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Parole d'expert

Financement de projet : guide pratique pour éviter la mise en examen

Les récents démêlés judiciaires de Nicolas Sarkozy nous ont appris une chose : il n’y a pas parfois qu’un (petit) pas entre le montage financier aussi astucieux que discret et... la garde à vue.
Photo : Lionel Bonaventure/AFP 

Qu’il s’agisse d’un documentaire engagé, d’une retraite spirituelle en Amérique du Sud ou d’une campagne présidentielle dispendieuse, nous avons tous un projet qui nous tient suffisamment à cœur pour envisager de flirter avec l'illégalité, quand il s’agit de réunir les financements nécessaires. Mais comme la police et Mediapart veillent, et que personne n’aime passer ses journées à répondre aux allégations acharnées des juges d’instruction, mieux vaut éviter les erreurs de débutant.

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Nous avons donc discuté avec l’ancien juge d’instruction et magistrat honoraire Philippe Bilger, pour comprendre ce que les maestros supposés de l’affaire du financement libyen peuvent nous apprendre sur le sujet. Trucs et astuces pour ne pas finir mis en examen.

Travaillez exclusivement avec des tocards

S’il peut sembler assez contre-intuitif, ce conseil ne doit pourtant pas être sous-estimé. Car si les défauts d’un tocard peuvent transformer une vie professionnelle normale en enfer, ils deviennent des qualités merveilleuses dans le cas d’un financement douteux. Peu consciencieux, désorganisés, voire franchement je-m’en-foutistes, ceux-là prennent rarement le temps de consigner chaque détail de leur emploi du temps – et de leurs tractations secrètes – dans un petit carnet. Certains oublient même de produire des notes officielles pour un acte aussi anodin que le versement de 50 millions d’euros à un chef d’État…

Et oui, c’est ce que semblerait avoir respectivement fait Choukri Ghanem, ancien ministre libyen du pétrole et patron de la compagnie nationale pétrolière, et Moussa Koussa, ancien patron des services secrets extérieurs libyens. « Tout dépend évidemment de la substance de chaque élément du dossier – auquel je n’ai pas eu accès – et je ne peux donc répondre que de manière très théorique. Mais de tels éléments, s’ils sont jugés vrais, constituent bien sûr des éléments clés dans un dossier de ce genre », analyse Philippe Bilger qui se veut prudent.

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Privilégiez les équipes réduites

« Il n’y a pas de règle absolue en ce qui concerne les témoignages, ni de nombre minimum requis pour déclencher une mise en examen. À l’inverse, on a coutume de dire Testis unus, testis nullus (ndlr un seul témoin, pas de témoin) », explique l’ancien juge d’instruction. Vous l’aurez compris, moins vous mettez de gens dans la confidence, moins vous laissez de chance à la justice de vous coincer. Une évidence ? Quand on sait que Nicolas Sarkozy est interdit d’entrer en contact avec onze personnes – de son ex-épouse Cécilia Ciganer-Attias à Dominique de Villepin – et que la justice libyenne aurait recueilli au moins trois témoignages de responsables du régime Kadhafi, il semble nécessaire de le rappeler.

Quant à la crédibilité d’un témoignage, elle ne relève pas nécessairement de la condition du témoin. « Comme dans la vie, ce sont l’intelligence, la psychologie et la vigilance intellectuelle qui permettent d’évaluer l’ensemble que constitue un témoignage. Et parfois, c’est un élément précis, une subtilité, qui laisse penser qu’il est peut-être sincère. Comme le fait que Takieddine explique que ce sont les valises passant par la filière Djouhri qui étaient destinées au financement de la campagne, pas celles que lui convoyait, j’ai été frappé par ce détail. » N’en déplaise à certains, même les « criminels » et les « délinquants » méritent d’être écoutés par les enquêteurs quand ils décident de balancer.

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Traînez dans les hackathons

Dire quoi que ce soit d’incriminant dans un téléphone à notre époque relève d’une ignorance crasse quant aux technologies de surveillance. Ce que rappelle en creux Philippe Bilger : « Les écoutes sont évidemment des preuves tout à fait recevables devant un tribunal. Et dans le cas de l’affaire dite du financement libyen, la Cour de cassation a considéré que même celles entre Nicolas Sarkozy et son avocat historique Thierry Herzog le sont. »

Il serait donc quand même dommage de finir votre vie dans une cage, quand il suffit de télécharger une des nombreuses applis permettant de communiquer de manière sécurisée, comme Signal Private Messenger et d’autres, pour se mettre à l’abri. Ça prend cinq minutes, c’est recommandé par Edward Snowden, et ça fait bosser les spécialistes des libertés individuelles. Et puis franchement, les portables jetables, c’est quand même cramé depuis The Wire.

Payez-vous des cours d’impro

Non, la bêtise n’est toujours pas punie en France. Par contre, répondre n’importe quoi à des enquêteurs quand ils vous demandent d’où viennent les 500 000 euros qui sont brusquement apparus sur votre compte en banque peut conduire à un procès en bonne et due forme. Surtout quand ils ont la possibilité de démonter votre version en traçant simplement le pognon en question.

Or, quand on se lance dans le financement illégal, il est essentiel de savoir que votre porte peut exploser à tout moment. Alors si vous êtes du genre à bafouiller pendant les discours de mariage, inscrivez-vous tout de suite au cours d’improvisation de votre MJC. Ça affûte l’esprit – aussi bien pour les dîners mondains que pour les interrogatoires.

Ne sous-estimez pas vos adversaires

À n’en pas douter, les juges d’instruction comptent autant d’imbéciles que les autres corps de métiers. Pourtant, il serait quand même franchement dangereux de considérer que toute la corporation est touchée par l’épidémie. C’est pourquoi un financement illégal réussi implique de ne pas accumuler les détails ultra-gras comme le fait de ne retirer que 800 € en dix ans quand on a les moyens financiers d’un ministre français ou de louer un coffre de banque où un homme peut se tenir debout pour stocker des documents tenant sur quelques feuilles de papier.

« Évidemment, seule, cette location constitue un indice ridicule. Mais quand on l’ajoute à d’autres, cela crée un faisceau de preuves sur le lequel on peut porter un regard légitimement suspicieux et décider une mise en examen. Toutefois, un second regard prouvera peut-être que tout ça ne veut rien dire », commente Philippe Bilger. Et d’ajouter à propos de la mort jugée hautement suspecte de Choukri Ghanem retrouvé flottant dans le Danube en avril 2012 : « S’il est vraiment mort de manière suspecte, il est clair que cela apporte un éclairage sombre à l’affaire, cela sous-entend qu’il avait quelque chose à dire qui reste à découvrir. »

Bref, si vous vous lancez dans un tel projet, faites preuve d’un peu de finesse. Ça n’a jamais fait de mal à personne, qu’on fréquente les recoins les plus pourris de la République ou le petit monde des humains qui ne font pas appel au crowdfunding pour financer leurs projets.