depuis 2014 une sélection aux petits oignons de courts-métrages et de reprises – allant de Mario Bava à Jesus Franco en passant par un programme dédié au cruising.

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Capture du générique de fin avec l'aimable autorisation d'Eros & R2se

« Après mon prix lors de l’édition précédente, on m’a demandé d’animer une séance cette année. Je me suis dit que c’était l’idéal pour la première d’Eros & Réseaux », précise Marilou. Une première qui prend la forme d’un film d’1 h 10 composé de 58 extraits, pour la plupart chopés sur le web, et projeté au Reflet Médicis samedi 29 juin.

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Ce « bout à bout » qui parle de la représentation de la sexualité sur Internet, mélange aussi bien vidéos amateurs diggées que Palme d’Or. On y trouve donc un tuto pour faire une pipe à un mec avec un pamplemousse ainsi qu’une courte nouvelle intitulée « La bite de mon meilleur copain ».

« Dans le film qu’on présente, il y a du found footage et des films d’artistes. On a monté des extraits sans les retoucher ou les dénaturer, ajoute Stéphane qui cite notamment comme inspiration le travail du réalisateur canadien Dominic Gagnon. C’est une forme très hybride. »

Même son de cloche chez ses camarades. « On a utilisé plein de langages vidéos différents », raconte Marilou. « On a aussi fait en sorte de mélanger plein de grains, renchérit Doris. Il y a un jeu sur la sensualité du pixel. Et puis quand on filme un diaporama ou une vidéo avec un récit érotique tapé qui défile, on n’est pas dans la même nature d’image. C’était aussi intéressant de le montrer. »

« L’idée, c’était de faire vivre Internet un petit peu comme une matière molle et d’en extraire une sorte d’état du monde contemporain » – Doris Lanzmann

« Ce mélange, on le revendique, explique Stéphane. Derrière ces vidéos, il y a des intentions totalement différentes mais en les regroupant, en les faisant dialoguer ensemble, elles prennent un sens nouveau et le montage les entraîne dans une autre direction. »

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Capture du générique de fin avec l'aimable autorisation d'Eros & Réseaux.

La séance était précédée d’une introduction un peu particulière. Une « hypnose en ASMR » pratiquée dans le noir complet par Anaïs et son acolyte Marie pour mettre les spectateurs dans un « bon état de réceptivité », sourit Stéphane. « L’idée c’est de préparer vocalement une ambiance qui permettrait aux gens d’absorber et de digérer le film », décrit Marilou. « Un peu comme des préliminaires », rigole Doris.

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Légèrement stimulé par les voix suaves des performeuses, le spectateur avale sans peine ce zapping géant de vidéos tantôt déroutantes et tantôt familières. Ici une convention de Furries ou un pied écrasant des bananes, là un court-métrage de Caroline Poggi et Jonathan Vinel feat. Pierre Woodman ou un docu sur l’éco-sexualité.

« L’idée, c’était de faire vivre Internet un petit peu comme une matière molle et d’en extraire une sorte d’état du monde contemporain, poursuit Doris. Au départ, on voulait montrer les extraits dans le cadre d’une conférence. Et puis, en voyant l’ampleur du catalogue, on s’est rendu compte que les images se suffisaient à elles-mêmes. On n’avait même pas besoin d’intervenir. »

« Je trouve que le contenu homemade est de plus en plus difficile à trouver. Il y a 6 ou 7 ans, on avait des vidéos passionnantes qui étaient presque du cinéma-vérité » – Doris Lanzmann

Le choix s’est porté naturellement vers des vidéos qui ne sont pas les plus vues d’Internet mais les membres du collectif réfutent le terme d’étrangeté. « Je trouve qu’il dénote d’un jugement alors qu’on a un regard bienveillant sur ces choses. On explore des univers et des personnes pour qui on a une certaine sympathie. On n’est pas dans la moquerie », se défend Stéphane.

Eros & Réseaux n’a peut-être pas vocation à exister au-delà de cette projection, ses membres le voyant comme un projet évolutif, un peu mutant, qui pourrait prendre un autre nom et une autre forme en fonction du thème choisi. Peut-être même que le web, matière hautement volatile, ne leur laissera pas forcément le choix.

« Je trouve que le contenu homemade ‘pas très bien fait’ est de plus en plus difficile à trouver, constate Doris. Il y a 6 ou 7 ans, on avait des vidéos passionnantes qui étaient presque du ciné-vérité. Aujourd'hui, ça n’existe presque plus parce que le matériel est meilleur et les gens le maîtrisent mieux. Et c’est un peu triste. »


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