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Culture

Mon père a pris le contrôle de mon Facebook pendant une semaine

Que pouvait-il m’arriver de pire que de perdre le respect de tous les gens que je connais ?
Sandra  Proutry-Skrzypek
Paris, FR

Cet article a été initialement publié sur VICE Danemark.

Voilà un fait sur lequel tout le monde s'accorde : il devrait y avoir des restrictions d'âge sur les réseaux sociaux. Pas pour les jeunes, non. Plutôt pour les vieux, en fait. Nos parents et nos grands-parents ont grandi dans un monde différent, dans lequel ils ne fréquentaient que leur famille proche et deux-trois amis intimes. On ne leur a jamais expliqué que personne n'a envie de tomber sur 121 photos d'eux en train de faire du pain. On ne leur a jamais expliqué qu'il n'est pas hyper correct de relayer des théories conspirationnistes sur les immigrés non plus.

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Parce que je suis toujours à la recherche de moyens innovants pour m'humilier, j'ai donc décidé de déléguer le contrôle administratif de mon profil Facebook à l'un de ces vieux : mon père.

Un petit point sur ma façon d'être habituelle sur les réseaux sociaux : j'aime à penser que je suis un « observateur réfléchi » – un rôdeur silencieux offrant des likes ci et là aux quelques chanceux qui les méritent vraiment. Il est rare que je poste quelque chose, mais quand je le fais, je me soucie du moindre détail.

Je ne dirais pas que mon père est l'exact opposé, mais il adopte incontestablement une approche plus libérale quand il s'agit de décider quels détails non pertinents de son quotidien doivent être partagés avec le reste du monde. J'espérais qu'une chose joue en ma faveur : mon père est en fait vraiment cool. Il était producteur de disques dans les années 1980 et a travaillé avec Whitney Houston ou Donna Summer. Un jour, il m'a même laissé l'interroger sur sa vie sexuelle.

Ma page Facebook avant que mon père ne s'en empare.

Autant dire que je faisais fausse route.

Jour un

Mon père ouvre les hostilités en allant directement voir mes photos. Il estime qu'il me faut une nouvelle photo de profil et troque l'ancienne contre une photo de moi bébé, l'air adorable et innocent. C'est un peu comme quand vos parents ressortent le vieil album photo pour le montrer à votre nouvelle copine, sauf que cette fois, ils le montrent au monde entier. Mon père fait preuve d'un savoir-faire impressionnant et commente quelques posts avec son propre compte afin d'entretenir l'illusion.

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En quelques heures, j'ai publié plus de contenus qu'en plusieurs mois. Bizarrement, personne ne semble s'interroger sur la hausse soudaine du volume de mes publications. La plupart de mes amis demeurent insensibles à ma nouvelle approche.

Jour deux

Pour son deuxième jour en tant que community manager, mon père décide de privilégier la quantité à la qualité. Je partage donc activement des citations barbantes, des articles étranges ainsi que ma localisation dans différents parcs publics au beau milieu de ma journée de travail.

Mon passé de joueur de Pokémon GO, que je gardais secret, est révélé au grand jour.

Mon père remplit mon fil d'actualité de likes incessants, de posts et de hashtags sans intérêt. Il répond à chaque quiz existant et partage les résultats pour que tout le monde les voit. Dans la soirée, il décide de changer ma photo de couverture – la nouvelle, dit-il, reflète mieux ma personnalité :

Ma nouvelle photo de couverture

Ma soudaine hyperactivité sur Facebook amuse les gens qui n'ont pas entendu parler de moi depuis longtemps. Mes amis proches, au contraire, tentent désespérément de bloquer le flux de non-sens qu'est devenu mon profil.

Je ne peux pas me promener dans les bureaux sans être arrêté par des collègues choqués.

– « C'est le nouveau toi ? », me demande quelqu'un.

– « C'est allé trop loin », me prévient quelqu'un d'autre.

Jour trois

Le troisième jour entraîne une agréable surprise : la soif de contenus frais de mon père l'amène à découvrir de vieilles photos dont j'ai complètement oublié l'existence, ce qui me rappelle des souvenirs chaleureux.

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Jour quatre

Quatrième jour, troisième photo de profil – cette fois-ci, un rare cliché de ma tête de lycéen rondouillet.

Un peu plus tard, mon père accomplit son plus gros succès en date : il partage un quiz « Quel est ton nom de rappeur ? » qui attire les personnes les plus diverses que ma liste d'amis a à offrir – de mon boss à ma grand-mère.

Le post récolte plus de 25 commentaires, une première dans l'histoire de ma carrière sur Facebook. Je ne sais pas si je dois célébrer cette nouvelle attention ou m'inquiéter du fait que mes amis semblent préférer la version de moi proposée par mon père plutôt que la vraie.

Jour cinq

Au bout du cinquième jour, mon père a gagné en assurance. Assoiffé de pouvoir, il se met à envoyer des demandes d'amis à des inconnus. Plus tard dans la journée, il actualise mon statut avec une photo de lui à mon âge et fait la promo d'un concert de Sleaford Mods auquel j'ai prévu d'assister le lendemain – couronnant le tout d'un #globalmarujuanamarch hasardeux.

Jour six

Le sixième jour, je me rends compte que les singeries de mon père ont dû atteindre chacun des centaines d'« amis » Facebook ajoutés depuis des années. Certains sont intrigués, la plupart sont tolérants, d'autres perdent patience :

Un ami FB mécontent

Pour la première fois, je m'aperçois que je perds des followers.

Jour sept

Le repos n'est pas au programme de ce septième jour. Mon père est conscient qu'il s'agit de sa dernière journée de travail et préfère commencer tôt. Le thème du jour est la nostalgie. Il publie des photos de moi bébé avec mes frères et soeurs et des statuts disant « J'ADORE MON PÈRE ». Bien que ce soit le cas, je n'aurais jamais partagé une telle déclaration au premier degré.

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Mon père arrête sa plongée profonde dans mon enfance pour envoyer une foule de « pokes » dont je me serais bien passé ; confirmant ainsi que la fonction existe toujours, pour des raisons qui me sont inconnues.

L'expérience touche enfin à sa fin et je reprends le contrôle total de mon profil Facebook. Mon père insiste pour publier une dernière photo de profil :

Est-ce que ça a été un désastre ? Absolument. Est-ce que ça a causé des dommages irréparables au sein de mes relations personnelles ? Sans aucun doute. Est-ce que le fait de « poker » quelqu'un en 2017 peut être considéré comme une forme passive-aggressive de harcèlement ? Vous connaissez déjà la réponse.