À une époque où les « rock stars » au cinéma semblent incarnées par les très superficiels Xavier Dolan ou Nicolas Winding Refn, on ne peut que se réjouir de voir une tête brûlée comme Abel Ferrara continuer de jouer les trouble-fêtes. Que ce soit avec un biopic de DSK campé par le dernier freak du cinéma français (Depardieu), des concerts avec Schoolly D ou des projets de docus en pagaille, l’ex-punk du cinéma US reconverti en bouddhiste provoc a toujours quelque chose à dire. N’en déplaise à ceux qui attendent un King of New York 2 qui, Dieu merci, ne verra jamais le jour. Rencontré à l’occasion de son passage au festival Addiction, Ferrara nique la nostalgie et nous raconte ce qui lui reste de souvenirs des années gangsta rap, du punk, des tournages de Miami Vice et de sa collaboration avec Mylène Farmer.
Noisey : On va parler un peu de musique aujourd’hui alors, ok ?
Abel Ferrara : On parle de ce que tu veux, pas de problème pour moi.
Je voulais savoir quels étaient tes premiers souvenirs liés à la musique durant ton enfance et ton adolescence dans le Bronx.
J’ai grandi dans les années 50. Mon premier souvenir ça doit être les Everly Brothers quand j’avais 5/6 ans. La musique qui passait à la maison c’était le répertoire traditionnel italien que jouaient mon père et mes oncles. À cette époque, on écoutait beaucoup la radio. Et puis ensuite les Stones et les Beatles sont arrivés, puis Bob Dylan. J’aimais aussi beaucoup la musique black : Motown, Aretha Franklin, Buddy Guy, les Isley Brothers. J’aimais bien Hendrix aussi. Mais bon une fois que tu es tombé sur Dylan au début des années 60, plus rien n’est pareil, tu n’écoutes plus la musique de la même façon. Comme les Stones, il m’a poussé à revenir en arrière, essayer de comprendre les bases de la musique américaine, le blues, Elmore James, Woody Guthrie, Hank Williams…
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Tu te rappelles de l’arrivée du punk et du hip hop à New York ?
Évidemment que je m’en rappelle, ça m’a pété en pleine figure à cette époque. Je trainais pas mal avec les New York Dolls, Debbie Harry, Johnny Thunders – on était potes. La musique était arrivée à un point à cette époque où ça ne pouvait pas être pire. Toutes ces merdes à la Mott The Hoople, Peter Frampton… Les punks sont arrivés pour dégager tout ça. Bowie aussi a fait beaucoup de bien à la musique à cette époque. Je trouvais la pop music tellement mauvaise et vide… Autant se tourner vers Sid Vicious qui ne savait pas jouer mais qui avait quelque chose d’authentique. L’énergie du punk a aussi été pas mal annoncée par les Stones, notamment avec l’album Some Girls. Et puis le hip hop est arrivé. Je suis un grand fan de hip hop, tu le sais. Je ne vais pas jouer au plus malin et faire du name dropping mais tout le monde sait que je connais Schoolly D, 50 Cent… Quand tu connais les rappeurs, que tu passes du temps avec eux, leur musique devient encore plus puissante et brillante.
Comment as-tu vécu l’arrivée du gangsta rap ?
C’était la musique qu’on écoutait. On est tombés sur Schoolly D, à l’époque où on développait King of New York et on a cherché à le trouver mais c’était impossible. Il se planquait, c’était un peu le Robert Johnson de l’époque. On a finalement mis la main sur lui et on a bossé ensemble. Il a joué avec moi l’autre soir au Silencio.
Ça t’intéresse de faire jouer des musiciens dans tes films ?
J’aimerais bien faire jouer Schoolly D c’est sûr. On a filmé les concerts qu’on a fait ensemble, on s’en servira sûrement. C’est facile pour lui d’apparaître à l’écran, c’est un « player », un vrai .
Comment David Johansen (New York Dolls) s’est-il retrouvé dans un des épisodes de Miami Vice que tu as réalisé ?
C’était un pote, comme je te disais. C’était mon idée de le faire jouer. Mais ça faisait partie du concept de la série. Chaque réalisateur devait amener des cameos, en particulier des musiciens.
Tu as aussi dirigé Ice-T dans R’ Xmas…
Qui ça ? Ha oui Ice-T, j’avais complètement oublié que je l’avais fait jouer.
Ice-T a un pied dans deux mondes très distincts : d’un côté la musique avec son groupe metal et son passé gangsta, et de l’autre il joue les flics dans une série très très grand public.
Oui mais c’est Ice T ! Il peut faire ce qu’il veut, putain ! Il vit sa vie quoi.
Et le burn out des rappers stars comme Kanye West, ça t’inspire quoi ? C’est un signe des temps de les voir s’effondrer comme ça ? A l’époque du gangsta rap ça aurait été très mal vu…
Je pense que c’est une forme de racisme d’attendre de ces gars qu’ils soient toujours dans leur personnage et qu’ils ne craquent pas. Quand tu regardes un film d’action tu ne t’attends pas à ce que l’acteur principal prenne sa voiture en sortant du tournage et tue des gens, si ? Ces rappeurs sont des artistes avant tout, des poètes. Ces gens sont des survivants, on l’oublie souvent. Tu vois d’où ils viennent ? On ne peut pas restreindre l’art de ces mecs à la réalité dont ils viennent. Ce jeune mec de Chicago qui fait des allers et retours en prison, comment il s’appelle ?
Chief Keef ?
Oui c’est ça. Je le trouve fantastique. Young Capone aussi. Les vidéos home-made qu’ils ont sorti sont putain de géniales. Mais tu imagines leur mode de vie ? Ça rejoint ce qu’on disait toute à l’heure. Tu dois être vigilant avec ta colère sinon elle prend le dessus sur toi et tu fais des conneries, dans la vraie vie. Moi j’ai réussi à calmer cette colère et ça m’a mené à faire ce film sur Pasolini par exemple [Rires].
Pasolini était une rock star selon toi ?
C’était une superstar. Il pouvait tout faire, jouer, écrire, chanter, tourner des films. C’était un poète, un activiste politique, un journaliste. On parlait de mode de vie, là, mais tu imagines vivre comme lui, être ouvertement gay dans l’italie fasciste de l’époque ? C’était quelqu’un de très costaud, un putain de génie.
Est-ce que l’excitation qu’a connu New York à une certaine époque et qui ne semble plus trop habiter la ville ces dernières années, te manque ? Ton documentaire Chelsea Hotel revient beaucoup sur cette période.
J’habite à Rome maintenant et c’est une ville excitante pour moi. Je ne regarde pas beaucoup en arrière. On peut essayer de se poser et analyser les évènements du point de vue d’une perspective historique mais je ne sais pas si c’est si intéressant. Quand tu vis des moments comme ça, tu ne réalises pas sur le coup, la vie se déroule sous tes yeux et file à toute allure. Je n’ai pas réalisé que je vivais une révolution culturelle tout simplement parce que j’étais trop occupé à essayer de payer le loyer [Rires].
Avec les moyens technologiques qu’on a actuellement, tout le monde peut faire un film ou sortir un disque. Ça t’inspire quoi cette nouvelle donne ?
Je suis content que les gens aient plus d’outils pour s’exprimer et se connecter les uns aux autres. Je reste curieux de ce qui se produit, les films ou disques qui arrivent jusqu’à moi. Je suis ouvert aux collaborations. Je passe mon temps à faire des films, jouer de la musique, je suis déçu puis exalté. C’est ma façon de vivre. Cette facilité de créer et parler à des gens à l’autre bout du monde, il faut y voir quelque chose de positif, c’est le choix que je fais. Tu peux prendre ton téléphone et tourner un film avec si tu as assez de passion en toi. Autant y voir quelque chose de positif.
Est-ce que tu faites partie de ceux qui pensent que l’élection de Trump va pousser les artistes à créer et donner naissance à des œuvres intéressantes ?
[Silence] Je le regarde et la seule chose que ça m’inspire c’est « hey n’importe qui peut être président ». Ce qui va en découler dépend de la colère que tu as en toi. Et de ce que tu vas faire de cette colère. Putain il a gagné [Incrédule]. Tout est possible maintenant…
Tu avais de la colère au début de ta carrière. Elle est toujours présente ?
C’est une émotion naturelle. Il faut utiliser l’énergie qu’elle contient. Elle peut t’aider à y voir clair mais elle peut aussi prendre le pas sur la création et te faire faire n’importe quoi. J’ai décidé à une certaine époque de briser un peu le cycle de la colère et de rester positif. On parlait d’Internet toute à l’heure, c’est pareil. On peut en faire quelque chose de magnifique et de l’autre côté on peut s’en servir pour contrôler les gens et leur imposer un monde totalitaire régi par Google. Mais je suis positiviste maintenant [Il s’est converti au bouddhisme au milieu des années 2000].
Pour revenir à la musique, tu peux nous parler de ta collaboration avec le compositeur Joe Delia [à qui l’on doit entre autres les B.O. de L’Ange De La Vengeance, King of New York, The Addiction, Nos Funérailles, The Blackout, et qui a été viré par Ferrara au moment du tournage de New Rose Hotel. Visiblement ils se sont réconciliés depuis] ?
Joe est un vrai. C’est un musicien extraordinaire. On a commencé à bosser ensemble car je n’avais pas d’argent pour acheter de la musique pour mes films. On jouait ensemble. Mais c’est un virtuose, moi je peux à peine jouer de la guitare. Enfin, je connais assez la musique pour reconnaître un génie et il en est un. La relation de la musique avec le film qu’elle est censée accompagner est un mystère, une sorte de miracle qui se produit parfois et c’est difficile à prévoir ou comprendre. Quand on travaillait sur King of New York, je lui ai demandé de se baser sur la respiration de Jimmy Jump [le personnage interprété par Laurence Fishburne] et de trouver une manière d’accompagner ça.
De nos jours, Hollywood demande à pas mal de compositeurs, notamment des gens qui viennent de la pop et du rock de créer des B.O. très référencées et nostalgiques qui renvoient directement aux 80’s et aux 90’s. Qu’est ce que ça t’inspire ?
[Il coupe] C’est putain de ridicule. Ça rime à quoi de recréer les 80’s ou les 90’s ? C’était même pas hier ! Donne moi un exemple s’il te plaît. ?
On demande souvent à des gens de plagier John Carpenter, par exemple. Là, il y a une suite de Blade Runner qui sort et j’imagine que le score, qui ne sera pas assuré par Vangelis, sera un peu dans le même style…
Qu’est ce qui est arrivé à Vangelis, il est mort ?
[Rires] Non non il est vivant, je pense qu’il préfère se la couler douce en Grèce qu’essayer de recréer ses B.O. d’il y a 30 ou 40 ans…
Il en a eu marre d’Hollywood à mon avis. C’est débile de retenter de faire des films ou des B.O. des années 80. On est en 2016, c’est vraiment prendre les gens pour des cons si tu veux mon avis.
Tu as également réalisé une video pour une artiste française [Mylène Farmer, en 1995, pour le titre « California »]. Tu t’en rappelles ?
Hum, très très vaguement. J’étais vraiment dans une mauvaise passe, avec des gros soucis de drogue et j’ai fait de mon mieux dans ces circonstances. Je ne me rappelle plus vraiment à quoi elle ressemble cette vidéo. Tu l’as revue récemment ?
Oui, c’est plutôt bien. Ça n’a pas si mal vieilli.
Et cette fille, elle joue toujours ?
Oh oui, c’est une star énorme en France, et étrangement en Russie aussi.
Sans déconner ? C’est super. Elle était vraiment fantastique, ça je m’en rappelle.
Tu as vu le biopic sur Gainsbourg ?
Non, il est bien ?
Non, c’est assez mauvais. Je me disais que tu serais pas mal placé pour tenter quelque chose à ce sujet…
C’est une bonne idée. Mais qui le jouerait ? Toi, tu veux ? On peut essayer en te mettant des prothèses aux oreilles je pense…
Adrien Durand est sur Twitter.