SS of Base

Internet a complètement remis en cause l’idée qu’une personne puisse être absolument clean et irréprochable. À l’ère des Dominique Strauss Kahn et autres Berlusconi, il paraît aujourd’hui impossible de trouver une personnalité publique dépourvue de cadavre qui s’agite dans le placard, prêt à être révélé au grand jour. Même les plaisirs les plus simples, comme le groupe de pop suédois Ace of Base – qui a enflammé toutes les boîtes de l’été 1993 avec son tube « All That She Wants » –, sont susceptibles de nous sortir une sale histoire de derrière les fagots.

En effet, Ulf Ekberg, un des membres fondateurs d’Ace of Base, a commencé sa carrière en tant que skinhead néonazi.

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Et ce n’est pas tout. Son groupe de punk nazi, Commit Suiside, interprétait des chansons aux paroles « explicitement racistes ». Explicitement, à quel point ? Jugez-en par vous-mêmes :

« Män i vita kâporna pâ vägen tâgar. Vi njuter när vi huvudena av niggrerna sâgar / Svartskalle, vi hatar dig! Ut, ut, ut, ut! Nordens folk, vakna nu! Skjut, skjut, skjut, skjut! »

En français, ça donne :

« Les gars des quartiers blancs descendent dans la rue, on s’éclate à éclater des têtes de négros/Immigrés, on vous déteste ! Dehors, dehors, dehors, dehors ! Peuple nordique, on se réveille ! Shoot, shoot, shoot, shoot ! »

En plus de sa participation à Commit Suiside, Ekberg était membre du Parti démocrate suédois, un parti politique qui a « rejeté » publiquement tout lien avec les mouvements néonazis. C’est intéressant quand on sait que le parti a été fondé par des nazis et que des membres actifs ont, encore aujourd’hui, des relations avec des groupes extrémistes. Prenons par exemple, Anders Klarström, ancien Secrétaire du Parti démocrate suédois. Curieusement, Klarström était aussi membre du groupe de Ulf Ekberg, Commit Suiside. Quand la belle aventure du groupe a pris fin, en 1986, Klarström a été incarcéré pour détention illégale d’arme à feu et pour avoir envoyé des menaces de mort à un comédien et metteur en scène juif, Hagge Geigert, connu pour ses positions antiracistes. Klarström avait qualifié Geigert de « cochon juif » et avait menacé de le cramer.

La réponse de Ulf Ekberg a été plutôt vague. Un documentaire de 1997 rapporte cette citation de lui : « J’ai dit à tout le monde que je regrettais vraiment ce que j’avais fait. J’ai complètement tourné la page. »

En 1998, Flashback Records, un petit label de musique suédois, a sorti un disque intitulé Uffe was a Nazi! (Uffe était un nazi !), un disque en édition limitée des chansons d’Ekberg pour Commit Suiside. La pochette montre Ekberg faisant le salut nazi. Bien que seulement 1 000 CD aient été produits, cette sortie a porté grandement atteinte à l’intéressé en ressuscitant les démons de son passé, et ce disque est devenu un objet de collection très prisé. Sur Uffe was a Nazi!, on trouve cinq chansons aux titres empreints de poésie comme Rör inte vârt land, en français : « Touchez pas à notre pays » ou Vit makt, svartskalleslakt!, « White Power, casseur de crânes noirs ». Chose étonnante, le groupe reprend le morceau Smash the IRA de Skrewdriver, en traduisant les paroles vers l’allemand et en changeant le titre en « Smash the VKP ». Le VKP ou « Parti de gauche » étant un parti communiste et féministe suédois :

Voici comment Ekberg s’est retrouvé à jouer dans Ace of Base : en août 1990, Jonas Berggren, un musicien de Göteborg, était à quelques heures de se produire en concert avec son groupe – un groupe qui tournait depuis plusieurs années sous les noms CAD, Tech-Noir ou Kalinin Prospect. Au dernier moment, le bassiste du groupe a planté tout le monde pour aller voir les Rolling Stones qui se produisaient à l’autre bout de la ville. Du coup, Berggren a demandé à son ami Ekberg de remplacer le bassiste. Quelques semaines plus tard, ils appelaient le nouveau groupe Ace of Base, et le reste fait partie de l’Histoire. Le morceau « All That She Wants » rencontre un succès monumental, le groupe vend 23 millions de copies de son album Happy Nation/The Sign, devenant ainsi l’un des groupes de pop les plus appréciés de la décennie.

Jonas Berggren et les autres membres d’Ace of Base étaient-ils au courant du passé de Ulf Ekberg et de ses fricotages avec les milieux néonazis quand ils lui ont proposé de se joindre à eux ? Le fait est que ce sujet semble assez tabou, et il est possible que beaucoup de gens vous dévisagent bouche bée si vous l’abordez. La réponse de Ekberg a été pour le moins vague. Dans un documentaire datant de 1997, on rapporte des propos qu’il aurait tenus : « J’ai dit à tout le monde que je regrettais vraiment ce que j’avais fait. J’ai complètement tourné la page. Je ne veux même pas en parler. Cette époque n’existe plus pour moi. J’ai tourné la page, j’ai fermé le livre et je l’ai jeté en 1987. J’ai appris des choses au cours de cette période, mais cette vie n’est pas la mienne. C’était une autre personne. »

D’après son site web, Ekberg est aujourd’hui un « leader visionnaire et un éminent homme d’affaires ». Il est toujours membre d’Ace of Base mais il travaille aussi pour une entreprise de conseil en stratégie marketing, Result, qui est en affaires avec BMW, Fiat, IBM et LinkedIn. En 2002, il a fondé une autre entreprise de marketing du divertissement, Legion Network (aujourd’hui disparue), et il a travaillé avec Canon, Motorola et Nokia. De 2002 à 2005, il était conseiller pour Nokia sur leur stratégie globale concernant la musique et la mode.

Mais les choses sont plus compliquées qu’elles n’y paraissent. Ulf Ekberg est également un membre actif du think tank German Marshall Fund qui travaille à l’heure actuelle sur un programme d’aide financière destiné au continent asiatique. Notons que le GMF a été élaboré selon le Plan Marshall (d’ailleurs, son nom vient de celui-ci), le programme d’aide économique impulsé en 1947 par les États-Unis qui a servi à prévenir l’expansion du communisme soviétique en installant « de force » la démocratie dans tous les pays en reconstruction.

Putain, qu’est-ce que tout ça peut bien vouloir dire ? On peut s’étonner que toute cette histoire n’ait pas fait plus de bruit, d’autant que tous les éléments étaient là, sous nos yeux, à peine dissimulés. Lors de mes recherches pour cet article, j’ai discuté avec plusieurs journalistes internationaux qui n’en avaient jamais entendu parler. Et d’ailleurs, de toute ma vie, je n’avais moi-même jamais entendu parler de cette mystérieuse histoire. Non pas que j’y voie quoi que ce soit de conspirationniste, mais j’ai simplement du mal à imaginer qu’on puisse totalement changer lorsqu’on a eu ce type de passé. Le truc flippant, c’est que Ulf Ekberg est devenu une autorité et qu’il a depuis acquis une énorme influence. Pendant plusieurs années, il a été en charge des relations entre marques et consommateurs. Aujourd’hui, il est impliqué dans un programme de subventions très marqué en termes de positionnement politique.

Ulf Ekberg a-t-il utilisé le succès de Ace of Base comme un moyen de tirer définitivement un trait sur son passé néonazi ? Pour être franc, je n’en suis pas sûr. Au moment où j’écris ces lignes, je peux même affirmer sans le moindre doute que je n’écouterai plus jamais « The Sign », « Don’t Turn Around », ou « All That She Wants » de la même façon.

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