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Les courses de drones, une nouvelle ruée vers l'or

Les courses de drones doivent faire face à de nombreux obstacles avant de devenir le sport populaire du futur. La Drone Racing League est-elle une première étape ?
All images courtesy Drone Racing League

Dans l'immeuble abandonné du Hawthorne Plaza Mall à Los Angeles, à 15 minutes de l'aéroport, le bourdonnement de drones résonne en écho à travers les 80 000 mètres carrés du lieu. Le ciment froid et les filets qui s'élèvent du sol au plafond (destinés à attraper les drones qui s'égarent) donnent l'impression d'entrer dans une zone de guerre dystopique. Des casseurs ont détruit une grande partie de ce centre commercial durant les émeutes de 1992 et l'endroit n'a jamais retrouvé son lustre d'avant, fermant finalement ses portes en 1995. Ce building n'est plus qu'un simple squelette de béton : il a accueilli quelques tournages de films hollywoodiens minables, mais est resté, pour la majeure partie de ces vingt dernières années, vide et silencieux. C'est un endroit bizarre. C'est donc le lieu parfait pour une course de drones.

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Il y a deux semaines, on m'a annoncé que je faisais partie des 50 invités de la deuxième course officielle de la toute nouvelle Drone Racing League (DRL). La DRL est l'une des organisations qui tentent de professionnaliser ce sport. Elle s'est lancée en janvier dernier et compte quatre autres courses prévues pour 2016, incluant des championnats du monde. Durant une course standard de la Drone Racing League, on peut compter jusqu'à douze pilotes qui font voler leurs drones à travers un circuit dessiné pour tester leurs aptitudes. Ils pilotent tous le même modèle de drone. Les pilotes guident leurs engins à travers une course d'obstacles aériens aux allures urbaines : un faux métro, des arcades étroites, et des cercles de néons. Tout ça à des vitesses allant jusqu'à 130 km/h.

Il y a un an, quand le fondateur de la Drone Racing League Nick Horbaczewski m'a parlé de son projet de faire de la course de drone un sport professionnel, je n'étais pas sûre que cela aurait lieu un jour. Je suis l'actualité des drones de près, dans tous ses aspects, depuis un an : la vidéo, la controverse sur leur régulation, la sécurité, les avancées technologiques… De mon point de vue, les courses de drones étaient un territoire inexploré. Un territoire assez vaste pour qu'organiser une ligue soit une tâche compliquée, mais assez inexplorée pour que cela intéresse des investisseurs potentiels.

« Dans le monde des drones, les gens se précipitent et pensent qu'ils créent à chaque fois un nouveau phénomène qui leur permettra de se faire beaucoup d'argent », explique Gary Mortimer, à la tête du site Small Unmanned Aerial Systems News et passionné de drones en général. Il égrène différentes organisations de courses de drones qui, elles aussi, pensaient qu'elles allaient dominer l'industrie, comme Rotor Sports, qui organise les championnats nationaux américains de courses de drones, ou Multi GP, basé en Floride. « La question est : qui connaîtra le plus de succès ? Quelle organisation percera et sera capable de remplir le stade du Super Bowl ? »

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Mortimer pense que n'importe quelle ligue, que ce soit la DRL ou une autre, devra attendre trois ou quatre ans de développement avant de pouvoir atteindre une popularité massive. Horbaczewski et la DRL ont levé assez d'argent cependant, selon Mortimer, pour passer les premières années difficiles. Pour être au point technologiquement, Horbaczewski s'est appuyé sur des sociétés de capital-risque qui se concentrent sur des entreprises spécialisées dans les technologies émergentes comme RSE Ventures, propriété de Stephen Ross qui possède aussi la franchise NFL des Miami Dolphins. Pour le côté RP, il s'est associé avec la Creative Artists Agency et Hearst Ventures.

Mais pour que la DRL devienne un sport viable, Horbaczewski va devoir se confronter au problème de la réalisation vidéo des courses ou des régulations fédérales concernant la navigation dans l'espace aérien. Et surtout, il va devoir ramener des spectateurs alors que le grand public ne connaît rien aux drones.

Le week-end dernier, les pilotes de la DRL étaient en compétition pour une prime de victoire, mais étaient aussi payés avant la course (la DRL n'a pas voulu révéler les salaires des pilotes). Avant le premier tour de qualifications, quatre pilotes, et leurs lunettes de pilotage en immersion, se tenaient au milieu du circuit, entourés par les filets de protection. Des rambardes et d'autres filets séparaient les spectateurs des pilotes. A quelques minutes de la course, un homme sautait sur place tellement il était excité.

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« On est au début d'un effet boule de neige, explique Horbaczewski à quelques minutes du départ de la première course de la journée. Le but de tout ceci - je ne sais pas si ça arrivera dans un an ou deux ans - c'est de voir des milliers de fans crier dans un stade quelque part et une diffusion télé en direct d'un événement sportif qui passionnera les gens. Mais pour y arriver il y a encore beaucoup de chemin à faire. »

Horbaczewski a grandi à Boston. Son premier boulot en sortant d'Harvard était de travailler dans un cabinet de conseil tout ce qu'il y a de plus banal. Après trois années là-bas, il a co-fondé une société de production qui a produit deux films indépendants aux succès mitigés (Some Girls et Addicted to Fresno). En 2006, il est retourné à Harvard pour un Master en administration des entreprises avant de lancer sa deuxième boîte, Blauer Tactical Systems, un fournisseur en équipement et logistique pour des opérations de sécurité intérieure. Blauer fut finalement acquis par ADS, un sous-traitant du secrétariat de la défense du gouvernement basé en Virginie. Et Horbaczewski est alors devenu, plus ou moins, un marchand d'armes international. Un rôle qui conviendrait mieux à un personnage de James Bond plutôt qu'à un entrepreneur du milieu du sport.

En 2013, la carrière d'Horbaczewski le mena en zig-zag jusqu'à Tough Mudder, une entreprise d'événements à base de courses d'obstacles fondée en 2009 par un autre diplômé d'Harvard, Will Dean. Tough Mudder (qui organise les fameuses "Mud Runs") fut l'introduction d'Horbaczewski à la mise en place d'une ligue sportive : il aida ainsi à ce qu'un événement, qui ne durait à la base qu'un week-end, devienne une compétition globale.

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« Tough Mudder était juste une activité de niche, et personne ne pensait que des gens allaient s'intéresser à ça », explique-t-il.

Quand Horbaczewski a rejoint Tough Mudder en tant qu'agent des recettes en 2013, la compagnie n'organisait qu'une poignée d'événements aux Etats-Unis. Au moment où il a quitté la boîte deux ans plus tard en tant que responsable adjoint du développement commercial, un demi-million de participants prenait part à 60 compétitions Tough Mudder à travers la planète et la boîte réalisait un chiffre d'affaires de 100 millions de dollars par an. En partant de Tough Mudder, Horbaczewski, 35 ans à l'époque, voulait à tout prix lancer sa troisième entreprise et cherchait un autre concept de sport insolite.

Horbaczewski a pour la première fois entendu parler des drones en 2009, quand il travaillait sur un projet de son école de commerce. Il est entré en contact avec Chris Anderson, ancien rédacteur-en-chef de Wired, fondateur de 3D Robotics, un fabricant de drones, et de DIY Drones, un site communautaire spécialisé dans les drones. Ce premier contact datant de plusieurs années avec Anderson, conjugué à une communauté d'amateurs en pleine expansion, ont amené Horbaczewski à considérer une ligue officielle de drones.

« Dès que j'ai vu ça, je me suis dit : c'est vraiment divertissant, explique Horbaczewski. C'est hyper attirant, on est à la fois dans les drones et la tech, et ce sont des courses réelles. Je me suis dit que cela avait le potentiel pour devenir quelque chose de beaucoup plus gros que ça n'était alors. »

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A leurs débuts il y a quatre ans, les courses de drones ont connu quelques bugs : des collisions en plein air, des transmissions radio coupées entre les pilotes et leurs engins. Les drones finissaient dans les filets et s'écrasaient sur le ciment.

« Cela fait toujours partie des courses de drones, explique Horbaczewski. Et ces débuts des courses de drones servaient autant à construire des drones performants qu'à apprivoiser les difficultés potentielles lorsque les engins étaient en vol. Mais la DRL est en train de prendre une approche fondamentalement différente. »

Même lors du World Drone Prix l'an dernier à Dubaï, où les pilotes étaient en concurrence pour remporter un million de dollars, des drones se sont crashés et des problèmes techniques ont provoqué de longs délais entre les courses. La DRL, elle, a essayé de standardiser les appareils et de rationaliser la logistique de fabrication, tout en essayant de construire un public fidèle.

Filmer les courses est un des enjeux principaux pour le marketing de la DLR, selon Mortimer. Les courses de voitures ou d'avions télécommandés n'ont jamais été très populaires car elles ne produisaient pas des images assez bonnes pour être diffusées. Grâce à des caméras placées à l'avant de chaque drone - qui sont aussi les yeux du pilote - les spectateurs ont un point de vue à la première personne de ce qu'il se passe.

Depuis juillet dernier, la DRL a testé la technologie qui pourra lui permettre de diffuser des courses de drones dans des stades toujours plus grands, avec comme point culminant un événement au Sun Life Stadium de Miami en décembre dernier. Finalement, en janvier, la ligue a désactivé le mode furtif.

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« Le nombre de vues que nous avons eues sur les vidéos de l'événement "Miami Lights" se comptait en dizaines de millions, explique Horbaczewski. Notre boulot pour l'année qui vient, c'est de convertir ce nombre de vues en fans. »

Une ligue sportive a besoin de supporters, et l'un des challenges de départ d'Horbaczewski a été d'aider les gens à comprendre la compétition. Pour cela, il a mis des LED de différentes couleurs sur chaque drone. Il a raccourci les courses, qui durent désormais moins de deux minutes, et a organisé une compétition en plusieurs manches où les pilotes gagnent des points pour se qualifier.

L'expérience du spectateur n'est pas parfaite estime de son côté Mortimer. Il reste assez compliqué de discerner les drones en train de circuler sur l'obscur circuit à 130 km/h. Mais faire voler de plus gros engins - une idée qui a été considérée explique-t-il - pourrait entraîner des complications administratives.

« Ce serait voler contre les réglementations, selon lui. L'idée qui a commencé à germer est la création d'une super ligue, avec de plus gros drones, mais cela va aller à l'encontre des lois fédérales. »

La Federal Aviation Administration (FAA) n'a pour le moment pas d'encadrement légal adapté aux drones - même si l'agence pourrait publier de nouvelles réglementations d'ici à cet été - et les courses de drones ne sont pas le genre de choses qui font partie du champ d'action de la FAA à la base. Horbaczewski a donc rencontré les dirigeants de la FAA pour que tout soit au clair au niveau légal pour la DRL.

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« Si vous devez travailler dans un sport avec ce genre de challenge réglementaire et logistique, il vaut mieux que vous soyiez à l'aise avec ça. C'est ce que j'ai appris dans mon boulot en relation avec le gouvernement, explique-t-il. L'une des raisons pour lesquelles nous faisons ça en intérieur, c'est pour que cela soit plus simple au niveau de la réglementation de la FAA. » Les régulations de la FAA, qui empêchent notamment aux pilotes de contrôler des engins volants via des caméras embarquées, ne s'appliquent pas aux vols en intérieur.

Assurer la DRL était un autre obstacle. Lors de ses réunions avec des courtiers, Horbaczewski expliquait ce que la DRL tentait de faire et présentait des plans de sécurité pour assurer que les événements seraient fiables et assurables.

« On a prononcé le mot "drone" et après on a dit qu'on voulait faire des courses entre eux, et après on a dit qu'on voulait faire des courses avec des spectateurs. Les gens sont devenus assez nerveux », raconte-t-il.

A travers la planète, on trouve des pilotes de drones de tous les âges, qu'ils soient jeunes, comme ce Britannique de 15 ans qui a remporté le World Drone Prix à Dubai, où qu'ils aient déjà une calvitie. La DRL compte déjà 20 pilotes dans son roster, avec des pseudos comme MattyStuntz, NytFury, KittyCopter ou FlyingBear. Mais la liste change constamment, et tous ont la volonté de devenir de pilotes à temps plein de la DRL.

« Je suis maçon à côté de ça, explique Steve Boumas (Zommas), qui a remporté l'étape Miami Lights en janvier. Les courses de drones étaient un hobby quand j'ai commencé, mais désormais je vois que je peux aller plus loin et gagner de l'argent grâce à ça. Je ne me considère pas professionnel, mais d'autres le pensent. J'ai grandi en faisant du motocross et je n'ai jamais ressenti de montées d'adrénaline comparables à celle que je ressens quand je fais voler mon drone. »

En même temps qu'elle assemble son équipe de pilotes, la DRL fait tout pour rendre leurs jobs plus simples et encourager ainsi un niveau de compétition plus élevé. L'événement de pré-saison en juillet dernier était ainsi une session d'entraînement pour pilotes. Depuis, la ligue a fourni des drones type DRL aux pilotes pour qu'ils puissent se familiariser avec eux. Le but final serait de pouvoir organiser une saison d'entraînement, avant la compétition sur circuit.

Mais beaucoup de choses doivent se passer avant que cela n'arrive. Le sport a encore une longue liste d'obstacles à surmonter, que ce soient les futures réglementations de la FAA ou l'accessibilité du sport au public. Mais dans l'horizon immédiat de la Drone Racing League cependant, il n'y a plus que quatre courses et les championnats du monde.

« L'une des choses que j'ai découvertes à propos des sports professionnels c'est que le sport pro est comme une planète, explique Horbaczewski. Ils ont besoin de gravité. Vous avez besoin de beaucoup d'athlètes, d'organisateurs, de sponsors, de diffuseurs, de supporters… Vous avez besoin que tout ça s'organise de telle façon que cela devienne un cycle auto-suffisant.Vous ne pouvez pas avoir des gens qui sont payés pour faire du sport tant que vous n'avez pas tout ça mis en place. »