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névrose

« Est-ce légitime d’espérer mieux de la vie ? »

Dans son dernier livre, le romancier François d’Epenoux s’interroge sur notre incapacité collective à voir le bonheur là où il est. Interview.
Image : Hugo Protat 

Dimanche 18 mars, les allées du Salon du Livre de Paris avaient des allures de magasin Sephora, un mercredi après-midi. Des hordes de groupies de Capucine Anav, la starlette de télé-réalité, étaient venues se faire dédicacer le livre de leur idole – et surtout, la voir « en vrai ». Entre mouvement de foule et cris de joie – « Capucine, youhou, Capuciiiine ! » -, on a finalement trouvé refuge dans une contre-allée quasiment vide. Et là, devant une pile de livres et quelques lecteurs, on a croisé l’écrivain François d’Epenoux, venu, lui aussi, dédicacer son dernier livre.

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Ça s’appelle Presque et c’est l’un des meilleurs bouquins qu’on ait lu depuis un moment. Difficile de ne pas se reconnaître dans le portrait de son héros – un mec presque heureux en amour, presque satisfait de son job, presque fier de ce qu’il a accompli…mais pas tout à fait. Son roman dessine les contours d’une névrose collective : le sentiment d’inaccomplissement qui saisit chacun d’entre nous, à un moment où un autre de son existence. Et François d’Epenoux en sait quelque chose : il est souvent « presque » arrivé là où il voulait.

VICE : Ça n’est pas un peu étrange pour vous de vous retrouver coincé, au Salon du Livre, entre deux stars de télé ?
François d’Epenoux : C’est le jeu. La télégénie d’un auteur a toujours été un critère important dans le succès, ou non, d’un livre. C’était même vrai au temps d’Apostrophes, l’émission de Bernard Pivot. Regardez Jean d’Ormesson, c’était bien sur un auteur de talent mais il était aussi incroyablement télégénique : il parlait bien mais surtout, il « passait bien à la télé », comme on dit. Notamment grâce à sa signature vestimentaire – l’incontournable petite chemise bleu pâle parfaitement accordée à ses yeux. Le problème, c’est qu’aujourd’hui, on est passé de Jean d’Ormesson à Capucine Anav…

Parlons plutôt de votre livre. Pourriez-vous nous préciser ce que recouvre le concept du « presque » qui en fait le titre ?
Ca tient en une question : est-ce légitime d’espérer mieux de la vie, alors que l’on n’a pas mal de chose, ou n’est-ce qu’une chimère d’enfant gâté ? Le personnage de mon livre ne réalise pas tout ce qu’il a déjà la chance d’avoir. Au contraire, il traverse une espèce de loose, de demi-dépression où il se demande ce qu’il a fait de ses rêves. Pourtant, il n’est pas à plaindre : il a un appart, un job, une femme… Mais il est rongé par un sentiment d’inaccomplissement. C’est ça, le « presque ». C’est une notion qui m’est devenue très chère : j’aimerai qu’elle entre dans le langage courant comme lorsque que Gainsbourg a chanté « je suis un aquoiboniste » et que tout le monde s’est mis à employer l’expression. Et puis, moi aussi, je suis atteint par le syndrome du « presque »… Au fond, ce livre, c’est un peu l’histoire de ma vie.

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Avec onze livres publiés, vous n’êtes pourtant pas « presque » un écrivain…
Non, mais je suis le Poulidor de la littérature ! L’éternel deuxième qui n’atteint jamais le sommet. Ça été le cas dès le début de ma carrière. En 1995, mon roman Gégé a été finaliste du Goncourt du premier roman et je suis finalement arrivé…deuxième ! Et c’est toujours comme ça avec moi : j’y suis…presque. Dans ma vie, j’ai souvent effleuré le Graal…sans jamais l’attraper.

Deux de vos livres ont été adaptés au cinéma avec un certain succès (Deux jours à tuer, Les papas du dimanche). Ça n’est pas donné à tout le monde, non ?
C’est vrai. Et j’ai même été nominé aux Césars dans la catégorie Adaptation et Dialogue, avec Eric Assous, pour Deux jours à tuer, de Jean Becker. Mais cette fois encore, je suis passé à côté, juste à côté, du Graal. J’étais là, le cœur battant la chamade dans mon beau costume de location et…c’est Entre les murs qui a gagné. Le film de Laurent Cantet, adapté du livre de François Bégaudeau, a raflé la plus grande partie des Prix, cette année-là. Cette fois encore, j'ai raté mon tour.

Il y a-t-il certains destins qui vous font dire que, peut-être, tout n’est pas perdu ?
Effectivement, il y a quelques jours, j’étais à l’avant-première du Le Collier Rouge, le dernier film de Jean Becker. Et je me souvenu que c’est à 54 ans (l’âge que j’ai aujourd’hui) qu’il a réalisé son plus grand succès public, L’été meurtrier, qui a fait plus de 5,5 millions d’entrées. L’histoire de Jean Becker, c’est que tout démarre à la cinquantaine.

Mais votre livre ne s’adresse pas qu’aux quinquagénaires !
Non, bien sur. Ce questionnement n’a pas d’âge. On s’est tous demandé, à un moment ou l’autre de notre existence : « qu’est-ce que j’ai fait de ma vie ? ». Et à vrai dire, si j’avais lu mon livre à 20 ans, ca m’aurai beaucoup aidé à affronter la vie !

Le presque, François d’Epenoux, éditions Anne Carrière