La finale de la Ligue des Champions a aussi été une grand-messe sécuritaire

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La finale de la Ligue des Champions a aussi été une grand-messe sécuritaire

La police britannique a scanné les visages de tous les fans présents dans le stade pour la finale entre le Real et la Juve, qui s'est tenue samedi soir à Cardiff.

Cet article est paru à l'origine sur Motherboard UK

La veille et le jour du match, ils seront des milliers à débouler dans les rues de Cardiff, dans un état d'euphorie, d'ébriété ou d'excitation plus ou moins avancé. Les supporters venus assister à la finale de la Ligue des champions 2017 qui oppose samedi soir le Real Madrid à la Juventus Turin ne savent pas si le spectacle et le résultat seront à la hauteur de leurs attentes. Ce qu'ils ne savent pas non plus, c'est qu'au cours de cette soirée, leurs visages seront minutieusement scannés, répertoriés, puis confrontés au fichier de recensement de la police locale, qui pourra ainsi savoir si l'un d'entre eux ne fait pas partie de la liste des 500 000 individus à surveiller établie par les autorités en prévision de la rencontre.

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Malgré des critiques répétées contre cette politique un brin flippante de la police britannique, cette dernière n'a pas cédé et utilisera bien ce système de reconnaissance faciale d'un genre nouveau pour la finale de le Ligue des champions. Cet outil technologique sera déployé dans la gare de Cardiff, et surtout aux abords du stade, situé au coeur du centre commerçant de la ville.

Les caméras devraient balayer 170 000 visages de supporters, sans compter ceux des centaines de locaux, sortis dans les artères passantes pour faire les boutiques comme chaque samedi. Ces données seront ensuite comparées en temps réel aux 500 000 visages enregistrés dans le fichier de la police. Chaque "match" ou concordance permettra aux agents d'identifier et de suivre avec attention les personnes dites "à risques".

Cet imposant dispositif de surveillance sécuritaire s'inspire d'expériences précédentes en la matière, comme celle tentée par la police londonienne lors du Carnaval de Notting Hill en 2016. Lors de cette édition de la célèbre teuf, les autorités de la capitale britannique avaient utilisé la technologie AFR, pour "Automated Facial Recognition", un système de reconnaissance faciale automatique, comme l'expliquait clairement le communiqué de presse de la police à l'époque.

Motherboard a pu obtenir une interview avec Tony Porter, le responsable gouvernemental pour la surveillance caméra en Grande-Bretagne. En mars dernier, il avait publié un rapport sur la stratégie nationale d'utilisation de la vidéoprotection, dans lequel il affirmait que les pouvoirs publics tendaient vers un renforcement de ces systèmes pour éviter des incidents dramatiques en lien avec le sport comme l'attaque subie par les joueurs de Dortmund, quelques minutes avant leur quart de finale contre Monaco, quand leur bus avait été la cible de bombes artisanales, le défenseur central Marc Bartra avait été blessé, et le match reporté. Ce constat posé, Tony Porter a tout de même ajouté que ces renforcements législatifs devaient se faire en accord avec le code britannique d'utilisation de la vidéoprotection. « Mon bureau a été en contact permanent avec la police galloise pour nous assurer que leur utilisation de l'AFR était bien conforme à ce code, assure Tony Porter. J'ai vu comment les différentes autorités locales se sont de plus en plus servies de ce système sur ces dernières années. Je sais aussi que l'Institut National des Normes et de la Technologie s'est emparé du sujet pour rappeler que la reconnaissance faciale restait un domaine où il est difficile d'exceller. Obtenir les résultats les plus pertinents suivant le but recherché exige des algorithmes très performants, une équipe d'experts dans toutes sortes de disciplines, qui doit composer avec des bases de données d'images aux tailles forcément limitées, et des tests pour augmenter l'efficacité du système. »

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Le centre-ville de Cardiff. Photo Glyn Owen.

Mais les interrogations autour de l'efficacité de l'AFR et surtout de son opacité demeurent. La police galloise n'a d'ailleurs pas fait grand-chose pour les dissiper puisqu'elle n'a pas répondu aux nombreuses questions qui lui ont été posées. L'Institut des Normes et de la Technologie a récemment publié un rapport sur le sujet qui détaille les limites de l'AFR pour identifier les « sujets non-coopératifs », c'est-à-dire, en langage non bureaucratique, des gens qui se cachent des caméras ou qui masquent leurs visages. Le rapport établit que la reconnaissance faciale ne peut être efficace que dans un certain contexte, à savoir un environnement contrôlé par des caméras de haute qualité. Cela implique donc un beau budget pour avoir les caméras suffisantes en quantités et adéquates en qualité.

L'efficacité du logiciel de reconnaissance faciale a également été critiquée par le gouvernement américain. La commission dédiée au sujet a révélé que l'algorithme utilisé par le FBI donnait des résultats erronés dans 14% des cas, une marge d'erreur qui augmente encore lorsqu'il s'agit d'identifier des gens de couleur noire. Outre les résultats en eux-mêmes, le rapport fustigeait l'usage dérégulé et parfois inapproprié de la reconnaissance faciale, qui rappelle la polémique qui avait enflammé le Royaume-Uni quand la police nationale avait été épinglée pour détention illégale de millions de photos de personnes innocentes.

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Le centre-ville de Cardiff. Photo Glyn Owen

Toutes ces réserves émises sur l'efficacité de l'AFR ont encore été renforcées par les conclusions de la police londonienne au terme du carnaval de Notting Hill. Durant la fête, l'AFR a mené à zéro arrestation, et n'a même pas permis d'identifier une seule personne à risque. Le tout alors que 454 interpellations ont été effectuées pendant ce temps.

Les défenseurs des libertés des citoyens n'ont pas manqué de le remarquer, ce qui leur permet de donner plus de poids à leur argumentaire. Et de tirer la sonnette d'alarme par la même occasion, comme a pu le faire Rachel Robinson, directrice de la campagne pour les droits de l'Homme et les libertés civiles de l'association Liberty : « Le manque de garde-fous pour le grand public est de plus en plus criant, et de plus en plus alarmant quand on constate en même temps le développement de technologies de surveillance toujours plus avancées », a-t-elle déclaré à Motherboard.

Robinson reconnaît qu'il existe des situations et des contextes où le recours à la vidéoprotection est nécessaire ou justifié, mais elle maintient que « la technologie de reconnaissance faciale instantanée qui a la capacité d'identifier n'importe qui dans une foule de centaines de personnes ne fait qu'alimenter la base de données de milliers d'innocents photographiés à leur insu par la police, ce qui constitue une sérieuse intrusion dans l'intimité et la vie privée des gens. » Des messages de prudence qui n'empêchent pas les pouvoirs publics d'user (d'abuser ?) de plus en plus de cette technologie.

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« Et je prévois que le phénomène risque encore de prendre de l'ampleur au sein des forces de police à l'avenir», poursuit Tony Porter. « D'autres applications sont possibles…»

Les caméras de sécurité du stade, à Cardiff. Image: Glyn Owen.

Ces déclarations concordent avec le bilan de stratégie financière de la police galloise qui espère bloquer deux millions de livres sterling (2,4 millions d'euros) du ministère de l'Intérieur pour financer le système de reconnaissance faciale. Autre signe que la tendance à l'extension de la surveillance vidéo et de la confiance placée en cette nouvelle technologie, le contrat de 177 000 livres signé par la police galloise pour utiliser le AFR lors de la Finale de la Ligue des Champions court pendant encore 5 ans.

Mise à jour :

La police galloise a finalement répondu à nos questions après publication de l'article, le superintendant Jon Edwards se contentant de ce commentaire lapidaire : « La finale de la Ligue des champions est une belle occasion pour nous de prouver l'utilité et l'efficacité de la technologie de reconnaissance faciale en situation réelle à des fins de police. »